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«Consolider la force du “Nous”»

Jacques Dubochet
© Thierry Porchet

Pour Jacques Dubochet, «la nature est le fondement de la beauté».

Jacques Dubochet surfe sur la vague du prix Nobel pour faire passer ses convictions d’homme de gauche et d’écologiste convaincu

Sa mère prédisait un prix Nobel à son fils. Pourtant, celui-ci cumulait de mauvais résultats scolaires – mis sur le compte de sa dyslexie, devenue «oreiller de paresse» –, et une certaine «infirmité sociale». Sauf que cet enfant avait une furieuse obsession de comprendre le monde. Grâce à l’opiniâtreté de sa mère et grâce à un sursaut de lucidité de sa part, il rattrapa le train studieux qui le conduira à l’université, où il plonge dans le monde de la physique.

Cinquante ans plus tard, c’est toujours cette curiosité insatiable qui jaillit des yeux bleu ciel de Jacques Dubochet, prix Nobel de chimie 2017 – une mention indiquée sur une grande plaque à l’entrée du bâtiment universitaire lausannois où se trouve son bureau. «Depuis que j’ai pris ma retraite en 2007, j’avais un peu peur qu’on me foute dehors. Maintenant, je suis tranquille», rit-il, comme s’il était fier de sa farce. Soit, un prix Nobel. Une reconnaissance pour Jacques Dubochet, qui surfe sur la vague médiatique pour faire passer ses idées militantes, notamment écologistes. 

C’est aussi l’idée de son livre, Parcours, paru en mai. Une manière de développer ses idées humanistes, philosophiques, scientifiques qu’il a couchées sur papier dans de petits cahiers depuis toujours, puis sur son blog depuis quelques années. Des écrits qui lui faisaient dire à une amie, Lia Rosso, biologiste de métier, qu’il éditerait un jour chez elle. C’est chose faite.

A gauche par réalisme

Pour ne citer que quelques-uns de ses engagements, Jacques Dubochet fait partie du groupe Grands-parents pour le climat, donne des cours de math à de jeunes migrants et est conseiller communal socialiste à Morges. Sur ce dernier point, il soupire: «C’est un peu pénible… Que fait-on? Alors qu’on devrait être des générateurs d’idées face aux changements climatiques, on accepte le contournement de Morges. Il faut arrêter avec cette bagnole!»

En 1968 déjà, le jeune Jacques était cueilli par la police pour avoir accroché des affiches contre le Salon de l’auto. Quelques années auparavant, il découvrait à l’armée, les théories marxistes. Aujourd’hui, il écrit dans Parcours l’importance, face aux défis de notre temps, de trouver des solutions collectives. «Pour ce faire, notre société a un urgent besoin de consolider la force du “Nousˮ. Ce n’est pas la morale qui me dit de m’engager à gauche, c’est le réalisme et le choix du sens que je veux donner à ma vie.»

Une révolution

Dans les années 1980 à 1984, Jacques Dubochet – avec ses deux collaborateurs de recherche, l’écossais Alasdair McDowall et feu le Français Marc Adrian – sent qu’une petite révolution se déroule dans leur laboratoire de Heidelberg en Allemagne. «On a alors découvert les fondements de la méthode de cryo-microscopie électronique, qui, avec la suite de nos travaux et avec ceux de beaucoup d’autres – en particulier, ceux de Joachim Frank et Richard Henderson, colauréats du prix Nobel – a complètement explosé, car la résolution atomique a été atteinte! Ainsi, on peut voir les atomes. Et ça, ça change tout. Quand la chimie s’immisce dans la physique, c’est puissant! explique Jacques Dubochet, avec un enthousiasme contagieux. Cette technologie n’est pas encore au service de la qualité de la vie, mais ça ne saurait tarder. On peut par exemple observer pour la première fois les filaments d’une cellule atteinte d’alzheimer, mais encore faut-il trouver si ce sont bien les filaments le problème et comment les empêcher de nuire…» Didactique, Jacques Dubochet résume: «On immobilise l’eau sans changer sa structure. A l’intérieur, tout est vrai. Autrement dit, on arrête le temps.» Pas de desséchement, pas de congélation, alors que l’eau est refroidie à -170°.

Son inspiration? Généralement, elle lui vient en faisant son jogging. «C’est tout le corps qui pense. Et la nature est source de notre inspiration, de notre imagination», relève l’athée qui se définit comme terre-à-terre sans aucune idée réductionniste.

Faire ce qu’on aime

«Aux enfants, j’aime leur dire qu’ils ne peuvent pas savoir où sont leurs talents. Mais qu’ils peuvent chercher ce qu’ils aiment, et le faire», relève Jacques Dubochet qui écrit dans son curriculum vitae que sa «carrière scientifique expérimentale en Valais et à Lausanne (instruments: couteaux, aiguilles, ficelles, allumettes)» a eu lieu entre 6 et 13 ans. Un CV pétri d’humour disponible sur son blog et très médiatisé. «Le fait que ce CV ait fait un pareil chenit montre l’étroitesse de notre société, et à quel point on obéit à ses exigences stupides.» Autrement dit, un CV se doit d’être sérieux et ennuyeux. «J’avoue que j’ai toujours aimé être un peu spécial», sourit le scientifique atypique, qui n’a de cesse de créer des ponts entre les différentes disciplines – notamment en collaborant à la mise sur pied à l’Unil du programme «Biologie et Société» – et de revendiquer la connaissance comme un bien commun. 

Face aux changements climatiques à venir, probablement aussi bouleversants que celui qui fut à l’origine de la disparition des dinosaures, il aime citer Antonio Gramsci: «Je suis pessimiste avec l’intelligence, mais optimiste par la volonté.» Tout en précisant dans son cas: «Gramsci est mort pour ses idées. J’ai vécu tranquillement. Donc je dirais que j’ai l’optimisme de la nécessité. On n’a pas le choix. Je ne peux pas dire aux jeunes, débrouillez-vous, je me taille!» 

Jacques Dubochet croit en l’homme bon, sensible et altruiste. Et aux valeurs de fraternité, d’égalité et de liberté (dans l’ordre). «Quand j’ai vu le sauvetage de cet enfant à Paris par cet homme sans papiers, j’avais les larmes aux yeux.»

Parcours, Jacques Dubochet, Rosso Editions, 2018