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Une approche plus humaine des réfugiés

Stefan Frey explique pourquoi l'OIT a sollicité des privés pour accueillir des exilés et les modalités de la démarche

L'automne dernier, l'Organisation suisse d'aide aux réfugiés invitait les privés, via les médias, à accueillir des réfugiés sous leur toit. Une suggestion qui, depuis, a fait son chemin, 150 familles s'étant annoncées pour recevoir chez elles des exilés. But de la démarche: promouvoir une approche humaine des personnes contraintes à fuir leur pays et favoriser plus rapidement leur intégration. Explications.

Singulière initiative de l'Organisation suisse d'aide aux réfugiés (Osar). L'automne dernier, sur fond de drames répétés de naufrages d'embarcations de migrants au large de Lampedusa, la faîtière suggère à des privés, via les médias, d'accueillir dans leur maison des personnes au bénéfice de l'asile politique ou d'une admission provisoire. Si l'idée peut paraître surprenante, elle n'est toutefois pas nouvelle, pareille démarche ayant déjà été entreprise dans les années 70 en faveur de Chiliens fuyant la dictature de Pinochet. Aujourd'hui, plus de 150 familles disséminées dans tout le pays se sont déjà annoncées pour recevoir des réfugiés. Mais pourquoi en appeler au bon cœur de résidents suisses alors que des infrastructures spécifiques existent? Réponse avec Stefan Frey, porte-parole de l'Osar.

Quelles sont les raisons qui ont motivé l'appel de l'Osar?
L'appel est un bien grand mot. En fait, c'est un article paru dans la presse alémanique qui en a suscité d'autres. Avec, à la clef, plus de 150 familles qui nous ont ensuite contacté. La première motivation de l'Osar porte sur la promotion d'une approche humaine, dénuée de toute notion politique, partant du principe que la plupart des personnes, face à des gens courant un danger, se montrent prêtes à leur offrir protection. Nous avons aussi misé sur le fait que nombre de Suisses se distancient du discours hostile sur les exilés tenu en particulier par l'extrême droite. Hypothèse qui s'est confirmée. Soumis à la Conférence des directeurs cantonaux des affaires sociales, le projet a par ailleurs été accueilli positivement, qualifié «d'instrument complémentaire» à ceux existants.

Mais en suggérant à des privés d'héberger des réfugiés, quels objectifs poursuivez-vous?
D'abord un but utilitaire. Nous pensons que les réfugiés statutaires et les personnes admises provisoirement s'intégreront mieux et plus rapidement auprès de particuliers que dans des infrastructures institutionnelles. Ils seront ainsi plus rapidement autonomes. La démarche est aussi politique. Nous espérons qu'elle favorise, dans certaines franges de la population, une autre perception des réfugiés, une meilleure connaissance de la thématique, via ce rapprochement. Le résultat des votations du 9 février sur l'immigration de masse a montré que certaines régions avaient plébiscité cette initiative alors qu'elles n'accueillaient quasi aucun étranger.

Qu'est-ce qui pousse des familles à jouer le jeu? Quel est leur profil?
Il s'agit surtout de personnes propriétaires d'une maison ou d'un appartement qui, les enfants étant adultes, disposent de place. Touchées par la tragédie syrienne, elles ressentent le besoin d'agir concrètement. De contribuer à atténuer la souffrance des réfugiés. Si elles sont rémunérées pour leur action, elles ne sont toutefois pas motivées par l'argent.

Qu'attendez-vous d'elles?
Nous attendons des familles hôtes qu'elles offrent un accompagnement aux réfugiés. Qu'elles les aident à se familiariser avec la vie, le système, les règles du jeu suisses. Qu'elles les assistent dans la gestion du quotidien pour favoriser leur autonomie. Ce qui ne signifie pas, bien entendu, que les réfugiés doivent sacrifier leur identité. L'accueil pourra durer entre trois et six mois, voire plus, d'entente avec les parties.

Comment géreront-elles les personnes traumatisées?
Ce n'est pas leur mission. Nous n'entendons pas créer un système parallèle. Les personnes traumatisées ayant besoin d'une assistance spécifique continueront à recourir à l'aide de professionnels du domaine. Et les cas les plus lourds ne seront pas placés. Les privés n'ont bien sûr pas à se substituer aux psychologues. Un réseau de soins ad hoc existe.

Pratiquement, comment procédez-vous?
Une rencontre entre le réfugié intéressé et la famille hôte est organisée au préalable, en présence d'un interprète interculturel, suivie d'une courte période de réflexion de part et d'autre. Si le courant passe et que le projet se concrétise, des bilans réguliers sont ensuite effectués, toujours en présence d'un médiateur interculturel. La démarche n'est pas concluante? Le réfugié retourne dans la structure institutionnelle. Nous mènerons une phase pilote jusqu'à la fin de l'année et verrons alors si nous pourrons faire de cette initiative un instrument de l'asile durable et complémentaire à ceux en vigueur.

N'est-ce pas un désaveu des institutions et outils existants?
On ne peut faire de généralités. La gestion de l'asile s'effectue avec des moyens et infrastructures qui ont largement été réduits à l'époque où Blocher siégeait au gouvernement et où la situation, sur ce front, se révélait alors plutôt calme... La solution complémentaire que nous préconisons s'avère plus humaine, en tout cas au niveau des contacts.

Que vous inspire la nouvelle initiative que menace de lancer l'UDC visant à traiter seulement les demandes d'asile d'exilés provenant par voie des airs?
Ce parti entend surtout occuper le terrain en vue des prochaines élections en 2015. S'il lance vraiment cette initiative, le Parlement doit l'invalider car elle se trouve en contradiction avec le respect des droits de la personne. Quoi qu'il en soit, je pense surtout que Blocher et ses sbires sont une bande de lâches qui n'osent pas dire ce qu'ils veulent vraiment: sortir la Suisse des différentes conventions internationales relatives aux droits humains auxquelles elle est soumise. Et, à terme, l'amener à dénoncer l'accord de Dublin et Schengen...


Propos recueillis par Sonya Mermoud