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La liberté comme destination

Reza Fathi pose pour la photo.
© Olivier Vogelsang

Reza Fathi associe le bonheur à un futur sans peur, en ayant trouvé sa place dans la société.

Animateur socioculturel et moniteur de théâtre, Reza Fathi a fui seul l’Iran à l’âge de 16 ans, escorté par sa volonté de vivre libre et ses rêves artistiques.

C’est une personne sensible et complexe. Chaleureuse et réservée à la fois. Optimiste et pourtant peu encline à croire en l’être humain, même si persiste l’espoir. Désireuse d’avoir un impact sur le monde, tout en mesurant les difficultés liées à cette volonté. Iranien d’origine, Reza Fathi  a quitté sa patrie à l’âge de 16 ans. Il est parti avec son meilleur ami. Et avec l’aval de son père, comédien, metteur en scène et auteur de pièces de théâtre. «Il m’a dit: “Tu n’es pas né dans le bon pays”», raconte le jeune homme de 25 ans indiquant avoir eu des démêlés avec la police des mœurs et rêvant d’une vie offrant davantage de possibles. En particulier dans le domaine auquel il s’intéresse déjà, l’art, réprimé dans sa patrie. L’adolescent d’alors prend l’avion pour la Turquie, puis rejoint la Grèce en bateau, où il passe cinq mois dans un foyer pour mineurs non accompagnés. Une étape où il effectue son premier tatouage, imprimant sur les phalanges de sa main droite les lettres formant le mot free, libre! Depuis, de nombreux autres dessins et inscriptions sur ses bras ancrent dans sa peau des moments importants de sa vie, dont un visage à l’expression figée dans la douleur, prisonnier d’une aile... Ou encore, le célèbre poème Chanson d’automne de Paul Verlaine. Mais revenons à notre récit. 

Exister hors d’un statut
Le jeune exilé projette de poursuivre sa vie en France après s’être fait des amis de ce pays, mais les attentats perpétrés en novembre 2015 à Paris compliquent la donne et l’en dissuadent. Il opte pour la Suisse qu’il rejoint par avion l’année suivante. Un voyage financé par la vente de la maison de la famille en Iran. Arrivé dans nos frontières, Reza Fathi dépose une demande d’asile. Rejetée, comme son recours. Il finit par obtenir en 2019 un permis B humanitaire. Dans l’intervalle, l’Iranien n’a pas perdu son temps. Il a pris des cours intensifs de français, commencé le théâtre et suivi des stages avec la comédienne Isabelle Baudet à Vidy, à Lausanne. A 19 ans, il présente sa première pièce, Retrouvailles, inspirée de son parcours. Une démarche qui lui permet d’interagir différemment avec la société d’accueil, de faire valoir d’autres facettes de sa personnalité, au-delà de son statut. Quant au texte, il l’a écrit en marge de son apprentissage d’horloger à l’Ecole technique de la vallée de Joux. Trois années qu’il a appréciées. «Mais il me manquait la passion pour exercer ce métier. Et on n’a pas beaucoup d’impact sur le monde avec un emploi comme celui-là», estime Reza Fathi, qui continue d’écrire et suit une formation d’éducateur. Parallèlement, il œuvre comme animateur socioculturel et moniteur de théâtre pour le Service de la cohésion sociale de Chavannes-près-Renens. 

Besoin d’expression
«Je travaille avec des jeunes âgés de 4 à 5 ans jusqu’à 18 ans. Mon activité consiste à favoriser la création de liens, à les accompagner au quotidien et à les inviter à se forger des avis», précise Reza Fathi, qui collabore aussi ponctuellement avec l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés. «On me contacte pour des jeux de rôle, des témoignages, des actions de sensibilisation du public.» Questionné sur ce qui lui a le plus pesé lors de ses premières années en Suisse, le jeune homme répond sans hésiter: la langue, que désormais il maîtrise. «Le plus dur était de ne pas pouvoir m’exprimer. Je supportais mal aussi mon statut de réfugié, plein d’incertitudes et limitant ma liberté de mouvement.» Citoyen du monde comme il se définit lui-même, Reza Fathi souligne être aujourd’hui bien intégré dans nos frontières et apprécie l’organisation, le côté bien cadré de la Suisse. Toujours en contact avec son père resté au pays, il n’imagine pas revoir sa patrie et le reste de la famille, qui lui manque, sans acquérir la nationalité helvétique. «Trop de craintes», confie celui qui a depuis été rejoint par sa sœur, reconnue comme réfugiée, et plus tard, par sa mère, en procédure d’asile. Les deux femmes ont, elles aussi, transité par la Grèce avant de solliciter la protection de Berne.

Une vie sans peur
«Le bonheur, c’est de n’avoir pas peur du futur. De trouver sa place dans la société. D’être satisfait de soi, en paix et en harmonie.» Un regard qui amène Reza Fathi, en couple et père d’un enfant de bientôt 1 an, à se dire heureux, estimant que, même si c’est difficile, «on peut conduire sa vie». Et ce alors qu’il a différents projets professionnels et artistiques en tête, notamment d’écriture. «Un moyen de transmettre son opinion», insiste le migrant, toujours dans ce souci d’agir, d’avoir de l’influence, de transformer positivement les problèmes avec cette posture digne qui le caractérise. Et qui aurait volontiers échangé avec un Camus ou un Sartre, sur les questions existentielles par exemple. De son côté, il précise croire aux énergies et pense que la vie a le sens qu’on lui donne. Fin observateur, sensible sans pour autant laisser libre cours à ses émotions, le rire mis à part – «Je me protège» – respectueux des autres, Reza Fathi se désole du manque de communication. Et cela aussi bien entre les individus qu’au niveau des Etats. «L’absence d’empathie, de compréhension me fâche», indique l’homme, qui trouve dans la musique, les sports de raquettes, le cinéma et la lecture des moyens de se ressourcer, et du réconfort auprès de la famille et des amis. Quant aux rôles qu’il apprécie le plus au théâtre, Reza Fathi mentionne ceux empreints de mélancolie. Et cite, sans hésiter, au rang de ses animaux préférés, le renard. Non pas pour le caractère rusé qu’on lui prête, mais car il l’a interprété dans Le petit prince. Il note avoir été touché par sa solitude et, en même temps, par sa volonté d’être apprivoisé, de cohabiter. De quoi résonner avec son parcours...

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