Aller au contenu principal
Menu

Thèmes

Rubriques

abonnement

Des milliers de Romandes réclament l'égalité sous un soleil de plomb

Manifestation féministe
© Thierry Porchet

Le soleil était au rendez-vous pour la Grève féministe du 14 juin, comme ici à Genève, où près de 3500 personnes ont défilé dans les rues.

Aux revendications de la Grève féministe se sont ajoutés des thèmes d’actualité internationale, comme la guerre à Gaza. Bilan et tour d’horizon des manifestations en Suisse romande.

C’est sous un soleil de plomb que des milliers de Romandes sont descendues dans la rue ce samedi 14 juin à l’occasion de la Grève féministe. Les revendications étaient peu ou prou les mêmes partout. Pour l’égalité salariale. Contre les violences sexistes et les féminicides. Pour la défense des minorités sexuelles. Cette année, le travail de care, invisibilisé et dévalorisé, était aussi au cœur des thèmes abordés, car les métiers de la santé, du social, de l’accueil de l’enfance, des services ou du nettoyage sont encore majoritairement occupés par les femmes, de même qu’au sein des familles, les tâches ménagères, l’éducation des enfants et les soins de proche-aidant.

L’actualité internationale s’est aussi invitée au milieu des revendications féministes, avec de nombreux slogans et prises de paroles sur l’essor de l’extrême droite, Trump ou la guerre à Gaza. «Alors que nous faisons face à une montée des violences machistes, racistes, fascistes et coloniales, l’idée d’égalité, de respect et de dignité de tous les êtres humains que porte notre féminisme devient une nécessité et une urgence pour toute-x-s celleux qui veulent résister», écrivait la Coordination romande des collectifs de la Grève féministe dans son appel à manifester.

Fête statique à Lausanne

A cause de la Fête fédérale de gymnastique, la manifestation était cette année statique à Lausanne, où des milliers de personnes ont occupé la place «Sainte-Françoise» pendant plus de six heures. Selon la dizaine de collectifs à l’origine de l’événement, près de 20'000 personnes se sont succédé aux tables rondes, ateliers, concerts et autres activités organisées durant l’après-midi et la soirée. Le collectif de la Grève féministe Vaud a expliqué cette occupation de la place emblématique: «Trop souvent, on nous efface des lieux de pouvoir, des sphères de décision, des espaces publics. Aujourd’hui, nous reprenons notre place. […] Lutter, ce n’est pas seulement descendre dans la rue en marche: c’est aussi créer, discuter, s’organiser.»

Pour sa part, Unia Vaud a appelé à se mobiliser pour un salaire minimum cantonal, qui bénéficierait avant tout aux femmes, majoritaires dans les professions mal rémunérées, et a aussi récolté des signatures pour la pétition contre l’extension des ouvertures dominicales dans la vente, un secteur également très féminin. Le syndicat a aussi participé à l’action des assistantes en pharmacie, qui réclament une revalorisation de leur métier et une Convention collective de travail. La veille au soir, une manifestation non autorisée réunissant, selon la RTS, environ 300 personnes à l’appel de divers collectifs féministes, pro-palestiniens et de gauche radicale, a donné lieu aux abords de la gare de Lausanne à de brèves échauffourées avec la police, qui a fait usage de sprays au poivre. 

A Genève, après un pique-nique géant au parc des Cropettes, où ont eu lieu des performances militantes et divers ateliers, une manifestation rassemblant près de 3500 personnes a rallié le parc des Bastions, en faisant une halte devant le Grand Théâtre, en soutien aux victimes de harcèlement et de sexisme au sein de l’institution. Puis, la soirée s’est poursuivie avec le festival «Bastions de l’égalité», qui, de retour six ans après sa première édition, a transformé le parc en village associatif, avec la participation de plus de 70 collectifs locaux invités par la Fondation pour l’égalité de genre (FEG) et le Réseau femmes.

Parcours interdit à Fribourg

A Fribourg, 3000 personnes ont défilé au départ de la place «Pythonne». Un rassemblement  marqué par des divergences avec les autorités quant au parcours de la manifestation, un sujet brûlant en ce moment dans le canton, où le droit de manifester vient de faire l’objet d’un arrêt du Tribunal cantonal. La Grève féministe a ainsi été empêchée de passer par la gare, sous prétexte de ne pas perturber les transports publics. «Le collectif a choisi de respecter cette interdiction, écrit-il dans un communiqué, pour éviter d'exposer des individu-e-xs à des amendes ou à de la répression lors de la manifestation.» Le collectif a toutefois dénoncé cette manière de restreindre fortement l’impact du défilé sur la population. «Nous sommes particulièrement outré-e-xs par le fait qu’un Conseil communal, à majorité de gauche, ait cautionné cette nouvelle atteinte aux droits démocratiques.»

A Sion, environ mille personnes ont défilé au départ de la place de la Planta, avant que la manifestation se poursuive en musique dans la soirée. A la Chaux-de-Fonds, la Grève féministe neuchâteloise a réuni entre 700 et 1000 personnes, tandis qu’à Delémont, ce sont environ 300 personnes qui ont participé à l’événement. Elles ont notamment demandé l’ouverture d’un lieu d’accueil et d’une ligne téléphonique pour les victimes de violences conjugales, dans ce canton qui, lors de son indépendance, il y a tout juste cinquante ans, a été le premier à se doter d’un bureau de la condition féminine. 

