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Le patron de l’Abeille a le bourdon

Le Français René Papin s’apprête à retourner au Mans. Non sans un brin de mélancolie vite relégué par son tempérament optimiste.
© Thierry Porchet

Le Français René Papin s’apprête à retourner au Mans. Non sans un brin de mélancolie vite relégué par son tempérament optimiste.

Le bistrot de quartier L’Abeille, à La Chaux-de-Fonds, ferme ses portes en mars prochain. Un crève-cœur pour son gérant et cuisinier René Papin, âme des lieux depuis quatre décennies

La perspective de quitter L’Abeille file le bourdon à René Papin. Et pour cause. Le tenancier et cuisinier originaire du Mans, en France, y a consacré plus de quarante années de sa vie. Quatre décennies qui l’ont conduit à tisser des liens forts avec la clientèle. Son entrain, son sourire, son franc-parler et ses talents culinaires ont fédéré deux générations d’habitués dont des syndicalistes d’Unia. Qui ont fait de ce lieu populaire un point de rencontre. Le bistrotier, 75 ans, a aussi noué des relations étroites avec ses employés considérés avant tout comme des collègues. Et en particulier avec Christiane, fidèle d’entre les fidèles, qui l’épaule quasi depuis le début de l’aventure. «Nous travaillons en équipe. Nous nous respectons. Dans le service, je suis dynamique, je parle fort. Il y a de l’excitation, mais je reste cool», affirme René Papin, précisant encore au passage que, du signe du Bélier, il fonce tête baissée, se montre direct. «Je n’y vais pas par quatre chemins», sourit le bouillonnant patron, qui rendra son tablier à la mi-mars, le bistrot ayant été racheté pour être transformé en appartements. En cette glaciale journée de décembre, alors que, derrière les fenêtres, les flocons tournoient dans la lumière blafarde, le septuagénaire, entre deux sollicitations et échanges amicaux avec des consommateurs, rouvre l’album de ses souvenirs.

Nez fin

René Papin est arrivé en Suisse en 1970 pour des raisons professionnelles. Après avoir travaillé dans différents établissements du pays, l’homme qui a aussi mitonné des petits plats pour l’acteur Steve McQueen, s’installe à La Chaux-de-Fonds, ville de son ex-femme avec qui il aura deux enfants. En 1982, désireux de gérer sa propre affaire, il appelle «au culot» le propriétaire de L’Abeille. Le cuisinier a eu le nez fin, le restaurant est à remettre. René Papin tombe immédiatement sous le charme de ce lieu chaleureux, mariant bois et carrelage. «Il m’a tapé au cœur, image-t-il. J’ai trouvé aussi sa grandeur – quelque 70 places –, et son agencement sur un seul niveau, y compris la cuisine, idéale.» Le nouveau tenancier se fait rapidement connaître pour ses spécialités de chasse. L’emplacement du bistrot draine aussi nombre de travailleurs employés alors dans des usines alentours. Et puis, il y a les joueurs de cartes qui se retrouvent régulièrement pour des parties de belotte, de chibre ou de pomme. «Je me rappelle l’épais nuage de fumée qui flottait dans la salle. Christiane n’arrêtait pas de tousser. Heureusement que l’interdiction a été prononcée», raconte René Papin, qui, lui aussi, tape volontiers le carton, toujours prêt à compléter au besoin une équipe.

Roue de secours

«Quand il manque une personne, je fais la roue de secours.» Ses partenaires n’ignorent pas qu’ils devront alors composer avec son caractère franc du collier. «Je suis un gueulard. Si on joue mal, je ne me retiens pas de le dire. J’assume. Mais avec l’âge, on s’assagit quand même un peu.» René Papin est aussi connu pour sa gentillesse et sa proximité avec les gens. Il s’intéresse à leur vie, partage leurs joies et leurs peines. Mais évite dans tous les cas de parler de religion ou de politique. «Sinon on risque de froisser certains. Je suis neutre», affirme le Chaux-de-Fonnier d’adoption qui, demain, évoluera dans une tout autre ambiance. «Je repars au Mans pour des raisons économiques. Ici on discute, on rigole. Je serai seul.» Une mélancolie vite balayée par l’optimisme inconditionnel du Français qui se réjouit de disposer de davantage de temps pour ses loisirs. Le bistrotier apprécie notamment de créer des tableaux composés de collage et de peinture avec pour thématique «l’évolution du monde» dans les domaines de l’environnement, de la migration, etc. Il restera aussi en mouvement, lui qui s’est essayé à nombre de sports, «non pour la performance mais pour le bien-être», comme le ski, le snowboard, l’équitation, le parapente... Une dernière activité qui, à la suite d’un accident, l’aura rendu paraplégique quatre jours. Il aura aussi subi une importante opération du cœur.

Un boa garde du corps

«J’ai pour principe de ne pas regarder en arrière, d’aller toujours de l’avant», souligne René Papin qui, à la veille de quitter L’Abeille et après moult embrouilles avec la gérance et le nouveau propriétaire, s’apprête à passer le cap, relativisant les problèmes rencontrés. «Demain ça ira mieux», ne doute pas le patron, dont le tempérament fonceur s’accorde aussi avec une grande sensibilité. L’évocation de son chien, par exemple, lui arrachera des larmes. «Je peux pleurer pour un humain, pour un animal – je les aime tous – ou un arbre centenaire que l’on abat», confie le septuagénaire, essuyant ses yeux humides. Proche de la nature, le futur retraité indique encore «croire au surnaturel». Et d’expliquer: «Mon père avait le don d’apaiser et de soigner les brûlures en prononçant une prière. Un talent qu’il a légué à mon frère hélas décédé avant de pouvoir le transmettre à son tour. Je crois au magnétisme, bien qu’inexpliqué. Et à un Dieu, mais pas celui des hommes.» Questionné sur sa devise dans l’existence, René Papin répond: «Se faire du bien en respectant les autres». Dans le domaine culinaire, il cite, comme plat préféré, «celui qu’il ne doit pas préparer, car commandé au restaurant». Enfin, au chapitre des anecdotes marquantes de sa carrière, outre les égrillardes, il raconte: «J’avais refusé de servir un énième verre d’alcool à un client saoul. Il est alors parti, tout en me menaçant de rappliquer avec son garde du corps. Il est revenu avec un... boa! J’ai pris le serpent et lui ai dit: c’est le mien maintenant», rigole encore René Papin, qui conclura l’entretien par un «je ne me prends pas au sérieux». L’humour, la convivialité et le caractère bien trempé de René Papin et son bistrot manqueront pour sûr à de nombreux Chaux-de-Fonniers...