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Les maîtres d’ouvrage mettent en danger les travailleurs de la construction

Les syndicalistes d'Unia et du Sit.
© Jérôme Béguin

Le 11 juillet, André Videira et Sergio Castro, secrétaires syndicaux d’Unia et du Sit, ont appelé l’inspection du travail pour arrêter un chantier de goudronnage, mais aucun inspecteur n’était disponible ce jour-là.

Les pénalités de retard augmentent la pression sur les entreprises, dissuadées d’interrompre les travaux en cas de canicule

Avec les grosses chaleurs, les risques d’accidents du travail augmentent. Les statistiques de la Suva montrent que les jours où le thermomètre dépasse les 30 °C, on enregistre 7% d’accidents en plus que les autres jours d’été. Les températures élevées peuvent entraîner des pathologies telles que des crampes, un épuisement, voire un coup de chaleur. «Ces troubles apparaissent de manière subite et leur issue peut, selon les circonstances, être fatale», avertit le Dr Irène Kunz-Vondracek, médecin du travail à la caisse d’assurance accidents. Les personnes qui travaillent à l’extérieur sont particulièrement menacées, comme les constructeurs de route, les couvreurs, les jardiniers ou les employés de la voirie. La Suva recommande aux salariés de se protéger la tête de la chaleur et de se couvrir la peau le plus possible, d’appliquer plusieurs fois par jour de la crème solaire sur les zones exposées et de boire toutes les 20 minutes 2,5 dl d’eau. L’assureur conseille aussi aux employeurs d’adapter le rythme du travail en effectuant de préférence les travaux exigeant des efforts intenses le matin, d’aménager des zones ombragées pour les postes de travail et d’organiser régulièrement des pauses à l’ombre.

Dans le secteur de la construction, ces recommandations sont impératives, imposées par la Convention nationale, l’Ordonnance sur les travaux de construction et la norme 118 de la Société des ingénieurs et des architectes. Elles peinent cependant à être suivies en raison des délais imposés par les maîtres d’ouvrage. Ceux-ci ont en effet tendance à infliger des peines conventionnelles aux entreprises en cas de retard. Le secteur public ne fait malheureusement pas exception. «Les maîtres d’ouvrages publics devraient montrer l’exemple dans ce domaine. Au lieu de cela, ils augmentent encore la pression et compromettent ainsi la sécurité au travail et la santé des maçons», dénonce le responsable de la construction d’Unia, Nico Lutz.

Un choix de société

Secrétaire régional d’Unia Valais, Blaise Carron a récemment résumé les enjeux au micro de Rhône FM: «Le goudronnage par des températures pareilles, c’est inhumain. Il faut savoir si on veut avoir tout de suite son goudron ou préserver la santé, c’est une question qu’il faut poser aux entités publiques. Les routes, c’est surtout du domaine des communes et des cantons et ceux-ci mettent souvent des pénalités si les délais ne sont pas respectés. On pourrait leur demander d’étendre les délais lorsqu’il y a des canicules pour que les salariés puissent s’arrêter de travailler ou travailler avec plus de pauses. Autrement, cela veut dire qu’on préfère qu’une route soit terminée en août, avec des salariés exposés à des dangers, plutôt qu’en septembre, mais avec des salariés protégés. Il s’agit d’un choix de société.» Et le syndicaliste d’ajouter: «Les canicules deviennent de plus en plus fréquentes. Avant, on avait une petite période caniculaire par année et cela faisait la une des journaux. Aujourd’hui, on en a trois ou quatre par été, ce qui fait que les travailleurs de la construction sont exposés de plus en plus, d’où la nécessité de trouver des solutions.»

Unia demande que le travail soit interrompu dans tous les cas dès que la barre des 35 °C est dépassée. Le syndicat entend aussi trouver une solution à la problématique des délais et améliorer l’indemnité de l’assurance chômage en cas d’intempéries. Les critères pour arrêter les chantiers manquent en effet de clarté, les deux jours de délai de carence à la charge des employeurs ont un effet dissuasif, auxquels s’ajoutent les 20% de perte de salaire pour les employés. Des discussions sont en cours à Berne avec des parlementaires pour trouver une solution politique. En attendant, la présence d’Unia sur les chantiers reste décisive pour faire respecter les règles en vigueur.

A Genève, il n’y a pas assez d’inspecteurs

Blocage de chantier par Unia en 2019.
«En 2019, nous avions arrêté un chantier de goudronnage où la température montait jusqu’à 50 °C. Nous avons écopé de plaintes pénales» a déploré José Sebastiao, secrétaire syndical d’Unia Genève, responsable du secteur bâtiment. © Unia/archives

 

A Genève, les syndicats sont en alerte. Unia, le Sit et Syna font quotidiennement la tournée des chantiers pour vérifier que les mesures de protection contre la chaleur sont bien appliquées. Au bout du lac, l’Office cantonal de l'inspection et des relations du travail impose aux entreprises exerçant une activité en plein air la mise en place d’un «plan d’action» avant la période estivale, dressant la liste des mesures organisationnelles, techniques et individuelles à prendre lors des jours de forte chaleur. Mais certains employeurs ne jouent pas le jeu, se contentant de «mesurettes», selon les syndicats, comme la mise à disposition de crème et de lunettes de soleil. L’Inspection du travail paraît, elle, manquer de moyens pour vérifier les plans d’action et sanctionner les entreprises en cas de manquement.

Ainsi, le 11 juillet, alors que le mercure frôlait les 37 °C, les syndicats ont pu constater qu’en plein cagnard, des ouvriers étaient envoyés poser du goudron, monter des échafaudages, isoler des façades ou aménager des jardins. Nous nous sommes rendus à Thônex, en périphérie de la ville, où sept ouvriers de l’entreprise Colas refaisaient l’allée et le parking d’un immeuble. Entre les goudronneuses qui dégageaient une forte chaleur en tournant, deux secrétaires syndicaux ont pris langue avec le chef d’équipe. «L’après-midi, vous devriez faire autre chose que le goudronnage», a dit André Videira, secrétaire syndical d’Unia Genève, au chef. «Oui, mais nous devons impérativement finir le chantier aujourd’hui», a répondu ce dernier. Les deux secrétaires syndicaux ont tenté d’alerter l’Inspection du travail. Des syndicalistes présents sur d’autres chantiers ont fait de même. Mais aucun inspecteur du travail ne pouvait ce jour-là se déplacer, des réunions et des formations occupant, semble-t-il, l’ensemble de l’effectif.

«Plusieurs chantiers devaient, selon nous, s’arrêter, mais ont continué», déplore José Sebastiao, secrétaire syndical d’Unia Genève, responsable du secteur bâtiment. «Nous constatons très clairement qu’il n’y a pas assez d’inspecteurs, ils sont souvent débordés et pas assez nombreux pour réaliser un contrôle général. C’est très frustrant pour nous. Si nous intervenons, nous risquons des poursuites. En 2019, nous avions arrêté un chantier de goudronnage où la température montait jusqu’à 50 °C. Nous avons écopé de plaintes pénales. Nous sommes enchaînés. Il faudrait que l’Etat réfléchisse sérieusement à donner aux syndicats un mandat de délégation afin que, lors des canicules, nous puissions, sur la base de critères précis, agir pour protéger la santé des travailleurs. Nous pouvons donner un coup de main, nous sommes tous les jours sur les chantiers.»

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