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Sélection de Cannes

Pour se faire une idée d'un festival aussi important que celui de Cannes, on peut aussi lire des journaux, écouter la radio, regarder la télévision, et surtout voir un peu partout les films qui sortent en même temps ou immédiatement après leur projection sur la Croisette.

On trouvera ci-dessous
- des remarques générales sur l'édition 2007 du festival
- des analyses sur six films placés dans un ordre décroissant de préférence personnelle, à savoir

L'avocat de la terreur - Barbet Schroeder - France
Le scaphandre et le Papillon - Julian Schnabel - France-(USA)
Zodiac - David Fincher - USA
La vieille maîtresse - Catherine Breillat - France
Les chansons d'amour - Christophe Honoré - France
Après lui - Gaël Morel - France


Cannes 2007

Cannes, chaque année, c'est une compétition avec une vingtaine de films, des sections parallèles avec d'autres dizaines, un marché du film où les propositions se comptent par centaines. Mais ce sont aussi les reflets rapides ou différés de Cannes dans nos régions. Il va de soi que les deux cinématographies les mieux introduites sur notre marché suisse romand, l'américaine en tête et la française ensuite, se taillent la fameuse part du lion : certains films, immédiatement visibles, profitent de la notoriété acquise à Cannes, vaste campagne publicitaire partiellement gratuite.

Arrivés rapidement pendant ou après le festival
Avec Zodiac et Le boulevard de la mort, Hollywood est présent avec deux films qui devraient être des succès commerciaux. Avec Le scaphandre et le papillon, Les chansons d'amour, Une vieille maîtresse, Après lui, L'avocat de la terreur, le cinéma français est très bien représenté. Pour des films d'autres pays, il faudra attendre quelques semaines, quelques mois, parfois plus encore et souvent jamais !

Un seul film du palmarès
Le jury, présidé cette année par l'anglais Stephen Frears, a surpris avec un palmarès peu attentif au cinéma disons « classique » américain ou européen. Il a rendu hommage à des films modestes de pays cinématographiquement émergents ou actuellement parfois endormis. Un seul des films visibles actuellement ici a retenu l'attention du jury, Le scaphandre et le papillon, signé par une équipe indépendante partiellement américaine soutenue par un producteur français.

Le succès reste acquis au divertissement
A Paris, ces dernières semaines, Pirates des caraïbes no 3 attire dix fois plus de spectateurs que le groupe des films présentés à Cannes, ce qui signifie clairement que le cinéma commercial de divertissement continue tout naturellement de dépasser le cinéma d'auteur plus ou moins ambitieux. Mais on espère pouvoir soutenir la palme d'or de cette année, le roumain Quatre mois, trois semaines, deux jours quand il nous parviendra.

La mort omniprésente
Les commentateurs attentifs des propositions de Cannes ont relevé une sorte d'omniprésence de la mort dans beaucoup de films en compétition, celle qui frappe de manière inattendue et sans conflits, plus que la violente si présente dans le cinéma commercial de divertissement. La mort en sa gravité, la mort à laquelle doit succéder un deuil pas facile à maîtriser, la mort parfois philosophique ou métaphysique : on la trouve dans les films déjà sortis sur les écran.
Elle est, déjà avec le titre du film parodique des années 70 chez Tarantino, dans son Boulevard de la mort. Le tueur à gages qui signe ses provocations du pseudonyme de Zodiac n'est pas au centre du film de Fincher.Ce criminel qui ne sera pas découvert et sème la mort finit par détruire à petit feu ceux qui enquêtent à son propos, un journaliste d'investigation, une dessinateur de presse, un inspecteur de police. Jacques Vergès, l'avocat et personnage central du portrait tracé par Barbet Schroeder dans L'avocat de la terreur aura côtoyé la mort au Cambodge, en Algérie, en Palestine dans des affrontements collectifs prolongés par les actes de terrorisme et de répression qui les accompagnent ou se développent ailleurs.
Une jeune femme est frappée par une maladie rare et inattendue dans les chansons d'amour. Un jeune homme meurt dans l'accident d'une voiture conduite par son meilleur ami dans Après lui: s'exprime la douleur des survivants ? Un enfant qui meurt en bas âge qui place aussi La vieille maîtresse sous le signe de la mort.


