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Traque amicale

portrait du photographe dans la forêt
© Thierry Porchet

Le chasseur d’images Laurent Geslin, la patience pour seule arme...

Photographe animalier de renom, le globe-trotter Laurent Geslin traque depuis des années une star des forêts neuchâteloises. Féline passion quand tu nous tiens

Tenue de camouflage et planque. L’homme peut passer des mois à l’affût, au même endroit, par tous les temps, à guetter son aléatoire passage. Il reste parfois prostré des heures durant dans sa cachette étriquée sans percevoir la moindre trace, le plus petit indice sonore de sa présence. Il est prêt à essuyer les remontrances de sa famille lui reprochant de longues absences. Et n’hésite pas à réduire au silence cette petite voix qui l’interroge sur la rationalité de sa démarche, au terme de jours et de jours de traque amicale infructueuse. Dans la solitude de ces forêts du Jura neuchâtelois qu’il adore toutefois. Cet homme-là, ce passionné, c’est Laurent Geslin, marié et père d’un garçon de 8 ans. Et l’animal qui capte ainsi son intérêt, l’invisible lynx ou presque. Le Breton d’origine de 46 ans a noué une relation forte avec le prédateur, objet de deux livres déjà. Depuis plusieurs années, il l’étudie le discret et méconnu félin, sans relâche, et l’immortalise à travers de magnifiques photos. Aujourd’hui, il franchit un pas de plus, œuvrant à la réalisation d’un documentaire. Autant de prises de vues réputées quasi impossibles, tant l’animal se révèle difficile à observer. Mais pas pour un naturaliste aussi tenace – «monolithique», dira Laurent Geslin – que lui.

Fou de nature

D’une patience à toute épreuve ou presque, appréciant les travaux de longue haleine, Laurent Geslin augmente aussi ses chances d’immortaliser le lynx grâce à ses pièges photographiques. Appareils embusqués qui lui réservent également d’autres surprises. Des chouettes hulottes, de jeunes chamois, des chats sauvages, des putois, etc. viennent parfois voler la vedette à la méfiante star mais aussi des espèces inattendues... «L’image la plus incongrue? Celle d’un randonneur nudiste posant devant l’objectif», raconte Laurent Geslin, dans un haussement d’épaules. A chacun son hobby... Le photographe est lui, depuis tout jeune, un fou de nature. Le lynx sert ainsi aussi de prétexte à ses virées dans les bois. Des escapades initiées avec son père. «J’ai grandi à Rennes, en ville. Mais nous partions les week-ends dans la campagne observer les oiseaux et toutes sortes d’animaux.» Plans jugés alors bien plus séduisants que les salles de classe. «Je me traînais sur les bancs d’école. Seuls la biologie et le dessin m’intéressaient.» Sa passion pour la photographie remonte elle aussi à l’adolescence. «J’adorais les loups que j’allais voir dans le parc du Gévaudan. J’ai eu envie de faire des images.» Qualifiant son parcours scolaire «d’assez chaotique», l’homme va ensuite s’impliquer dans différentes associations environnementales et voyager. Il travaillera comme guide naturaliste en France, en Namibie et en Afrique du Sud.

Sur les traces des animaux urbains

A 24 ans, Laurent Geslin s’installe à Londres dans le but de parfaire quelques mois son anglais. Il y restera finalement dix ans entrecoupés de nombreux séjours à l’étranger. Dans la capitale britannique, le Français collabore avec une agence photographique. Il s’occupe alors surtout de mariages et de portraits – «une bonne école pour élargir mes connaissances techniques» – avant de proposer un sujet inédit sur les renards en ville. Une idée qui rencontre l’intérêt de la BBC avant d’être étendue à d’autres espèces citadines et faire boule de neige. La revue National Geographic mandate Laurent Geslin pour immortaliser la faune dans différentes villes européennes. «Fascinant de voir comment les animaux parviennent à s’adapter à des environnements pourtant plutôt hostiles», relève le chasseur d’images qui mettra au point différentes stratégies d’approche pour s’introduire dans leur univers. Faucon pèlerin, palombes, blaireaux, cochons sauvages... étoffent ses clichés. Un livre et des expositions couronnent la démarche. Laurent Geslin devient une référence dans la photographie animalière. Accompagné parfois aussi de biologistes œuvrant à la préservation des espèces, il effectue nombre de reportages dans des parcs nationaux en Inde, Australie, Sri Lanka, Namibie, Ethiopie, Brésil... Avec, à la clef, de superbes clichés pour des magazines, albums, télévisions qui le laissent pourtant aussi songeurs.

Entre rêve et cauchemar

«On braque l’objectif sur la beauté de la nature, on fait rêver. On entretient le mythe alors que les animaux sauvages sont désormais confinés dans des territoires grands comme des mouchoirs de poche, de moins en moins nombreux... C’est déjà foutu... Mais j’espère quand même que mon travail contribue à éveiller les consciences et à sensibiliser le public à la nécessité de préserver l’environnement.» Très pessimiste sur le sujet, Laurent Geslin confie encore son inquiétude pour l’avenir de son enfant. «On fonce droit dans le mur. Des catastrophes majeures vont se produire. Et pourtant, on poursuit sur notre lancée: surexploitation des ressources, consommation immodérée, gaspillage, etc. Pas besoin d’être économiste pour savoir que cette volonté continuelle de croissance se révèle absurde. Que le système n’est pas viable», se désole le photographe non sans se montrer aussi critique à son égard. «Je fais des petites concessions à mon niveau, mais je ne suis pas non plus sûr d’avoir envie de changer radicalement mon mode de vie», admet Laurent Geslin qui, bien que parfois démoralisé par cette situation, se dit néanmoins heureux, associant le bonheur à «la simplicité du moment». Et à une certaine inconscience au quotidien où le lynx et la forêt, à n’en pas douter, lui offrent leur part de rêve...

 

www.laurent-geslin.com