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Au cinéma en octobre

Image tirée du film La dérive des continents.

"Tori et Lokita" de Jean-Pierre et Luc Dardenne, "La dérive des continents (au sud)", de Lionel Baier et "Maria rêve" de Lauriane Escaffre et Yvo Muller sont à découvrir dans les salles obscures


Rencontre avec l’amitié

Fidèles à leur cinéma social et engagé, les réalisateurs belges Jean-Pierre et Luc Dardenne proposent Tori et Lokita. Un film qui dénonce les difficiles conditions d’exil des mineurs étrangers non accompagnés dans les sociétés occidentales. Et qui met en scène une bouleversante histoire d’amitié

Image tirée du film.

 

Tori et Lokita sont des mineurs étrangers non accompagnés venus d’Afrique et qui s’aiment comme frère et sœur. Débarqués en Belgique après un périple qu’on ne saurait imaginer, ce jeune garçon et cette adolescente aspirent désormais à refaire leur vie. Lokita a notamment pour objectif de devenir aide-ménagère. Mais pour tout cela, il faut obtenir l’indispensable permis de séjour en passant par des entretiens aussi humiliants qu’intrusifs. Acculés par les passeurs qui les ont fait entrer en Europe et qui réclament leur dû, mais également par la famille restée au pays qui demande de l’argent, les deux jeunes réfugiés se retrouvent ainsi à la merci de Betim. Ce cuistot, affilié à un trafic de drogues, n’hésitera pas à exploiter ces enfants dans de sombres besognes. Et pour survivre à toutes les difficultés du déracinement, Tori et Lokita ne pourront compter que sur l’amitié sans faille qui les unit. Un lien fraternel si fort qui les mènera à prendre des risques inconsidérés…

Film de dénonciation

«Notre film est devenu un film de dénonciation de cette situation violente, injuste, vécue par ces jeunes en exil, dans notre pays, en Europe», expliquent Jean-Pierre et Luc Dardenne à propos de l’origine de Tori et Lokita. Depuis plus de trente ans, ces deux frères, réalisateurs et scénaristes belges, composent en effet une filmographie socialement engagée, qui met constamment le doigt sur les inégalités. A l’image de Rosetta en 1999, de L’Enfant en 2005 ou encore de Deux jours, une nuit en 2014.

Fidèles à leurs principes, les cinéastes proposent ici un nouveau long métrage à la mise en scène sobre, épurée et sans fioritures qui viendraient biaiser leur message (par exemple la musique off). Le résultat en est un film hyperréaliste, mais non dénué d’un féroce suspense, permettant une représentation exemplaire de la situation de détresse, de faiblesse et d’exploitation dans laquelle se retrouvent les deux héros. Des héros pris en étau de tous les côtés (trafiquants, passeurs, famille) et qui évoluent dans une société où aucune structure digne de ce nom ne semble capable de les protéger.

Barrage contre l'infamie

Face à ces turpitudes, l’amitié se présente comme le dernier barrage contre l’infamie. Un sentiment qui permet, ainsi que l’expliquent les cinéastes, «de résister aux épreuves de leur difficile condition d’exilés et se révélant être le refuge d’une précieuse dignité humaine préservée au milieu d’une société de plus en plus gagnée par l’indifférence sinon par le cynisme de ses intérêts». Avant de conclure: «Notre plus cher désir est qu’à la fin du film, le spectateur et la spectatrice qui auront ressenti une profonde empathie pour ces deux jeunes exilés et leur indéfectible amitié, éprouvent aussi un sentiment de révolte contre l’injustice qui règne dans nos sociétés.» Un pari remporté haut la main!

Tori et Lokita, de Jean-Pierre et Luc Dardenne, sortie en Suisse romande le 5 octobre.


Rencontre avec des migrants

En choisissant de traiter la crise migratoire sous l’angle de la comédie, le cinéaste lausannois Lionel Baier réalise un film détonnant et vient mettre le doigt sur toutes les aberrations de la bureaucratie européenne. Le troisième opus d’une série consacrée au Vieux-Continent

Image tirée du film.

 

Sicile, février 2020. La Française Nathalie Adler est en mission pour l’Union européenne. Elle se trouve notamment en charge d’organiser la prochaine visite d’Emmanuel Macron et d’Angela Merkel dans un camp de migrants. Un événement hautement symbolique avec comme objectif de démontrer la maîtrise du couple franco-allemand sur la situation. Mais, alors que chaque représentant des deux gouvernements tente de tirer la couverture à soi, débarque Albert, le fils de Nathalie, qui a coupé les ponts depuis des années. Ce jeune militant engagé auprès d’une ONG est bien décidé à court-circuiter cette visite officielle. Des retrouvailles familiales qui s’annoncent explosives et à l’image de la politique migratoire européenne: au bord de la crise de nerfs!

Troisième épisode d’une tétralogie consacrée à l’Europe, La dérive des continents (au sud) fait donc suite à Comme des voleurs (à l’est) et Les grandes ondes (à l’ouest) qui avait pour toile de fond la Révolution des œillets au Portugal. A la manœuvre, le réalisateur et scénariste lausannois Lionel Baier qui exprime avec ce film toute son ambivalence envers les politiques européennes. «S’il y a bien une chose à laquelle je crois, explique-t-il, c’est la construction européenne. A mes yeux, c’est le seul rempart contre la barbarie et le nationalisme, que j’exècre. Comme l’Union européenne est un espace démocratique, il est de notre devoir de la questionner, de nous en amuser, de la critiquer.»

