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André Gazut, 40 ans de télé citoyenne

Le réalisateur a tracé la violence sur toute la planète

André Gazut incarne un journalisme d'investigation presque révolu - pipe à tabac aux lèvres en prime. Celui d'une époque où un cœur clairement ancré à gauche pouvait œuvrer dans un média de masse avec une liberté certaine et disposer de temps pour approfondir les sujets. Après 40 ans passés derrière la caméra à la Télévision Suisse Romande (TSR), André Gazut nous lègue plus de 120 éditions de «Temps Présent», le magazine politique, économique et social phare de la chaîne. Spécialisé dans les sujets internationaux, le réalisateur a parcouru plus de 50 pays et a couvert 15 conflits, avec, toujours, la même préoccupation: «Mes sujets ont presque tous en commun la violence, qu'elle soit armée, coloniale, institutionnelle ou infligée sur les lieux de travail.» Une obsession dont l'origine prend racine dans la guerre d'Algérie en 1957...

La torture en Algérie
Cette année-là, engagé comme photographe à Paris au sein du mensuel Réalités, à peine âgé de 19 ans André Gazut découvre des photos de la torture pratiquée par des soldats français en Algérie. «Pour moi, la torture, c'était le symbole du nazisme!» Un parallèle qui le touche tout particulièrement car son père, qu'il n'a jamais vraiment connu, est décédé dans un camp allemand en 1941. Or le jeune photographe ne veut pas être complice de l'intolérable. Il s'informe alors sur le conflit et rencontre plusieurs objecteurs, dont des militants anarchistes. Sa conscience politique prend corps. A l'éducation catholique de l'internat où il a été placé à l'âge de dix ans, viennent s'ajouter des bribes de théories marxistes et anarchistes. Il découvre aussi la non-violence à travers Ghandi. «La tradition chrétienne me poussait à accepter d'entrer dans l'armée pour témoigner, la doctrine marxiste pour y faire de l'agitation. Mais une fois incorporé, je me suis rendu compte que ni l'une ni l'autre n'était possible» sourit-il aujourd'hui.

Déserteur, réfugié en Suisse
Refusant de porter les armes, André Gazut se voit «offrir» la fonction d'infirmier parachutiste. «J'avais toujours peur qu'ils me sabotent le parachute pour se débarrasser de moi.» Sanctionné après quelques mois pour avoir assisté à des réunions anticolonialistes lors de fausses permissions, il est incarcéré dans un camp disciplinaire. Là, il profite d'un défaut de vigilance pour déserter. Le jeune dissident rejoint l'Allemagne, puis trouve refuge en Suisse, où il obtient une autorisation de séjour provisoire. C'est ainsi qu'il trouve un emploi de cameraman d'actualité à la TSR en 1961 à Genève. En 1970, il devient réalisateur et participe à la création de «Temps Présent», produit alors par Claude Torracinta.

Temps Présent
De l'Angola colonial au Chili de Pinochet, de la Chine communiste aux Etats-Unis, de la guerre du Vietnam à l'Algérie française, André Gazut montrera aussi peu de sympathie pour le totalitarisme communiste que pour le capitalisme exploiteur. Il ne sera pas non plus tendre avec la Suisse, notamment avec son sujet de 1996, «Avoir juifs, l'argent des morts». Un réalisateur au service de la vérité, qui assume un regard subjectif sur le monde. «Si l'objectivité n'existe pas, on se doit de dire la vérité, toute la vérité», déclare-t-il. Si, aujourd'hui, André Gazut assure ne pas préférer certains de ses reportages à d'autres, quelques-uns apparaissent naturellement au fil de la discussion. Enquêtant au Brésil sur les causes de la famine en 1984 pendant la dictature, son équipe de tournage découvre que la faim a autant pour origine l'inégalité de l'accès aux terres et à l'eau que la sécheresse pointée par le Gouvernement. Arrêtés par la police, les journalistes de la TSR sont expulsés, leur matériel confisqué. Ce n'est que grâce à quelques bobines confiées en secret à un évêque que des images pourront être montées en Suisse. Après un reportage en Pologne, puis au Nicaragua au début des années 1980, le réalisateur s'étonne que le pape Paul VI approuve les efforts des Chrétiens et de Solidarnosc pour la liberté alors qu'il condamne ceux des prêtres-ministres sandinistes engagés dans l'alphabétisation au Nicaragua.
En l'an 2000, lors de son départ à la retraite, André Gazut prend soin de sélectionner quelques-uns de ces moments forts et de les réunir au sein du documentaire «L'œil témoin», de «Mémoires vivantes», diffusé à l'antenne (disponible en DVD auprès de la TSR). En 2003, le jeune retraité réalise ensuite pour Arte un long documentaire sur la guerre d'Algérie et la torture, dans lequel il prend pour point de départ sa propre histoire.

L'honneur d'un blâme
André Gazut a aussi signé un très bon «Temps Présent» sur le mobbing en Suisse, en 1996, alors que le concept commence à peine à se populariser. Parmi les personnes mobbées interrogées figure une employée de la TSR, qui apparaît à l'écran anonymement et en ombre chinoise, sans que le nom de son employeur soit mentionné. Après la diffusion de l'émission, le réalisateur reçoit un blâme de sa direction. «J'ai éclaté de rire quand on me l'a dit. Et j'ai répondu: ce sera ma légion d'honneur à titre humanitaire.» Aujourd'hui, à 71 ans révolus, André Gazut s'engage pour diverses causes, dont la résistance non-violente en Palestine, où il se rend chaque année...


Christophe Koessler