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Les Prud'hommes sous les projecteurs

Dans le documentaire Prud'hommes, les conflits de travail se retrouvent dans le viseur de la justice et de la caméra

Face aux licenciements abusifs, aux heures supplémentaires et aux salaires non payés, que ferait Guillaume Tell? Lui qui s'est fait justice - en tuant le bailli autrichien qui l'avait obligé à mettre la vie de son fils en danger - et dont la statue trône pourtant devant le Tribunal cantonal à Lausanne.
C'est son image légendaire qui ouvre le documentaire Prud'hommes de Stéphane Goël. Un clin d'œil de l'Histoire dans la collection des petites et grandes tragédies du monde du travail d'aujourd'hui données à voir par le réalisateur suisse: des salariés et des employeurs en conflits, des avocats et des syndicalistes en soutien, un juge civil qui tente la conciliation.
A l'origine de ce documentaire, le désir de Stéphane Goël de parler de «ce grand pan de la vie des gens si peu relaté en Suisse», exception faite du monde paysan qu'il a lui-même déjà traité (Campagne perdue). Après un premier refus du Tribunal des prud'hommes en 2002, le sésame pour filmer lui est accordé en 2009. Durant dix mois et une trentaine d'audiences, le cinéaste s'est alors immergé dans les conflits de travail qui, pour lui, cristallisent la situation sociale du pays. «La souffrance au travail est augmentée de la souffrance de l'individuation. Les gens doivent aller jusqu'en justice pour simplement parler. Le Tribunal des Pud'hommes - dont certains aimeraient limiter l'accès en le rendant payant, et d'autres le voir tout simplement disparaître - a donc une véritable fonction sociale.»
Au tribunal, mais aussi aux permanences des syndicats et de l'inspection du travail, Stéphane Goël a rencontré des employés bafoués dans leurs droits et leur dignité, souvent en mal de reconnaissance. Prud'hommes met ainsi en lumière l'exploitation des salariés, mais aussi les positions parfois légitimes des employeurs. «Finalement, tout le monde est perdant, l'employé comme le patron de PME soumis à la pression du marché», relève le réalisateur qui espère avec son film inciter les spectateurs à «poser une réflexion sur le travail».
La solitude des employés, le manque de liens sociaux et de solidarité ont frappé celui qui vit dans une coopérative d'habitation et travaille depuis 25 ans dans le collectif Climage. «On ne partage pas seulement la caméra mais aussi un catalogue de films qu'on peut tous revendiquer. Les succès et les échecs de chacun profitent à tous. C'est très rare cette solidarité dans le milieu très individualiste du cinéma.»

Touche-à-tout
Stéphane Goël se souvient. Il avait 20 ans, Lausanne bougeait, la vidéo permettait de faire des films sans le sou. «Comme tous les réalisateurs de Climage, je viens d'un milieu familial plutôt prolétaire, sans lien avec le monde culturel, et sans aucune formation.» Une chance plutôt qu'une lutte pour ce fils de paysan qui aime à parler à la première personne du pluriel: «Ça nous a donné la liberté d'expérimenter.»
De 23 à 28 ans, il vit à New York, monte des clips, des pubs, participe à des télévisions communautaires... A son retour en Suisse, il continue sur le mode de «la démerde». «Ce n'est certainement plus possible aujourd'hui. Dans les années 90, la télévision nous a fait confiance même si nous n'étions pas diplômés d'une école de cinéma.» Stéphane Goël crée sans hiérarchie aucune entre le petit et le grand écran, et entre les genres. «Je produis avant tout du récit audiovisuel, que ce soit un film de mariage, une vidéo pour un groupe de hard rock, ou un documentaire.»
Il aime à passer d'un sujet à l'autre et du coq à l'âne. De l'Histoire au présent, du microlocal aux horizons lointains. «Je n'ai pas de plan de carrière. Par esprit de curiosité, j'aime mettre le pied dans des réalités différentes. Ça gicle dans tous les sens. Je suis comme un gamin», dit-il avec un sourire et un enthousiasme qui confirme ses dires. «Quand j'ai tourné sur des archéologues dans le désert du Soudan, c'était un rêve d'enfant, mon côté un peu Tintin (Sur les traces des pharaons noirs). Mais, généralement, j'aime traiter de l'identité des gens d'ici, de leur ressenti (Le poison - le crime de Maracon).»
Après le long tournage de Prud'hommes, Stéphane Goël avoue être exténué et... déçu. Comme à chaque fois. «Je déteste voir mes films. Il me faut de six mois à une année pour les regarder avec, disons, empathie. J'aime les faire, les monter. Ensuite, je déteste être confronté à mon propre travail. Il est difficile de faire face aux critiques après avoir passé des semaines au montage, et en sachant qu'en enlevant une pièce, tout s'effondre.»
Ses «baby-blues» ne l'empêchent pourtant jamais de se lancer dans de nouvelles créations. «Le moteur, c'est le désir. C'est comme de raconter une histoire à mes mômes. J'adore en inventer à chaque fois une autre. Pour les documentaires, je ne suis jamais à court d'idées. Ensuite, je lance des hameçons et je regarde ce qui mord...»


Aline Andrey


Le documentaire Prud'hommes au cinéma dès le 13 octobre