Antoine Grosjean


Portraits de militantes

Catherine

Il y a encore tellement de chemin à parcourir pour obtenir l’égalité. On assiste même à des régressions de nos droits, c’est donc d’autant plus important de manifester. Depuis le 14 juin 2019, je n’ai pas loupé une seule grève féministe. C’est un moment clé de sororité qui nous donne de l’énergie et pleins de bonnes ondes. Mon engagement est de longue date, et en tant qu’artiste, j’essaie de relayer ce combat dans mes dessins, mes gravures et mes installations. On se rend compte chaque jour que les femmes sont toujours pénalisées. Il n’y a pas un combat qui m’affecte plus qu’un autre, mais évidemment je suis pour le droit des femmes à disposer de leur corps, à savoir avorter et s’habiller comme elles le veulent, et pour qu’elles occupent l’espace public qui leur revient.

Elsa

Je suis étudiante en anthropologie culturelle à Naples et j’écris ma thèse sur le racisme et le féminisme en Suisse. J’ai vite réalisé que l’espace de la Grève féministe était un super contre-pouvoir, avec un vocabulaire très avancé. J’ai fini par intégrer le collectif et c’est un mouvement qui rend heureux. Passer des journées avec elles, ça me donne la niaque. Je dirais que mon combat est intersectionnel et qu’il faut lutter contre les discriminations sexistes, racistes et islamophobes dont sont victimes les femmes racisées.

 

 

 

 

 

Kelly*

En tant que cadre infirmière dans les soins de longue durée, c’était important pour moi de participer à ce 14 juin, car dans les soins, il y a une majorité de travailleuses femmes et les conditions de travail sont de plus en plus difficiles par manque de personnel. On nous impose de plus en plus de taches, de responsabilités et de nombre de résidents.

On ne peut plus faire de la qualité, c’est devenu impossible: on fait ce qu’on peut avec ce qu’on a, c’est-à-dire de moins en moins.  Aujourd’hui, on est dans une période critique, mais si on ne fait rien, la situation va devenir dramatique! Nous travaillons toutes par passion, mais là, nous sommes épuisées. On travaille avec des humains et c’est notre priorité, du coup on est restés trop longtemps silencieuses, mais là on dit stop. Que va-t-on faire des populations de plus en plus âgées alors qu’on est toujours moins bien dotés en personnel? Nous sommes tous concernés par ce sujet de société. *Prénom d’emprunt

Yolanda 

Cette année, nous rendons hommage à Christiane Brunner avec le logo de la première grève féministe de 1991. En tant qu’élue socialiste genevoise, je suis fière de l’héritage qu’elle nous a laissé et je lutte pour la parité politique comme un idéal. Il faut se faire entendre aujourd’hui car les femmes ont encore des salaires et des rentes moins élevés que les hommes, car elles sont encore victimes de violences sexistes et sexuelles, car les hommes ont encore des privilèges dans l’accès au travail ou quand il s’agit de promotion professionnelle. Les femmes doivent souvent travailler bien plus dur et se sentent illégitimes. Elles ont besoin de s’affirmer et nous devons changer les règles du patriarcat. Il ne s’agit pas de monter les uns contre les autres, mais juste de réclamer une égalité de nos droits. La cause féministe fait évidemment partie des raisons de mon engagement féministe : quand j’étais petite, je n’ai jamais compris pourquoi on ne demandait pas les mêmes choses à mon frère qu’à moi. Pour moi, c’était de l’injustice.

Manon Todesco

Les nettoyeuses en ont ras-le-bol !

Cette journée du 14 juin aura été marquée par une action des nettoyeuses devant l’horloge fleurie à Genève. Un secteur qui emploie majoritairement des femmes et où les problématiques sont multiples: bas salaire, précarité, stress, harcèlement et pénibilité du travail. Unia exige de meilleures conditions de travail et continue de réclamer l’internalisation du personnel sur les sites de l’État à travers sa pétition. Maria est nettoyeuse depuis vingt-huit ans: «Sur 68 employés, il y a quinze collègues qui sont en arrêt et qui ont un suivi psychologique. Notre charge de travail a triplé. En trois ans, j’ai vu défiler au moins 300 employés tellement le tournus est élevé! On est payées 23 francs de l’heure, mais à Genève, c’est impossible de vivre correctement avec cette somme. Mais les chefs nous disent qu’on peut prendre la porte si on n’est pas contentes. On aimerait avoir plus de reconnaissance, mais on est traitées comme des moins que rien. On espère que l’État bougera, car il y en marre que les patrons s’enrichissent sur notre dos!» 

Manon Todesco

© Thierry Porchet

Une vidéo de Virginie Zimmerli

Pour aller plus loin

Détermination et colère

Manifestation du 14 juin 2023 à Lausanne.

Une nouvelle vague violette a déferlé sur le pays lors de la Grève féministe du 14 juin. Une multitude de revendications ont été exprimées à l’occasion de nombreuses actions sur les lieux de travail et de manifestations ayant rassemblé des dizaines de milliers de personnes. Temps forts en Suisse romande

«Dans l’horlogerie, nous sommes loin du compte»

Rassemblement des horlogères à La Chaux-de-Fonds.

A La Chaux-de-Fonds, 150 ouvrières du groupe Swatch se sont rassemblées le 14 juin pour exiger la transparence sur les salaires, mais aussi une «gestion humaine de l’entreprise»

44% des travailleuses victimes de discriminations!

Repas solidaire à Delémont.

Unia Transjurane a dévoilé les résultats d'un sondage effectué auprès des travailleuses de la région lors de son repas solidaire du 14 juin à Delémont. De quoi susciter l'indignation

Le marathon féministe d’une secrétaire syndicale

Tamara Knezevic lors la manifestation.

Le 14 juin, à Lausanne, aux côtés de la secrétaire syndicale d’Unia Vaud et militante féministe, Tamara Knezevic. Récit