Six films

L'avocat de la terreur : Barbet Schroeder
Au centre de ce film, un avocat, Jacques Vergés, défend des causes parfois perdues d'un pays à l'autre, souvent liées au terrorisme. Dans un confortable décor, face à la caméra, fumant un généreux cigare, Vergès parle, semble dire la vérité, la dit, l'escamote, se tait - et un silence peut être révélateur. Le titre du film associe les deux notions d'avocat d'une part, de terreur de l'autre. Le second terme finit par prendre le dessus. Certes, formellement, le film se présente comme un document classique fait d'entretiens avec le personnage central, d'autres avec des témoins qui parlent de lui, proches ou se méfiants de lui, le tout accompagné de documents anciens. Ce document monté comme un film de fiction finit par ressembler à un des films les plus étonnants jamais réalisés, le Citizen Kane d'Orson Welles.
L'avocat de la terreur prend en compte plusieurs événements de l'histoire des années soixante à nos jours. Des mouvements de Libération (Algérie, Palestine), une guerre civile menée par les Khmers rouges s'y trouvent évoqués aussi bien que des mouvements terroristes (fraction allemande Armée Rouge, Carlos) ou des personnalités liés à des guerres (Klaus Barbie, Milosevic ). Vergès avocat, prenant la défense de poseurs de bombes, s'est trouvé partie prenante de l'Histoire récente dans certaines de ses formes les plus violentes.
Schroeder donne la parole, écoute, monte le film en laissant passer des contradictions, des prises de position de l'avocat dont la cohérence apparaît douteuse au spectateur, sans prendre parti, sans chercher à le piéger, sans le condamner mais sans être dupe d'exagérations ou de mensonges. La force du regard que le cinéaste porte sur Vergès et des événements qu'il aborda en avocat mais aussi en homme engagé parfois amoureux, c'est d'écouter, de ne pas se laisser « embobiner » dans une argumentation aussi brillante soit-elle.
Les méthodes de Vergès finissent permettent de saisir le fonctionnement de formes diverses de terreur. Djamila Bouhired posa des bombes qui tuèrent des civils. Arrêtée, elle fut condamnée à mort. Elle était juridiquement indéfendable. Vergès ameuta l'opinion publique internationale surtout en Europe, faisant de la poseuse de bombes le symbole même de l'Algérie opprimée et torturée qu'il eut été inadmissible d'exécuter. La jeune femme survécut, sortit de prison et fut quelques années durant l'épouse de l'avocat. L'avocat avait su plaider ailleurs qu'au tribunal.
Aurait-il défendu Hitler, ou si nécessaire Bush et sa guerre d'Irak ? Il est tout de même des causes difficiles à défendre, comme celle de Klaus Barbie qui participa largement à la déportation de juifs de France. Troublante, la réponse : oui, s'il avait plaidé coupable. Et habile : mais Barbie n'a pas plaidé coupable. Vergès n'eut pas l'occasion de mettre en pratique son exigence de culpabilité. Défendant Barbie, seul contre des dizaines d'avocats, accusateurs ou parties civiles, il finit par s'efforcer d'ouvrir un autre procès, celui de la France colonialiste ayant largement couvert la torture en Algérie dont finalement les méthodes n'avaient rien à envier à celles du nazisme.
L'avocat de la terreur est tout simplement un film passionnant à suivre, comme la plus tendue des fictions, qui couvre d'une manière plausible des pages d'histoire qui ne sont pas faciles à comprendre.



Le scaphandre et le papillon - Julian Schnabel
Au générique du film : Kathleen Kennedy, productrice pour Dreamworks et amie de Steven Spielberg ; Janusz Kaminski, l'opérateur qui signa les récents films de SS ; Julian Schnabel, peintre mondialement connu et réalisateur. Que viennent faire ces américains à la tête d'un film français ? Jean-Dominique Bauby, rédacteur en chef du magazine féminin Elle, fut victime, fin 1995, d'un accident cérébral qui le laisse entièrement paralysé. Seul cligne son œil gauche et se tord de manière inquiétante sa bouche, du moins selon l'interprétation qu'en donne Mathieu Amalric dans le film qui porte le même titre que le livre de Bauby, Le scaphandre et le papillon. Un vrai miracle aura permis au malade, dont l'intelligence et la sensibilité sont restées intactes, coincé dans son corps - le scaphandre - libre dans sa tête - comme un papillon - de trouver un moyen de communication avec son monde extérieur. Une orthophoniste lui propose les lettres non dans l'ordre alphabétique mais dans celui de la fréquence de leur apparition - E S A R I N T U L. Quand la paupière tombe une fois, la lettre est prise en compte. Plusieurs lettres forment un mot. Les mots finissent par former des phrases, pour finalement aboutir à un livre qui, souvent traduit. devint un succès mondial. Quelques jours après la parution de ce témoignage, Bauby mourut, le 9 mars 1997.
Dans un premier temps, le lien entre le film et le spectateur se place sous le signe de l'émotion. On y peut résister en décrétant que la mise en scène utilise de tous les trucs possibles et imaginaires pour recueillir les larmes. On peut être conquis par le film quitte à déclarer ensuite s'être fait avoir. On peut tout simplement accepter le film tel qu'il est, salué par le jury du festival de Cannes: un grand film. Il vaut la peine de comprendre comment il est construit pour nous toucher si profondément, quand par exemple un père ne sait plus comment il peut encore parler à son fils.
Dans une première partie, une fois décrite la maladie, le point de vue adopté par Schnabel est celui de Bauby. Les images sont floues, incomplètes, subjectives. La voix off représente le cheminement de la pensée du malade, puisque son intelligence est intacte. Puis la communication entre le malade et le spectateur devient plus intense alors que la conquête des mots lettre après lettre s'installe. La liberté du cinéaste grandit quand il ose alors imaginer comment Bauby sent le monde, comment il pourrait le reconstituer en images de la nature, par l'effondrement inversé de falaises rocheuses, par les notes de musique. Ces séquences lyriques représentent la liberté du papillon qui brise la prison physique du scaphandre.
Le film dès lors transmet sa force de vie puisque qu'il décrit une immense conquête, la communication retrouvée entre le malade et les autres, oui, même avec nous, dans une salle, spectateurs....
(Texte paru dans l'ES no 23 le 06.06.07)


