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Dans le ventre de l'OIT

Visite du temple des normes internationales du travail en compagnie de syndicalistes suisses en formation

Pour beaucoup, l'Organisation internationale du travail (OIT) reste une abstraction, ou même un mystère. Cette institution a pourtant son siège en Suisse et les syndicats y occupent une place importante. Profitant de la 97e session de la Conférence internationale du travail qui se tient actuellement à Genève, Movendo a permis à quelques syndicalistes suisses de découvrir cette organisation de l'intérieur.

Ce mercredi 4 juin, une petite délégation de syndicalistes d'Unia, de Syndicom, du SSP se glisse dans les travées d'une salle du Palais des Nations à Genève, où se déroule la 97e session de la Conférence internationale du travail, le parlement de l'OIT. La séance du Groupe des travailleurs qui réunit les représentants des syndicats de 182 états membres vient de débuter. Dans la salle, les délégués, aux tenues sobres ou vêtus de boubous éclatant de couleurs, écoutent les rapporteurs des commissions réunies la veille. On y apprend que le Gouvernement colombien a enfin accepté de comparaître devant la Commission d'application des normes pour les violations des droits syndicaux commis dans ce pays, à commencer par les nombreux assassinats de syndicalistes et l'impunité de leurs instigateurs. On découvre ensuite que le cas du Bangladesh a aussi été traité, en raison du grave non-respect de la Convention 98 sur le droit d'organisation et de négociation collective dans les zones franches. Viennent ensuite les rapports des autres commissions, celles sur le renforcement des capacités de l'OIT, sur les aptitudes professionnelles, et sur la promotion de l'emploi rural. Sur l'écran, quelques mots rappellent le 60e anniversaire de la Convention 87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical.

Les droits syndicaux, socle de l'OIT
Apparaît alors le directeur général de l'OIT, Juan Somavia, qui tenait à s'adresser au Groupe des travailleurs. On l'apprendra plus tard, sa réélection est disputée. Il rappelle les objectifs de l'OIT, les défis à venir face à la pauvreté notamment, ainsi que l'importance des normes de l'OIT, en particulier des conventions 87 et 98 sur les libertés syndicales, «base et essence même de notre organisation» et du progrès social. «Ce discours était très consensuel, mais nous a permis de distinguer les enjeux», remarquera par la suite un jeune syndicaliste d'Unia. Qui parle encore de l'émotion suscitée par un délégué demandant à l'OIT avec force, en fin de séance, d'intensifier ses efforts pour lutter contre la famine. «Il faudrait 30 milliards de dollars pour couvrir les besoins, ce n'est rien face aux 1000 milliards dépensés chaque année pour l'armement!» lance-t-il.

Echanges tripartites
Les syndicalistes suisses débutent ainsi une journée organisée dans le cadre de la formation des secrétaires syndicaux de Movendo. Ils se dirigent ensuite vers des séances de commissions, tripartites cette fois. Les uns se rendent à la Commission de la promotion de l'emploi rural, où siègent Ruth Daellenbach, directrice de l'Oseo, et Anne Holenweg de Movendo, conseillères techniques pour les syndicats suisses. Les autres filent avec Jean-Claude Prince, ancien délégué des travailleurs suisses à l'OIT, vers le bâtiment du Bureau international du travail où se réunit la Commission d'application des normes. Après une rencontre impromptue avec Marc Blondel, ancien secrétaire général de Force ouvrière, les jeunes syndicalistes assistent, depuis la galerie surplombant les délégués des travailleurs, des gouvernements et des employeurs, aux échanges sur la discrimination syndicale et les nombreux licenciements de syndicalistes en Georgie. Représentants du Gouvernement, des syndicats et des patrons échangent leurs arguments, il est demandé à la Georgie de mettre sa législation en conformité avec la Convention 98. Les discussions se poursuivent, un rapport en sortira, mais nos syndicalistes doivent déjà rejoindre leurs collègues pour une rencontre avec des délégués d'autres pays (voir ci-dessous). Dans l'après-midi, Ruth Daellenbach présentera encore l'action de l'Œuvre suisse d'entraide ouvrière (Oseo) et ses engagements, notamment pour la promotion du travail décent.

Expérience à renouveler!
«Je savais que l'OIT existait, mais c'était très abstrait. Je pensais que les représentants des travailleurs n'étaient là que pour la forme. Et j'ai constaté que les syndicats avaient leur mot à dire. Je trouve dommage que nos syndicats ne nous informent pas suffisamment là-dessus», relève une participante à l'issue de la journée, alors que d'autres disent leur satisfaction d'avoir pu découvrir une institution dont ils ignoraient l'existence. Unanimement, ils regrettent le manque de temps à disposition. Et saluent l'enrichissement apporté par l'échange avec les syndicalistes d'autres pays.
Face à l'engouement suscité par cette «première» de Movendo, Anne Holenweg, maître d'œuvre de la journée, affirme que l'expérience sera réitérée l'année prochaine dans le cadre de la formation des secrétaires syndicaux, mais aussi pour les membres des syndicats.

