Récemment ouverte à Vevey, la bibliothèque d’instruments de musique créée par l’Œuvre suisse d’entraide ouvrière Vaud rencontre un succès croissant. Au diapason d’une insertion par la culture...
Guitares, pianos numériques et synthétiseurs, violons, flûtes traversières, saxophones, xylophones, djembés, contrebasses, harmonicas, ukulélés... Posés sur le sol ou des étagères, les instruments de musique rassemblés par l’œuvre suisse d’entraide ouvrière (OSEO) Vaud composent une gamme riche et hétéroclite. Pas moins de 220 spécimens constituent, quand elle est complète, cette bibliothèque d’un autre genre ouverte à Vevey. Un espace destiné à des réfugiés et des personnes démunies qui peuvent emprunter gratuitement l’article de leur choix. Une soixantaine d’instruments manque aujourd’hui dans les rayons, prêtés à des bénéficiaires du projet. Les accords d’une guitare électrique déchirent le silence. Gustavo, 18 ans, essaie une gratte qu’il envisage, satisfait, de ramener chez lui pour une durée de trois mois. Un bail renouvelable. «J’ai testé différents modèles pour déterminer lequel me convient le mieux. Cette bibliothèque est une excellente initiative. Je n’ai pas les moyens de louer et encore moins d’acheter une guitare», note cet étudiant au SEMO (semestre de motivation), qui cultive sa passion en autodidacte, à l’aide de tutoriels sur Internet. Aujourd’hui, le jeune homme peut néanmoins bénéficier des conseils avisés de Georges Boixader, musicien aguerri et luthier sur instruments à cordes pincées, effectuant un stage professionnel à l’OSEO. L’homme se charge d’accorder et de réparer les instruments au besoin. Il donne également des cours aux intéressés. «C’est un projet social génial, qui fait sens», s’enthousiasme-t-il, interrompant un duo improvisé avec son élève.
Ces mélodies qui apportent de la lumière
Pianistes professionnels ukrainiens, Pavlina et son mari Vladimir – qui œuvrait également comme chef de chœur et d’un orchestre d’une vingtaine de personnes dans sa patrie – optent pour des flûtes traversières. Le couple de réfugiés dispose déjà d’un clavier à son domicile, offert par une institution. Il a par ailleurs fait don à la bibliothèque d’un orgue qu’il avait reçu d’une église du canton et continue à se familiariser avec cet instrument à la bibliothèque. Les deux exilés ont quitté Kiev il y a bientôt deux ans. «On a rejoint la Suisse seulement avec les habits qu’on portait», raconte Vladimir appréciant, comme son épouse, l’initiative de l’œuvre d’entraide. «C’est une possibilité incroyable. Un nouvel élan pour nous. Je me sens vivre quand je joue», témoigne Pavlina, qui, avant la guerre, donnait des cours et des concerts et consacre désormais son temps à la composition. Mais espère aussi, avec son mari, se produire. «On souhaite interpréter des chansons ukrainiennes. Je réadapte les mélodies. Ces chants ne sont pas tristes. Ils me donnent de la lumière. Me font ressentir de la joie, alimentent l’espoir», explique la quinquagénaire, et d’ajouter: «La musique, c’est ma manière d’être heureuse.» Vladimir opine du chef, un sourire fleurissant sur ses lèvres. A terme, les deux musiciens, reconnaissants envers la Suisse, aimeraient également jouer dans des homes. «Nous avons beaucoup reçu de la Suisse. Nous aimerions à notre tour donner, partager notre art.»
Femme orchestre...
Réception des instruments, inventaire, contrôles, accueil et conseils... Chargée du projet baptisé «Osons jouer», Laura Zeller affirme adorer son travail. «C’est une activité atypique, variée, qui m’offre beaucoup d’autonomie. Je rencontre des personnes magnifiques. J’entends de la belle musique», s’enthousiasme l’éducatrice de formation, qui, outre la gestion de la bibliothèque et la recherche de fonds, a aussi le champ libre pour développer d’autres initiatives y relatives comme l’organisation de cours. «On a par ailleurs déjà mis sur pied un coin spécial pour les enfants. J’aimerais à terme aménager une salle insonorisée et favoriser la création de groupes et d’échanges avec des lieux de concerts», lance cette femme orchestre notant l’éclectisme des locations. «Etonnamment, nombre de violons et de synthétiseurs des années 1990 sont partis. Nous recevons aussi beaucoup de dons.» Tous les prêts sont gratuits. La responsable demande néanmoins, pour les instruments d’une valeur de plusieurs milliers de francs, une caution de 100 à 200 francs. «Mais on remarque que les gens sont très soigneux.»
Question de dignité aussi
L’initiative «Oser jouer» trouve ses origines dans l’esprit fertile et innovant du directeur de l’OSEO Vaud, Yves Ecœur. «J’ai toujours voulu jouer de la guitare, mais je manquais de talent. Après une tentative à l’adolescence, j’ai récidivé à la quarantaine, sans plus de succès. Je possédais alors trois guitares inutilisées chez moi. L’idée d’en faire profiter d’autres s’est imposée», raconte l’homme, persuadé qu’il n’est pas seul dans son cas. Les bases de l’entreprise sont posées, avec l’ambition de permettre à des personnes confrontées à la précarité d’accéder à la pratique d’un instrument de musique. «Les migrants ne traversent pas la Méditerranée avec leur violon», image le responsable, précisant que l’offre s’adresse à tous les intéressés manquant de moyens. «Mais nous ne demandons pas de preuve de leur situation. Nous nous basons sur la confiance.» Yves Ecœur va profiter d’une émission radiophonique soutenant des démarches solidaires pour lancer avec succès son projet inspiré d’initiatives semblables menées au Québec et à Paris. «A la suite de cet appel sur les ondes, nous avons reçu beaucoup d’instruments de particuliers, de la guimbarde à la contrebasse, et ça continue.» Si l’OSEO est spécialisée dans l’insertion socioprofessionnelle – organisation de cours de français, de postulation, de stages, etc. –, Yves Ecœur souligne l’importance de la dimension créative, culturelle, propre à rendre aussi de la dignité, de l’estime de soi au public cible. Cette approche, insiste-t-il, offre aussi aux bénéficiaires la possibilité de se définir de manière différente qu’à travers leur seul statut. «La musique favorise la mise en liens entre les individus. Son apprentissage comporte des bienfaits aussi bien pour l’intellect que le moral. La pratique d’un instrument est une manière de se mettre en mouvement. Elle a un effet positif sur la dépression, donne des buts aux personnes, les sort de l’attente et favorise leur autonomie.» L’harmonie en ligne de mire...
Davantage d’informations sur oserjouer.ch
Photos Thierry Porchet