Quand la création passe par le souffle
Valérie de Roquemaurel est l'une des rares souffleuses de verre en Suisse
Une passionnée qui travaille sept jours sur sept, 80 heures par semaine, dans des conditions de chaleur extrême. Telle est Valérie de Roquemaurel, souffleuse de verre. Dans son atelier à Pomy dans le canton de Vaud, avant de se mettre à la tâche, elle parle vite. De sa créativité remarquée par son enseignante lorsqu'elle avait 5 ans déjà, puis de ses nombreux cours de peinture, de dessin, de ses années d'études en histoire de l'art puis en design dans sa Toulouse natale. «En design, j'étais très réticente à utiliser un ordinateur. J'avais envie de travailler avec mes mains», raconte celle qui a suivi alors un stage chez un souffleur de verre, un Suédois établi en France. Fascinée, elle décide de se former à ce métier ancestral au Centre européen de recherche et de formation aux arts verriers en Lorraine. Elle se passionne pour cet art et y rencontre son futur époux, le Vaudois Yann Oulevay.
Deux ans plus tard, elle en ressort avec un diplôme de Compagnon verrier européen, option soufflage, et quasi la bague au doigt. Elle rejoint Yann à Yverdon, expose dans nombre de galeries, fonde l'association Souffle de verre pour faire connaître ce métier très rare en Suisse, et organise de plus en plus de cours. «Pour le soufflage, cela reste compliqué à enseigner à des amateurs. Car cela demande une discipline et un matériel conséquent. C'est une vocation. Par contre, on donne des cours de verre au chalumeau», explique-t-elle.
Un travail en duo
Depuis une dizaine d'années, Valérie de Roquemaurel s'est fait un nom, au point de recevoir des commandes bien spécifiques de vases et de luminaires, et même de trophées. «Après beaucoup d'efforts, je commence à être récompensée. Avec le temps, on ne m'appelle plus seulement pour mes capacités techniques, mais aussi pour ma personne.» Soit ses qualités artistiques, son style, tel que la découpe au sablage, son jeu entre brillance et opacité, ses formes tout en rondeur et en élégance. «Yann est plus fin technicien, il a un autre style et restaure davantage que moi, on se complète», souligne-t-elle en parlant de son époux et collègue. Ils travaillent d'ailleurs toujours en duo au moment d'affronter la matière.
«Il existe une variété infinie de verre, du très dur (vitre, pare-brise) au cristal en passant par un verre plus tendre. C'est celui-là qu'on souffle.» Un mélange de sable siliceux, de soude, de potasse et d'affinants. Par la magie de la chimie, cet ensemble opaque, une fois fondu devient transparent. «Même le cristal contient jusqu'à 40% de plomb», s'émerveille encore et toujours Valérie de Roquemaurel. Enchantement encore lorsque de liquide, le verre devient solide en se refroidissant. A cela s'ajoute le travail avec le feu. «Il vaut mieux ne pas en avoir peur», souligne-t-elle. «Souvent je me brûle indirectement.» Menue et fine, la jeune femme assume pourtant ce travail très physique, vu les conditions de chaleur et la lourdeur de la canne et du verre.
Mais avant d'expirer dans sa canne, tout commence par l'inspiration. D'où viennent ses idées? «De ma formation, des musées que j'adore, des formes de la nature aussi... J'aime me dépasser, ne pas savoir exactement ce que ça va donner, découvrir au fur et à mesure, être surprise. Dans ce sens, je ne me reconnais pas dans le nom d'artisan. Mais je ne me définis pas non plus comme une artiste. Car les artistes ont vocation à changer le monde.» Et d'ajouter: «Dès lors qu'on fait du fonctionnel, il y a des intérêts. Alors que l'art est intrinsèquement désintéressé.»
Façonner la matière
La souffleuse de verre a allumé ses fours, électriques et à gaz, plusieurs heures avant de créer un vase, une commande d'un grand restaurant vaudois. Elle préchauffe ses cannes d'inox creuses afin que le verre puisse y adhérer, applique la couleur entre plusieurs couches de verre transparent en fusion (dont la masse est contenue dans un creuset en céramique dans un four à plus de 1100 degrés). Puis souffle dans sa canne, pour créer une bulle, soit en la levant pour que le verre se tasse ou en la baissant pour que la matière en fusion s'allonge. Ses gestes sont rapides, dans le calme et la concentration. La canne roule continuellement dans la main de la créatrice. Une plaque, une mailloche (grosse cuillère en bois de tilleul mouillé) et une mouillette (un chiffon de papier journal plié humidifié) - d'où émane parfois une odeur d'allumettes de Bengale - servent à modeler la pièce.
L'opération se répète plusieurs fois. Valérie de Roquemaurel ajoute du verre en fusion pour atteindre le diamètre voulu, refait les mêmes gestes, précis, aidée par son mari, à son service, avec une économie de mots. Tout semble couler de source. Comme par magie, la pièce prend forme.
Une fois séparée de la canne, elle est déposée dans un four (l'arche de recuisson) pour permettre de la réchauffer uniformément avant d'entamer un lent refroidissement, pendant une douzaine d'heures. Ceci afin d'éviter les chocs thermiques. S'ensuivra le travail de la pièce - à froid - entre sablage, découpe, polissage, et meulage... Le temps alors peut s'étirer. «C'est quand on travaille avec le verre en fusion que la moindre erreur est fatale», relève Valérie de Roquemaurel en souriant, juste après avoir terminé sa pièce. «C'est un combat pour maîtriser le verre. Il faut être rapide, car il refroidit extrêmement vite.» Et de partager, en écho à l'effort, son plaisir intense: «Je ne me lasse pas de cette matière qui danse. Quand j'ai mon verre au bout de la canne, je suis toujours fascinée», relève la professionnelle et mère d'une petite fille de 6 ans qui veut, elle aussi, devenir souffleuse de verre...
Aline Andrey
Pour plus d'informations: www.valeriederoquemaurel.com
Portes ouvertes
Pour la troisième fois, Valérie de Roquemaurel et son mari Yann Oulevay ouvrent les portes de leur atelier durant les Journées européennes des métiers d'art, du 15 au 17 avril. Un événement qui se déroule dans une vingtaine de pays. En Suisse, plus d'une centaine d'ateliers vont accueillir des milliers de personnes dans les cantons de Genève et de Vaud. Mais aussi dans le Jura et Neuchâtel où les artisans ouvrent leurs portes, quant à eux, du 22 au 24 avril. Du sculpteur sur pierre au maître luthier jusqu'au forgeron d'art, plus d'une cinquantaine de métiers sont à l'honneur. Une belle occasion d'aller à la rencontre de ces artistes-artisans qui perpétuent des gestes ancestraux.
AA
Programme complet: www.journeesdesmetiersdart.ch
Entrée libre, sur inscription.