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Caisse de résonance du peuple péruvien

Portrait de Charito Wuillemin vêtue d'un t-shirt de la grève féministe.
© Olivier Vogelsang

Activiste à plein temps, Maria del Rosario Ugarte Wuillemin, est plus connue sous son diminutif «Charito».

Militante de gauche et féministe, active dans le monde associatif genevois, Charito Wuillemin s’engage actuellement pour le Pérou, son pays natal en crise

Fin janvier, Charito Wuillemin s’est lancée dans un véritable marathon pour encadrer la militante indigène péruvienne Lourdes Huanca en visite en Suisse. «Elle est impressionnante. Chaque jour, elle est allée à la rencontre de politiciens suisses, de l’ONU, des associations, avant de passer encore des heures, via zoom, à écouter sa base au Pérou… La nuit, je l’entendais pleurer sur notre peuple massacré», raconte celle qui, avant sa tournée européenne, ne connaissait sa compatriote que de nom. «Actuellement en Belgique, j’espère que Lourdes pourra revenir en Suisse, car rentrer au Pérou maintenant serait trop risqué. Elle est menacée de mort.»

Plus de soixante manifestants ont été tués dans les rues péruviennes par la police depuis que le président Pedro Castillo a été démis de ses fonctions le 7 décembre. «Castillo représente les peuples indigènes ruraux, malmenés et invisibilisés, victimes de la pollution générée par l’extractivisme des multinationales. Celles, très critiquées par le président, dont les concessions arrivent à leur terme. De quoi se demander à qui profite le chaos? interroge Charito Wuillemin. Lors des élections, tout comme Lourdes, j’ai soutenu Verónica Mendoza dont le discours féministe et inclusif me touchait davantage. Au second tour, nous avons fait barrage à la droite corrompue de Keiko Fujimori soutenue par l’Eglise et l’extrême droite. L’enseignant rural et syndicaliste Castillo a été élu. Les critiques racistes à son égard ont touché les indigènes qui se sont totalement identifiés à leur président. La droite l’a empêché de gouverner; et la vice-présidente, Dina Boluarte, a retourné sa veste.» La militante souligne la gravité de la situation et en appelle à une réaction de la communauté internationale pour qu’une enquête indépendante soit menée et justice rendue.

Une famille engagée

Son engagement sans faille contre les injustices prend sa source dans son enfance. Dans les rues de Cusco, Charito (diminutif de Maria del Rosario) Ugarte (son nom de jeune fille) manifestait déjà aux côtés de ses parents, responsables de l’ONG ATD Quart-Monde Pérou. Elle se souvient avoir accompagné son père dans les zones andines où elle a pris conscience des inégalités et du racisme à l’encontre des peuples indigènes.

En 1995, à l’invitation de la branche suisse de l’organisation, la famille reçoit un visa d’une année. Charito a 14 ans. Elle entre dans une classe d’accueil genevoise, où elle apprendra la langue. Et tombe amoureuse de Tim, le fils des responsables de l’ONG à Genève. Lorsque la jeune fille et sa famille retournent en Amérique du Sud, leur amour secret devient épistolaire. La jeune fille poursuit ses études en biologie, le jeune homme en médecine, jusqu’au moment où ils se retrouvent au Pérou et décident de se marier. «Pour le visa en vue du mariage, nous avons dû montrer nos lettres, nos photos…» raconte celle qui n’obtiendra finalement un permis de séjour que six mois plus tard. «Je n’avais pas le droit de travailler et on n’avait pas beaucoup d’argent, car mon mari étudiait encore. Mon diplôme universitaire n’ayant pas été reconnu, cela m’a découragée de reprendre des études.»

Charito travaillera ensuite comme serveuse dans de nombreux restaurants. «C’était difficile, mais très formateur. Epouse d’un Suisse et parlant français, j’étais payée environ 19 francs l’heure. Mais certains de mes collègues, sans papiers, ne touchaient pas plus de 8 francs. Cette reproduction de l’esclavagisme me choquait. Je me souviens de ce jour où je n’ai pas eu le courage de défendre une collègue indienne licenciée sur-le-champ pour avoir demandé davantage de temps pour effectuer les nettoyages. Cela m’est resté au travers de la gorge… raconte-t-elle encore avec émotion, et a alimenté ma rage contre les inégalités.»

Bénévole au grand cœur

Charito Wuillemin met au monde son premier enfant, puis continue de cumuler les heures comme responsable d’un restaurant. «Je ne voyais ma fille que très peu. Je rentrais du travail tellement stressée et fatiguée que ma seule envie était qu’elle s’endorme vite.» La goutte qui fera déborder le vase: son patron la paie moins que d’autres, car elle n’a pas de diplôme dans le domaine. «J’ai décidé d’arrêter. Mais j’ai quand même fait mon CFC de gestion de commerce par validation des acquis, comme une sorte de revanche, sans jamais l’utiliser.»

Depuis, elle devient mère une deuxième fois et ne compte plus ses heures de bénévolat. Son premier contact associatif a été la Maison des Enfants dans son quartier des Grottes à Genève. «Notre centre d’accueil voulait privilégier la cogestion entre les éducateurs et les parents, ne pas être institutionnalisé. Nous avons réussi», se souvient-elle, avec le sourire.

Charito Wuillemin s’engage ensuite auprès de l’Association des parents d’élèves, et de La Escuelita Onex qui donne des cours de langue et de culture aux enfants d’Amérique latine. «Bien apprendre sa langue maternelle est essentiel pour mieux s’intégrer et mieux maîtriser le français», précise la volontaire, aussi active à la ludothèque de la Servette et dans l’association de quartier Pré en bulle.

«Je n’ai pas de salaire, mais toutes ces expériences sont formatrices et reconnues à leur juste valeur, au moins par ma famille», souligne Charito Wuillemin, également engagée dans le collectif genevois de la grève féministe depuis le 14 juin 2019. Un moment clé dans sa vie. «J’y suis allée avec des copines et j’ai été hallucinée par cette marée violette. Je me suis alors engagée dans le collectif, et j’ai participé, après la révolte au Chili, aux actions de Las Tesis avec la performance Un violeur sur ton chemin. On s’est ensuite mises aux tambours sur l’impulsion d’une amie colombienne pour qui une manifestation ne peut se faire sans musique.» Dès lors membre de la Red de Tamboreras de Suiza, elle frappera sur son tambour pour l’égalité le 8 mars et le 14 juin.