Zodiac - David Fincher
A San Francisco et alentours, dans les années 1970 sévit un tueur en série qui écrit à des enquêteurs et des proches de ses victimes, annonce ses prochaines opérations, masque le sens de ses messages et ne se fait pas prendre. Même quarante ans plus tard, une nouvelle enquête aboutit à un non-lieu. David Fincher, dans Se7ven avait déjà suivi les exploits d'un tueur en série punissant ses victimes choisies pour leur manière de commettre l'un ou l'autre des sept pêchés dits capitaux. Ce film violent, excessif, admirablement conduit, avait connu un immense succès. Aux USA en tous cas, Zodiac est un bide. C'est que le tueur en série, on ne le voit jamais puisqu'il n'a pas été pris ; on ne voit que très discrètement ses victimes. Même la traque du tueur n'est pas ce qui intéresse Fincher. L'essentiel, dans ce film, est d'observer comment des enquêteurs indépendants, un journaliste d'investigation et un dessinateur de presse, deux policiers sont complètement perturbés par leur propre enquête, leurs soupçons qui ne mènent à rien.
De plus, Fincher s'offre le luxe rare de soigner la forme. Les images numériques - plus de pellicule lors du tournage de ce film - sont d'une beauté étonnante, à se demander si le numérique, dans une gamme de couleurs discrètes et plutôt sombres, ne conduit pas à plus de beauté que la pellicule. Certes, quelque que soit le support, le cadre joue un rôle. Il pleut souvent sur cette côte ouest américaine de San-Francisco et de ses alentours, pourtant lumineuse. L'image semble souvent d'origine picturale, comme chez Turner le britannique des brumes ou comme chez Rembrandt en ses intérieurs bruns avec sources lumineuses ponctuelles. Un montage simple de plans géométriques rigoureux, des images plus belles les unes que les autres, voilà tout de même une surprise dans ce qui devrait être un « blockbuster » et qui, tout simplement, donne un bon film - tendance vers le grand.
( Texte paru dans l'ES no 23 du 06.06.079



