Travaille et tais-toi!
Un espace démocratique qui rétrécit comme peau de chagrin, des entreprises échappant à tout contrôle guidées par une insatiable cupidité, le travail décent en recul, des inégalités continuant encore et encore à croître, creusant un fossé abyssal... L’injonction «Travaille et tais-toi!» se décline de manière universelle et toujours plus brutale comme en témoigne le dernier rapport de la Conférence syndicale internationale (CSI) qui dresse un tableau pour le moins sombre de la situation des droits des travailleurs dans le monde. Avec une conclusion sans appel: sur l’ensemble de la planète, la situation des classes laborieuses s’est dégradée. Aux quatre coins de la terre, des multinationales au pouvoir démesuré, des Etats sans foi ni loi exploitent sans limite une main-d’œuvre toujours plus bâillonnée et impuissante à se défendre. Une détérioration de ses droits qui s’exprime sur nombre de fronts. Avec, dans près de 40% des pays sur les 142 de l’étude, des interdictions ou des restrictions de s’organiser, de s’exprimer, d’agir. Dans 87%, un droit de grève bafoué – mode d’action de plus en plus criminalisé; dans 81%, l’impossibilité totale ou partielle de négocier collectivement. Sans oublier des catégories entières de salariés exclues des législations sur le travail dans 65% des Etats. Un nombre en 2018 là aussi en progression. Parmi ces personnes dépourvues de toute protection, sans surprise, des migrants corvéables à merci et, dans les pays du Golfe, réduits carrément au statut d’esclaves, victimes du système de la «kafala». Mais aussi des employés du secteur public et des travailleurs des économies de plateforme, toujours plus nombreux. Une dernière population œuvrant généralement sur appel, privée de couverture sociale, et supportant tous les risques tout en étant contrainte de suivre le plus souvent les règles établies par les patrons...
La CSI donne des exemples de cet affaiblissement général des droits des travailleurs. Comme au Brésil où le Gouvernement a fait une croix sur la liberté syndicale. Et procédé récemment à l’arrestation de son plus célèbre représentant, l’ex-président syndicaliste Lula. Plus qu’un symbole. Ou en Indonésie qui résout les conflits au travail par la menace des armes, s’appuyant sur les militaires. Ou en Chine, championne, entre autres, de la restriction de la liberté d’expression... Une liste désespérante et des modes de répression de travailleurs et de leurs représentants allant des «simples» licenciements au recours aux brutalités, incarcérations et assassinats comme dans neuf Etats d’Afrique et d’Amérique latine. Avec, un pic en Colombie, le nombre d’exécutions s’étant élevé à 19 contre 11 l’année précédente. Alors que les arrestations et les détentions arbitraires ont, elles aussi, augmenté. Une «réponse» pour laquelle ont opté 59 pays contre 44 en 2017. Et l’Europe n’est pas en reste non plus, 58% de ses Etats ayant enfreint les droits à la négociation collective et trois quarts violé le droit de grève.
Une violence directe ou larvée à l’encontre des travailleurs de plus en plus corsetés, censés produire de la richesse sans espérer en recueillir quelques miettes et le risque d’un monde à la botte des entreprises toujours plus fracturé et instable qui pourrait bien, à force de déréglementation, d’injustice et d’exclusion, finir par imploser...