«Unia doit se doter d'une boussole pour un monde équitable et solidaire»
«Lors du congrès, nous débattrons de l'avenir du travail, des changements structurels de l'économie, du vieillissement de la population, de l'intelligence artificielle et de la numérisation, mais aussi des évolutions dans les domaines de la formation, de la santé, de la migration, de l'égalité, du réchauffement climatique et même du nouveau désordre mondial», précise Vania Alleva, présidente d’Unia.
A la veille du cinquième congrès ordinaire du syndicat, du 23 au 25 octobre à Brigue, sa présidente, Vania Alleva, évoque les enjeux qui seront au cœur des débats.
Tous à Brigue! Alors qu’Unia vient de célébrer ses vingt ans d’existence, son cinquième congrès ordinaire se tiendra dans la cité valaisanne, du 23 au 25 octobre. En vue de cet événement, la présidente du syndicat, Vania Alleva, s’exprime sur certains des thèmes qui seront au cœur des débats et qui marqueront l'activité du syndicat durant les années et décennies à venir. À commencer par les luttes pour la défense de la justice sociale et le défi du renforcement de l'organisation syndicale, en termes de nombre d'adhérents et de fidélité, mais aussi de capacité de mobilisation et d'organisation.
Vania Alleva, dans quel état d'esprit abordez-vous le congrès de Brigue, qui se tient l’année des 20 ans d’Unia?
Je dirais avec fierté. Cet anniversaire nous a donné l'occasion de faire le bilan des vingt premières années d'Unia, qui sont une réussite. Car nous sommes un acteur social fort de nombreux militants, qui donne la parole aux travailleuses et aux travailleurs, et constitue un pilier central du modèle suisse de régulation du marché du travail. Nous sommes également un acteur social qui parvient à imposer des améliorations concrètes des conditions de travail et de vie des salariés en Suisse. Cependant, nous ne sommes ni aveugles ni naïfs et, compte tenu des problèmes réels des gens, nous ne pouvons pas nous contenter de ce qui a été accompli. Nous savons qu'il est encore possible de faire mieux, en renforçant notre capacité de mobilisation et d'organisation, afin de construire des rapports de force dans tous les secteurs qui nous permettent de négocier d'égal à égal avec les employeurs. Nous savons que cela ne va pas de soi, surtout dans le contexte actuel de numérisation et de changements structurels du marché du travail, mais nous ne baissons pas les bras et continuons à travailler ensemble pour un syndicat fort. Nous en discuterons lors de notre congrès, où près de 400 délégués débattront et décideront de la voie à suivre pour les prochaines années.
«Ensemble pour plus de justice sociale», c’est le slogan du congrès, qui a lieu dans un contexte national et international où les inégalités sociales se creusent. Cette situation vous inquiète-t-elle?
La montée des populismes de droite, aux États-Unis et dans l'Union européenne, mais aussi en Suisse, est très préoccupante en raison des conséquences sociales, économiques et géopolitiques qui en découlent. Partout où ces mouvances sont au pouvoir, nous assistons à des attaques contre les droits fondamentaux, les droits des femmes et les droits des minorités. Mais il ne faut pas céder à la peur, ni se résigner. Au contraire, ce contexte difficile doit nous inciter à renforcer notre engagement en faveur de la solidarité, de la justice, des droits de tous et de la participation démocratique. Cela vaut également à la lumière de la concentration disproportionnée des richesses, de l'augmentation continue des écarts salariaux et de la perte de pouvoir d'achat des classes moyennes et inférieures.
Le congrès sera l’occasion de dresser le bilan des quatre dernières années, de définir les priorités pour les quatre suivantes, mais aussi de tracer la voie pour les deux prochaines décennies. Pourquoi faut-il voir si loin?
Parce que face aux changements radicaux qui s'opèrent actuellement dans le monde du travail, il est important de se projeter dans l'avenir si nous voulons essayer de le façonner. Il s'agit de nous interroger sur la façon dont nous voulons vivre et travailler en 2045 et sur la manière dont nous voulons relever les défis qui nous attendent au cours des vingt prochaines années. C'est pourquoi, lors du congrès, nous débattrons de l'avenir du travail, des changements structurels de l'économie, du vieillissement de la population, de l'intelligence artificielle et de la numérisation, mais aussi des évolutions dans les domaines de la formation, de la santé, de la migration, de l'égalité, du réchauffement climatique et même du nouveau désordre mondial. Avec «Perspectives 2045», nous voulons nous doter d'une boussole pour un monde équitable et solidaire. Cela afin de ne pas nous laisser diviser et de renforcer la participation en donnant la parole aux travailleurs et aux travailleuses et, ensemble, de façonner l'avenir du travail pour tous et toutes.
L'érosion des effectifs des membres est préoccupante. C’est une question centrale dans la stratégie que le congrès est appelé à définir pour les prochaines années. Peut-on inverser la tendance?