La vieille maîtresse : Catherine Breillat
Curieux titre, dangereux peut-être puisqu'il risque de provoquer un malentendu, celui qui valut au film d'être plutôt mal accueilli à Cannes cette année comme un autre films de femme le fut en 2006, le Marie-Antoinette de Sofia Coppola. Catherine Breillat y propose l'adaptation d'un roman de Jules Barbey d'Aurevilly (1808-1889), écrivain qui s'inscrit dans la ligne de Cholderos de Laclos (1741-1803) et de ses Liaisons dangereuses. L'un de ses films, Romance, avec Rocco Sifredi, fut accusé, en bonne partie à tort, de pornographie.
Le texte raconte une brûlante histoire d'amour dans les années 1835. Il y a deux siècles, avoir entre trente et quarante ans, c'était déjà être vieux ! Mais le cinéma ne trouve pas, ni ne cherche, les moyens de mettre en scène ce qui est considéré aujourd'hui comme une vieillesse prématurée. Avoir 35 ans en 2007 ne donne pas l'impression qu'il s'agit d'un grand âge en 1835. La « vieille » maîtresse devient plutôt l'ancienne maîtresse dont on ne se détache pas.
Ryno de Marigny (Fu'ad Aït Aattou), malgré sa réputation de séducteur, pense venu le moment de se marier avec Hermangarde (Roxane Mesquida), blonde fille de la noblesse. Mais le qu'en dira-t-on, propagé par le vicomte de Prony (Michael Lonsdale) et la comtesse d'Artelle (Yolande Moreau) parvient aux oreilles de la marquise de Flers (Claude Sarraute), grand-mère de la jeune femme. Au cours d'une longue nuit, de Marigny se confesse à elle, lui raconte parfois avec force détails sa vive passion pour une séductrice d'origine espagnole, la Vellini (Asia Argento), fille d'une noble et d'un torero. Il affirme avoir rompu, ce qui de plus est vrai. On devine dès lors ce qui va arriver : Ryno renouera avec la Vellini. La relance d'une relation d'amour/haine vibrante sera fulgurante. La fragile Armengarde y perdra dans le sang l'enfant qu'elle attendait, comme hier en Algérie La Vellini vit mourir sa fille sous les yeux de son amant et s'achever une incinération dans une scène d'amour assez étonnante. Les personnages des Liaisons dangereuses, Valmont et la Mertueil lançaient des défis à la société des hommes et à Dieu, plus encore qu'à l'Eglise. Ceux de Barbey d'Aurevilly mettent au premier plan une passion déchirante humaine sans dimension philosophique revendicatrice. La vieille maîtresse n'atteint pas la force des Liaisons dangereuses de Stephen Frears ni la profonde et belle sensualité du récent Lady Chatterly de Pascale Ferran.
Le film de Catherine Breillat n'en est pas moins bien conduit, reposant sur une belle reconstitution, le choix inattendu de certains acteurs, entre les professionnels que sont Lonsdale ou Yolande Moreau et Claude Sarraute issue de la littérature et le duo principal où la rage persuasive d'Asia Argento domine l'élégant et presque trop fragile Fu'ad Aït Aattou.


Les chansons d'amour : Christophe Honoré
Le hasard veut que le scénario de Après lui soit signé Christophe Honoré, qui signe aussi le scénario du film qu'il met en scène, son quatrième. On peut trouver certaines ressemblances entre les deux films, l'âge déjà de ceux qui disparaissent, cette disparition même dans les première séquences du film qui va attirer l'attention sur le deuil, plus difficile à faire que la mort à accepter. Lors d'une maladie presque aussi brutale que la mort du nouveau-né, dans un accident de la circulation, il a y cette violence qui soudain éclate pour ébranler un entourage qui n'y est pas préparé.
Mais on peut même, ensuite, en faire une comédie chantée en treize occasions sans ternir l'émotion des personnages partagée par le spectateur. Ismaël (Louis Garrel) vivait tout de même harmonieusement entre Julie (Ludivine Sagnier) et Alice (Clotilde Helme), formant un aimable et charmant trio heureux dans le même lit. Mais la mort de Julie va aussi transformer sa famille, en particulier sa sœur Jeanne (Chiara Mastroianni). Et Ismaël cherchera un semblant de stabilité auprès d'un lycéen, Erwan (Grégory Leprince-Ringuet) qui est tombé amoureux de lui.
Mais, pour s'ouvrir à un indispensable dialogue entre eux, les jeunes personnages ont besoin du chant, comme s'ils n'osaient pas ou ne trouvaient pas les mots pour exprimer leur sentiment. Cela donne une assez bizarre impression, qui tient aux paroles chantées qu'il faut pourtant bien écouter pour comprendre ceux qui n'ont alors pas d'autre moyen d'expression.
Par le style de sa mise en scène, Christophe Honoré rend hommage à Paris et confirme l'amour et l'admiration qu'il porte à quelques-uns des cinéastes qui firent leur apparition dans les années soixante, formant alors la « Nouvelle Vague » française, les Truffaut et autres Jacques Demy qui firent aussi chanter leurs acteurs dans leurs films, les Jeanne Moreau, Bobby Lapointe, Françoise Dorléac et autres Anouk Aimée. Seulement, la Nouvelle Vague, c'est loin - plus de quarante ans ; et le chant n'est pas forcément un moyen efficace pour exprimer l'émotion dans un monde devenu dur, violent, pessimiste comme le nôtre...


Après lui : Gaël Morel
Assez forte idée que celle au centre de ce film : comment va réagir la mère du jeune homme décédé dans un accident à l'égard du conducteur ? Elle va l'aider à faire son deuil et surtout se mettre à la protéger contre son entourage, à en devenir envahissante. Mais elle se servira aussi de lui pour accomplir son propre deuil dans une relation qui frôle l'ambiguïté : elle va jusqu'à le surveiller pour savoir s'il poursuit normalement ses études. Le rôle principal a été confié à une grande actrice, Catherine Deneuve, qui ne s'en tire pas très bien avec un personnage excessif qui se met à cogner contre l'arbre heurté par la voiture. Un film modeste, un peu décevant.

Freddy Landry