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J'ai été vacciné contre le racisme

Auteur d'un 4ème livre, Raymond Durous a recueilli 22 témoignages de personnes d'origine italienne. Comme lui

Appartenir à deux cultures influe sur le chemin de vie. C'est en tout cas la conviction de Raymond Durous, né à Lausanne en 1936 de parents italiens et auteur de plusieurs ouvrages traitant de l'immigration. Pour ce retraité qui enseigna l'histoire, la géographie et le français dans un collège lausannois avant d'offrir, à la fin de sa carrière, ses services à l'Université populaire, la pluralité de ses racines est à l'origine de nombre de ses choix et engagements. «C'est très enrichissant et en même temps un déchirement. Je ne me sens jamais cent pour cent italien ou suisse. En revanche, cette situation m'a vacciné contre toute forme de discrimination et de racisme et favorisé mon ouverture et ma compréhension à l'égard de migrants. Elle m'a aussi poussé à m'investir dans différentes luttes.» Le cœur bien accroché à gauche, sensible aux problèmes de disparité, Raymond Durous est entré à plus d'une reprise dans des actions de résistance citoyenne: combats syndicaux, défense de locataires, mobilisation pour un service civil, contre la xénophobie... Car pour cet homme marié à une Vietnamienne et père de quatre enfants, rien n'est pire que l'indifférence.

A bonne école
De nature pugnace lorsqu'il s'agit de préserver des idéaux, l'homme a hérité de ce trait de caractère de son père, à qui il voue une admiration sans borne. Il lui a d'ailleurs consacré un livre, Victor le conquérant où il évoque la révolte et les souffrances endurées par ce dernier placé, à l'âge de huit ans, chez des paysans en Suisse. «Martyrisé et exploité», résume le retraité. Référence fondamentale dans l'existence de Raymond Durous, Victor travaillera ensuite comme manœuvre avant de gravir les échelons pour devenir chef de chantier. Et s'engagera aux côtés du célèbre anarchiste Lucien Tronchet, contremaître et syndicaliste FOBB. Si Raymond Durous n'a pas eu à endurer un destin aussi douloureux que celui de son père, il a néanmoins été forgé à un esprit de justice et de solidarité dès son plus jeune âge. Le retraité se souvient encore aujourd'hui de son «premier acte de résistance», en 1942. «Des camarades m'avaient traité de "sale italien"; la maîtresse y était aussi allée de son couplet. J'ai alors renversé une table où étaient déposés des encriers et je me suis enfui. Pendant quinze jours, j'ai fait l'école buissonnière avant de me faire attraper par ma mère» raconte-t-il malicieusement, lui qui profita alors d'assister, plus d'une dizaine de fois, aux représentations du cirque de passage dans le coin. Fier de l'attitude de son fils, Victor lui expliquera qu'il existe néanmoins d'autres moyens de se défendre.
Adolescent, Raymond verra aussi brimades et mépris de certains se muer en jalousie. La raison? Son admission au collège scientifique...

Le juste équilibre
Ces expériences marquantes renforceront l'italianité de Raymond Durous qui confie son amour pour le pays de ses origines même s'il abhorre son gouvernement actuel. Une affection portant en particulier sur sa littérature, son cinéma, son équipe de foot... ou encore le bel canto, le licencié en sciences sociales et politiques ayant hésité à embrasser une carrière dans le chant. Une passion qu'il concrétisera néanmoins plusieurs années durant au conservatoire avant d'opter finalement pour l'enseignement. Mais si ce partisan d'une Europe des régions éprise de culture transalpine juge important de reconnaître, d'accepter et de cultiver les différences, il met en garde contre toute forme d'exacerbation de celles-ci, d'extrémisme. Même discours modéré sur les questions liées à la nation, au drapeau, à l'hymne patriotique. Et à leurs relents parfois nauséabonds. Qualifiant son intégration dans la société «de plutôt équilibrée», l'enseignant estime qu'elle s'est faite par son travail, à travers ses luttes, dans les chœurs d'hommes qu'il fréquentait et où il a appris des airs d'ici, et par ses amitiés, fondamentales pour cet homme très fidèle en la matière. Rien à voir avec un concept d'assimilation qui se traduirait, selon lui, par «une forme de désaveu de ses racines». Racines qui l'ont conduit à recueillir le témoignage de 22 personnes dans son dernier livre, Des Ritals en terre romande.

Pitoyable Europe
Au titre volontairement provocateur, l'ouvrage relate les parcours de vie de personnalités telles qu'Alvaro Bizzarri, Léonard Gianadda, Oscar Tosato... mais aussi de noms inconnus. Chemins souvent douloureux, balisés par des épreuves propres à l'immigration, entre nostalgie de la terre mère et capacité d'accueil de la société suisse. «La sélection des intervenants est purement subjective. Il ne s'agit pas d'un traité de sociologie. J'ai choisi des personnes desquelles je dirai du bien.» Quant aux destinataires de l'ouvrage, l'homme évoque en premier lieu ses proches. «Je l'ai réalisé pour mes enfants, mes amis et les personnes ayant un vécu similaire. Pour rappeler aussi qu'on ne quitte jamais un pays de gaieté de cœur. J'espère également que cette publication contribuera à davantage de compréhension à l'égard des migrants et partant à un meilleur accueil. L'Europe est aujourd'hui assez pitoyable à ce niveau-là.» Sans démentir le caractère caricatural de la couverture du livre - un portrait de son auteur mangeant des spaghettis - Raymond Durous élude la question, sourire aux lèvres. «D'accord, c'est cliché. Mais c'est marrant. Et puis, les pâtes, je les adore.» 


Sonya Mermoud