«Block Friday»: manifestants acquittés
Le Tribunal cantonal de Fribourg a disculpé les militants pour le climat qui avaient été condamnés lourdement en première instance pour leur action de désobéissance civile devant un centre commercial. Le droit de manifester est renforcé
Une victoire, enfin! Pour les militants, la liberté d’expression et la cause climatique. Les juges cantonaux fribourgeois ont acquitté les 27 activistes qui avaient manifesté pacifiquement devant les portes du centre commercial au cœur de Fribourg lors du Black Friday 2019. «C’est un soulagement que nos libertés fondamentales aient été prises en compte, témoigne l’une des prévenues. Cela me donne une meilleure image de la justice. Mais si notre action a permis une certaine prise de conscience du lien entre la consommation effrénée promue par le Black Friday et le désastre climatique, l’inertie politique continue. La Suisse ne respecte toujours pas l’Accord de Paris...»
L’audience s’est déroulée le 28 novembre dernier, trois ans après l’action de désobéissance civile intitulée Block Friday, devant la Cour d’appel pénal du Tribunal cantonal fribourgeois. La décision est tombée trois jours plus tard. Elle annule le verdict du juge de première instance qui avait condamné lourdement les militants. Comme le souligne le communiqué des Avocat.e.s pour le climat, les juges «ont considéré que la simple absence d'autorisation de manifester et de faire de la sorte un usage accru du domaine public, ne pouvait justifier une condamnation pénale lorsque l'acte de défiler, en silence ou en scandant des slogans, cherche à contribuer au débat de société relatif au changement climatique».
Manifester sans autorisation
La Cour d’appel se réfère à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) sur la liberté d’expression. Plus spécifiquement pour les sept activistes qui se sont enchaînés à des caddies pour faire barrage symboliquement à la société de consommation, l’infraction de contrainte n’a pas été retenue, du fait qu’un simple détour permettait d’entrer dans le magasin. Par contre, une peine de 150 francs d’amende reste à la charge de celles et ceux qui n’ont pas obtempéré aux sommations de la police d’évacuer les lieux, deux heures après le début de la manifestation. L’un des six avocats à avoir défendu les manifestants en appel, Me Christian Delaloye, ancien bâtonnier de l’ordre des avocats fribourgeois, se réjouit de cette décision: «Ce qui est très important, c’est la reconnaissance du droit de manifester, même sans autorisation préalable. Cela ne signifie toutefois pas que l’on ne doive plus demander d’autorisation. Et tout reste une question de proportionnalité. Pour les militants, c’est aussi un soulagement que la notion de contrainte qui aurait été inscrite dans leur casier judiciaire n’ait pas été retenue.»
Dans le cadre du procès en appel, l’avocat confirme que l’état de nécessité n’a pas été abordé. Pour mémoire, le Tribunal fédéral avait rejeté cet argument dans l’affaire vaudoise des «joueurs de tennis», le premier procès climatique en Suisse. «Tant que la Cour européenne des droits de l’homme ne se sera pas déterminée suite à leur recours, ce n’est plus la peine d’aborder ce point», estime Me Christian Delaloye, membre de surcroît des Avocat.e.s pour le climat, association dont les prémisses sont nées lors du procès collectif exceptionnel du Block Friday. En juin 2021, l’audience avait réuni à Fribourg une trentaine d’accusés, une douzaine d’avocats et un public nombreux. La motivation écrite du Tribunal cantonal pour connaître les détails de sa décision est attendue avec beaucoup d’intérêt. Reste une inconnue: le Ministère public fera-t-il appel au Tribunal fédéral?
Face à la crise climatique, la justice évolue lentement
«On va dans le bon sens, tant au niveau suisse qu’européen. Dans le landerneau judiciaire, la question des procès climatiques est centrale.» Me Christian Delaloye, membre de l’association des Avocat.e.s pour le climat, donne pour exemple quelques actions, rien que ce dernier mois: les tribunaux hollandais ont refusé d’indemniser les dommages subis par deux géants de l’énergie, RWE et Uniper, à la suite de l’interdiction d’exploiter leurs centrales à charbon aux Pays-Bas; l’action en justice d’ONG contre des multinationales de l’agroalimentaire françaises; ou encore la plainte de l’Alliance climatique suisse déposée contre la FIFA pour greenwashing. Au mois d’octobre, ironie du sort, l’avocat avec trois autres consœurs et confrères présentaient des morceaux de leur plaidoirie du procès Block Friday au Théâtre de Vidy après la projection du film Etat de nécessité du réalisateur Stéphane Goël. Fin septembre, dans le cadre du procès des 200 – du nombre des personnes ayant fait opposition aux ordonnances pénales reçues à la suite des actions de désobéissance civile à Lausanne – trois militants obtenaient enfin gain de cause devant le Tribunal cantonal vaudois. Ils ont été acquittés, comme une poignée d’autres camarades en novembre, après leur tentative de blocage sur la place Saint-François. «C’est une belle victoire, car les juges ont estimé que, même si la manifestation n’était pas autorisée et qu’elle impliquait un blocage de route, la répression immédiate d’une manifestation est contraire aux droits fondamentaux et à la CEDH, explique leur avocat Me Florian Thiébaut. Les manifestants doivent pouvoir exprimer leur opinion dans l’espace public et un délai de tolérance doit être octroyé.» Dans le cas précis, la police était intervenue au moment de la tentative de blocage. Pour Joe, qui s’exprime au nom du comité des 200, dans un communiqué: «C’est enfin le droit de manifester qui est reconnu, y compris sans avoir formellement demandé et reçu une autorisation préalable. Les manifestations spontanées sont légales et légitimes.» Reste que, dans les multiples autres procès (depuis septembre 2021), les condamnations continuent de pleuvoir, en première instance comme au niveau cantonal. Plusieurs militants ont fait recours au niveau fédéral…