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Du plomb en or

Nicolas Regamey pose dans son atelier.
© Olivier Vogelsang

Dans le capharnaüm de son atelier, Nicolas Regamey pratique avec talent et jovialité l’art de la typographie au plomb, sous le regard de Gutenberg, dont la figurine en fonte trône au sommet d’une presse de 1840 (à droite).

Nicolas Regamey pratique l’imprimerie «à l’ancienne», avec des caractères en plomb et des presses dont certaines sont de véritables pièces de musée. Un art qui reste pourtant bien vivant.

Pousser la porte de son atelier, niché au pied de la vieille ville de Lausanne, c’est embarquer pour un voyage dans le temps. Celui d’avant l’ère numérique, quand le métier d’imprimeur devait plus à Gutenberg qu’à Microsoft ou Hewlett-Packard. Dans cet antre où l’on arrive à peine à poser un pied devant l’autre entre les presses massives, les stocks de papier et tout le fatras qui s’y accumule jusqu’au plafond depuis deux décennies, Nicolas Regamey, 44 ans, perpétue avec talent et jovialité l’art de la typographie au plomb. 

Ses machines ancestrales – la plus ancienne est une presse à bras de 1824 – sont les véritables maîtresses des lieux, dont elles occupent en grande partie l’espace physique et sonore. D’ailleurs, chacune porte un prénom. Il y a là Yvonne, Albert, Edwige, Maximilien, Marthe et d’autres. «Comme ça, quand elles ne marchent pas bien, on peut les enguirlander. Ça évite une séance de psy!» rigole l’artisan.

Le soin du détail

Ces belles mécaniques, dont plusieurs graphistes ont tiré le portrait pour l’occasion, sont au cœur d’un livre qu’il peaufine pour célébrer le 20e anniversaire de son «Atelier typographique de la Cité». Un bel ouvrage en reliure pleine peau, soigné comme tout ce qui sort des presses du Lausannois, qu’il s’agisse de livres, cartons d’invitation, prospectus, papier à lettre ou faire-part de naissance, entre autres. Des artéfacts où la qualité et l’élégance des matériaux le disputent à la finesse de l’impression, du gaufrage ou de la dorure. Une autre manière de transformer le plomb en or…

Cet ouvrier au look aussi anachronique que son métier, qui arbore une moustache en guidon et une casquette gavroche perpétuellement vissée sur le crâne, s’est donné pour mission de maintenir en vie un savoir-faire en voie d’extinction. Mais malgré la dimension mémorielle et pédagogique de son travail, à travers les démonstrations et les journées portes ouvertes qu'il organise, ainsi que les stagiaires qu’il accueille régulièrement, son atelier est loin d'être un musée. Son carnet de commandes n’a rien de fictif. 

Une IA avec une âme

Le jour de notre passage, Nicolas Regamey s’affaire à imprimer des cartes de visite en carton gris-brun. «La cliente voulait des cartes très épaisses, mais cela passe mal dans les machines modernes.» Il y a d'autres sortes de travaux que seules d’anciennes presses permettent de réaliser, comme le gaufrage, le timbrage à chaud avec des dorures ou la découpe. Son slogan: «L’impression artisanale, la seule IA qui donne une âme à vos imprimés.» Toutefois, il souligne que son activité est complémentaire aux technologies plus récentes. «Près d'ici, il y a une imprimerie numérique, avec laquelle on s’envoie des clients réciproquement. Il y a des choses qu’eux peuvent faire et pas moi, et vice-versa. Il y a aussi des petits boulots que les autres imprimeries ne veulent plus prendre, car ce n’est pas rentable.»

Parmi ses spécialités, le typographe produit des billets de train rétros, rappelant l’époque révolue où le contrôleur portait sa pince à composter à la ceinture, comme les cow-boys leur revolver. Un travail qui sied bien à ce féru de trains à vapeur, membre depuis ses 12 ans de l’Association du Chemin de fer-musée Blonay-Chamby. Bon an mal an, il imprime ainsi environ 200000 de ces petits rectangles colorés en carton rigide, pour des événements historiques ou des lignes de chemin de fer touristiques. Pour ce faire, il utilise notamment deux presses spéciales que les CFF lui ont prêtées, moyennant quoi il leur confectionne ces bons vieux tickets quand l’occasion se présente. 

Lorsqu’il a reçu ces machines à imprimer les billets de train, plus personne n'était capable de lui expliquer comment s'en servir. «J'ai dû apprendre sur le tas. L’autre jour, j’ai encore découvert par hasard une fonction que je ne connaissais pas.» Tel un mécano avec sa locomotive, Nicolas Regamey bichonne ses presses. «Comme toute mécanique, ce sont de vieilles grands-mères capricieuses. Il ne suffit pas d’appuyer sur un bouton pour lancer l’impression. Il faut être un peu bricoleur. Hier, j’ai passé toute la journée à refaire les réglages de l’une d'elles.»

A l'instar d'une presse en fonte de 1840 joliment ornée, sauvée de la casse, la plupart de ces machines ont été récupérées pour rien au gré des rencontres et des opportunités. Toutes sont en état de marche, même si certaines ne sont utilisées qu’une ou deux fois par an.

Un fondu qui a du caractère

Il y a cinq ans, cet insatiable curieux s’est aussi mis à fondre lui-même des caractères en plomb sur une fondeuse-composeuse monotype. Et depuis peu, il apprend à graver ses propres moules à lettres. Une tâche extrêmement minutieuse, exercée en partie à la main avec une minuscule fraiseuse. «Il faut essayer, se tromper et, en fait, c’est passionnant. Si je n’avais pas d’impératifs économiques, je ne ferais que graver tout le temps! D’après une association américaine, il n’y a plus que seize personnes dans le monde entier qui maîtrisent encore ce savoir-faire. Ça fait peur…»

Paradoxalement, Nicolas Regamey vient, à la base, du monde digital. «C’est un peu un hasard si je suis devenu typographe au plomb. Je n’ai jamais eu de plan de carrière. C’est plutôt une histoire de rencontres et de passion.» Après avoir fait le gymnase, en section commerciale, il suit une formation de webmaster, ce qui l’amène à travailler dans une start-up. «J’avais une bonne place, j’étais satisfait, mais mon patron a insisté pour que je prenne des cours de graphisme. Et là, l’un de mes profs avait une presse à débarrasser. Je l’ai récupérée et c’est ainsi que tout a commencé.»

Une passion contagieuse

Par la suite, il apprend toutes les ficelles du métier auprès de typographes, pendant deux ans, tous les samedis matin, avant de se lancer à son propre compte. Au début à temps partiel, en continuant en parallèle à travailler dans une agence de graphisme.

«Mes parents m’ont beaucoup soutenu. Il y a vingt ans, j’étais un extraterrestre. Les gens se disaient: “Mais qu’est-ce qu’un petit jeune venu de l’informatique vient faire dans cette galère?” Ce n’est jamais raisonnable de faire de son métier une passion, ou l’inverse, admet-il. Mais c’est une chance extraordinaire, c’est le bonheur!»

Un bonheur qu’il partagera le 29 novembre lors d’une fête à son atelier, avec des démonstrations en direct. D’ici là, il compte sur une opération de crowdfunding pour financer son livre anniversaire. Mais prenez garde, sa passion pourrait bien être contagieuse!

ateliertypo.ch 

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