Sylviane Herranz




La solidarité, une nécessité!
Une discussion riche d'enseignements entre syndicalistes suisses, philippin, roumain et togolais.

«C'est la 5e fois que je viens à la Conférence de l'OIT, pour des rapports complémentaires sur la plainte que nous avons déposée sur le non-respect des droits des travailleurs par le Gouvernement et la direction de Toyota», relève Ed Cubelo, président du Syndicat des travailleurs de Toyota aux Philippines, lors de la rencontre organisée par Jean-Claude Prince après la visite de l'institution.
Depuis 2001, Ed Cubelo se bat pour la réintégration de 136 ouvriers licenciés illégalement par Toyota et pour la reconnaissance de son syndicat. Il rappelle les décisions prises par le comité de la liberté syndicale de l'OIT et le refus du Gouvernement et de Toyota de les appliquer, ces derniers poursuivant leur politique anti-syndicale. Un camp de l'armée a même été installé aux abords de l'usine. Ed Cubelo raconte les incursions des militaires dans les locaux du syndicat à la recherche des dirigeants, et les menaces de mort à leur encontre, alors que les assassinats de syndicalistes sont monnaie courante aux Philippines. Et en appelle à la solidarité des syndicalistes de Suisse et d'ailleurs pour le combat de son syndicat.

Violations des droits syndicaux, partout
Une solidarité qui n'est pas un mot creux pour Tétévi Norbert Gbikpi-Benissan, secrétaire général de l'Union nationale des syndicats indépendants du Togo. «Les violations des droits syndicaux sont la norme au niveau international», explique ce syndicaliste qui siège à la commission des normes de l'OIT. Il évoque également la crise alimentaire actuelle et la responsabilité des anciennes puissances coloniales et des institutions financières internationales. «Sous leur instigation, nous avons été contraints d'implanter des cultures de rente, café, cacao, etc, au lieu de mettre en place une vraie politique agricole. Aujourd'hui, nous sommes confrontés à la famine, aux prix qui ne cessent d'augmenter.» Pour ce syndicaliste, la situation de pauvreté et de guerres qui prévaut en Afrique n'est que l'image de ce que deviendront tous les pays si les travailleurs et les peuples ne mettent pas un coup d'arrêt à la déréglementation. «Nous sommes tous dedans. Il n'y a qu'une seule voie pour s'en sortir, c'est la solidarité, sinon c'est la marche à la barbarie!»

La résistance chez Dacia
Le syndicaliste Ovidiu Popescu est juriste et siège aussi à la commission des normes. Il travaille pour Cartel Alfa, l'une des plus grandes confédérations syndicales de Roumanie. Il revient sur la grève des ouvriers de Dacia, filiale de Renault en Roumanie, et sur ce qui relie cette grève à la plainte déposée à l'OIT en 2006 sur la loi sur les conflits du travail, plainte qui a forcé le Gouvernement à engager une réforme de ce droit. «En mars, nous avons exigé une hausse des salaires. Vu les problèmes législatifs dont nous avons fait état dans notre plainte, nous avons dû saisir le tribunal du travail pour les augmentations, et engager une autre procédure pour mettre sur pied la grève. Le patronat ne voulait nous donner que 4% d'augmentation, nous demandions 18%. Après 3 semaines de grève, le tribunal nous a donné raison, il a prononcé un arrêt pour l'augmentation que nous demandions et a reconnu la légalité de la grève. C'est une gifle pour le patronat français!»
S'engage ensuite une riche discussion entre les syndicalistes présents. Jacques Vigne, ancien fonctionnaire des Nations Unies et délégué suppléant pour les travailleurs suisses à l'OIT explique le combat mené au sein même des institutions internationales contre la précarité des conditions de travail. La question de l'égalité et des conditions de travail des femmes en Afrique, en Asie, en Roumanie et en Suisse sont débattues. Des échanges qui témoignent que partout, de grandes avancées sont encore à faire. «Cette rencontre était géniale, quand on voit le charisme et le vécu de ces personnes, ça motive», souligne un jeune syndicaliste suisse.
SH



L'OIT en bref

- L'Organisation internationale du travail a été fondée en 1919 dans le but d'apporter les réformes sociales nécessaires à une «paix universelle et durable».
- Seule institution tripartite des Nations Unies, elle réunit chaque année, lors de la Conférence internationale du travail, des représentants des gouvernements, des travailleurs et des employeurs des Etats membres (182 aujourd'hui).
- Le Bureau international du travail (BIT) est le secrétariat permanent de l'OIT.
- L'OIT compte 186 conventions internationales du travail. Les 6 premières, adoptées en 1919, portaient notamment sur la durée du travail, la protection de la maternité et l'interdiction du travail des enfants dans l'industrie.
- Une fois ratifiée par un état membre, une convention a force de loi dans le pays et doit y être appliquée.


Pour plus d'informations: www.ilo.org