L'évolution des effectifs est un défi central pour les années à venir. Unia se développe dans les professions des branches stratégiques du secteur tertiaire, où l'on assiste également à une augmentation de la représentation féminine. Dans certaines régions également, l'évolution du nombre de membres est positive, ce qui confirme qu'il est possible d'inverser la tendance. Nous devons tirer les leçons des expériences positives et c'est pourquoi nous avons transféré davantage de ressources aux régions. Il existe certainement des raisons structurelles qui rendent l'organisation syndicale plus difficile, telles que la mobilité des travailleurs, une société de plus en plus individualiste et la diminution des emplois dans des secteurs ou des branches professionnelles où nous avons un degré élevé d'organisation, par exemple certaines branches de l'industrie. Mais la réponse consiste à être présents sur les lieux de travail pour recruter de nouveaux membres et mieux organiser ceux que nous avons déjà. L'expérience des régions où l'évolution est positive le démontre. Il ne suffit pas de faire un bon travail syndical pour attirer automatiquement des adhérents, malheureusement cela ne fonctionne pas ainsi.
L'une des priorités du congrès est de renforcer le secteur tertiaire, en particulier dans les branches des soins de longue durée et du commerce de détail. Comment y parvenir?
Le renforcement de notre présence dans le secteur des soins est un objectif stratégique. Il s'agit en effet d'un secteur en croissance en termes d'emplois, de plus en plus important sur le plan social dans le contexte du vieillissement de la population. Mais c'est aussi un secteur où les conditions de travail sont telles que chaque mois, des centaines de travailleuses, puisqu’il s’agit principalement de femmes, quittent la profession. Nous voulons travailler à la construction avec d'autres forces syndicales et de la société civile. C’est fondamental dans un contexte comme celui-ci, où le degré d'organisation est très faible et où opèrent des professionnels qui, jour après jour, font fonctionner notre société, mais sans la reconnaissance qui leur est due en termes de conditions de travail et de salaire. Une approche unitaire est donc fondamentale, comme c'est d'ailleurs le cas dans d'autres domaines. Pensons à l'Alliance du dimanche dans le cadre de la défense du droit au repos dominical dans le commerce de détail.
La perte de pouvoir d'achat d'une grande partie de la population est-elle suffisamment prise au sérieux par les responsables politiques et les employeurs?
Absolument pas. Autrefois, les négociations salariales avec les employeurs commençaient par l’indexation à la hausse du coût de la vie, puis se poursuivaient par la discussion sur les augmentations proprement dites. Aujourd'hui, il faut une pression syndicale énorme rien que pour obtenir la compensation du renchérissement pour tous. Nous continuons à œuvrer pour des augmentations générales, car les augmentations individuelles, comme le montre l'expérience des dix dernières années, ne conduisent qu'à une hausse des rémunérations les plus élevées et à une stagnation des salaires moyens ou bas. Et face à la perte de pouvoir d'achat, la politique est également absente. La majorité de droite au Parlement ne fait rien pour limiter les augmentations des primes d'assurance maladie ou des loyers, qui pèsent lourdement sur les familles et les travailleurs.
Y a-t-il des signes indiquant que les droits de douane américains servent de prétexte pour détériorer davantage les salaires et les droits des travailleurs?
Il faut préciser que les droits de douane touchent certains secteurs industriels et certaines entreprises bien précises. L'Union syndicale suisse a calculé qu'ils ne concernent que 1 % des salariés. Des augmentations salariales sont donc possibles et nécessaires. Immédiatement après que nous avons présenté nos revendications pour 2026, les associations patronales se sont empressées de répondre que ce n'était pas le moment. Et Swissmem avait déjà réagi après l'annonce de Trump en présentant une liste de propositions de déréglementation et de coupes dans le domaine social. Un scénario tout à fait inacceptable. La voie à suivre est celle d'une reconversion écosociale de l'industrie et d'une véritable politique industrielle qui investit dans des emplois durables, une nécessité que les droits de douane ont une fois de plus mise en évidence. Et lorsque des entreprises se trouvent en difficulté, nous nous sommes engagés à prolonger le chômage partiel à 24 mois, ce que nous avons obtenu.
Le dernier congrès d'Unia avait décidé de lancer une initiative pour la protection contre les licenciements antisyndicaux, un sujet de nouveau à l’ordre du jour cette année. Où en est-on?
Parmi les quatorze mesures compensatoires internes élaborées dans le cadre des nouveaux accords avec l'Union européenne, sur lesquels les partenaires sociaux se sont mis d'accord, il y en a une qui prévoit une amélioration de la protection contre le licenciement des délégués des commissions du personnel, des membres délégués des caisses de pension, mais aussi des délégués syndicaux membres des comités professionnels nationaux. Ce serait un pas en avant si le Parlement allait dans le même sens. Parallèlement, au sein de l’USS, nous continuerons à travailler sur un texte d'initiative visant à améliorer la protection contre les licenciements de manière plus large, y compris pour les travailleurs âgés, les femmes enceintes, etc.
Retraite anticipée à 60 ans pour les ouvriers du bâtiment, 13e rente AVS. Quelle pourrait être la prochaine grande conquête syndicale?
Il n'y a pas d'objectif concret, mais il y a des revendications qui découlent d'une question centrale pour tous les secteurs professionnels et qui revient dans presque tous les débats: le travail ne doit pas rendre malade! Cela nous incite à œuvrer en faveur d'une réduction du temps de travail, sous toutes les formes possibles. Ce sera certainement une question qui nous accompagnera dans les années à venir et sur laquelle nous travaillerons intensément.