Absurdité dramatique

Ainsi, derrière les garde-fous institutionnels, représentés ici par l’héroïne, europhile convaincue, le long métrage vient mettre le doigt sur les inepties entourant la gestion de la crise migratoire. Des aberrations expérimentées par le cinéaste lui-même lors d’une visite du camp de Mória en Grèce: «Les chaînes de télévision rivalisaient pour faire des directs avec les arrivants, sélectionnant celles et ceux qui étaient les plus télégéniques. Les touristes de toute l’Europe incluaient dans leur visite de l’île un passage par le camp pour observer les migrants derrière les barbelés. Il y avait là quelque chose de pathétique et de honteux.»

C’est cette «absurdité dramatique» – pour reprendre les termes du cinéaste – qui est ici brillamment mise en scène. Avec des représentants des gouvernements déblatérant des répliques d’une drôlerie aberrante, tout en se faisant une image parfaitement caricaturale de la vie d’un camp. En face, le jeune Albert n’est pas en reste en enchaînant les clichés et les lieux communs. Le résultat en est une farce tragi-comique où les personnages se tirent la bourre sous le regard abasourdi des migrants. Jusqu’à ce que l’intervention d’une jeune Camerounaise remette tout le monde à sa place. Et pour que, finalement, en ce mois de février 2020, une crise laisse sa place médiatique à une autre…

La dérive des continents (au sud), de Lionel Baier, dans les salles de Suisse romande depuis le 21 septembre.


Rencontre avec l’art

En racontant l’histoire d’une femme de ménage parachutée dans le milieu de l’art contemporain, Maria rêve se présente comme une comédie tendre, tout en délicatesse. Un film qui vient surtout mettre à l’honneur, sur grand écran, une profession invisible

Image tirée du film.

 

Maria, la cinquantaine et mariée depuis 25 ans, exerce le métier de femme de ménage. Timide, réservée et un peu maladroite, elle décroche grâce à son expérience un poste au sein de la prestigieuse Ecole des Beaux-Arts de Paris. Maria y découvre un lieu fascinant où règnent la liberté, la créativité et l’audace. Et elle fait la connaissance d’Hubert le gardien immémorial, un personnage énigmatique qui vient la déstabiliser. Dans cet univers si éloigné de son quotidien et faisant preuve d’un certain snobisme, Maria se retrouve soudainement questionnée, émue, voire bouleversée par les œuvres et les créateurs qui l’entourent. Elle qui a toujours été si dévouée et discrète, va-t-elle pouvoir se faire une place dans ce monde?

Comédie tendre aux accents romantiques, Maria rêve est le premier long métrage écrit et réalisé par Lauriane Escaffre et Yvo Muller. Aux côtés de ce duo de cinéastes français, on retrouve la populaire comédienne Karin Viard dans le rôle-titre. Jouant sur la rencontre de cette femme de ménage réservée avec le monde alambiqué et parfois élitiste de l’art contemporain, le film échafaude un dispositif comique axé sur les dissemblances et les contrastes. Tout en évitant la caricature. On s’amusera par exemple de voir Maria jeter par accident une œuvre d’art qu’elle prend pour un détritus... «Cela arrive tout le temps», précise Lauriane Escaffre qui s’est longuement immergée, avec son acolyte, dans le quotidien de l’Ecole des Beaux-Arts pour l’écriture du scénario.

Visibiliser une profession

Mais en plus de sa légèreté, Maria rêve suit le double objectif de mettre à l’honneur non seulement les femmes de plus de 50 ans, mais surtout celles exerçant ce métier précaire. «Maria est un personnage qu’on n’a pas l’habitude de regarder, qui n’a pas une grande visibilité dans la société, explique la coréalisatrice […]. Elle exerce une profession où l’on est invisible mais où l’on voit tout.» Et d’affirmer que leur film «est devenu un engagement politique […]. S’il y a, en France, 50% des femmes majeures qui ont plus de 50 ans, elles ne représentent, à l’écran, que 8% des personnages féminins. […] Nous voulions mettre en avant une épouse, une mère, bref un personnage très concret que l’on croise sans cesse au quotidien, mais rarement au cinéma. […] Ce thème est pour nous un véritable enjeu de société. Au cinéma comme ailleurs, c’est la société patriarcale qui impose ses normes.» Un défi de visibilisation en tout point relevé pour ces deux cinéastes qui viennent représenter la profession de femme de ménage avec respect et finesse, mais également avec humour et sans cynisme. Quant à l’interprétation tout en subtilités – entre candeur et espièglerie – de la sympathique Karin Viard, elle vient donner crédibilité et épaisseur à un personnage loin des clichés.

Ainsi, en choisissant le ton de l’humour pour raconter cette rencontre entre deux mondes inconciliables en apparence, Maria rêve se présente comme un premier film autant rafraîchissant qu’intelligent.

Maria rêve, de Lauriane Escaffre et Yvo Muller, sortie en Suisse romande le 28 septembre.