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Sans papiers et sans apprentissage

A l'heure de la rentrée des classes la Plateforme nationale pour les sans-papiers a dénoncé les entraves à l'apprentissage

Depuis l'entrée en vigueur de la nouvelle ordonnance le 1er février 2013, qui avait pour objectif l'accès à l'apprentissage pour les jeunes sans-papiers, seules deux demandes ont été déposées à l'Office des migrations. Preuve que cette disposition doit être modifiée selon les défenseurs des droits des migrants.

La semaine dernière, la Plateforme nationale pour les sans-papiers a appelé à une révision de l'ordonnance sur l'accès à l'apprentissage pour les jeunes sans statut légal. Car depuis son entrée en vigueur le 1er février 2013, seules deux demandes ont été déposées auprès de l'Office fédéral des migrations (ODM) via cet article 30a de l'Ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative (Oasa). Deux sur quelque 200 à 400 jeunes sans-papiers susceptibles de commencer un apprentissage chaque année.
Selon la Plateforme nationale pour les sans-papiers - composée d'associations de défense des droits des migrants, de syndicats, dont Unia, de partis politiques et d'Eglises -, cette situation est notamment due au fait que la possibilité de demander une autorisation de séjour est limitée à la durée de l'apprentissage. Et n'inclut pas forcément tous les membres de la famille. La Plateforme propose donc plusieurs ajustements: la possibilité pour les jeunes sans-papiers de pouvoir déposer une demande de séjour sans devoir révéler leur identité, que le permis de séjour soit délivré automatiquement à leur famille pendant la durée de leur apprentissage, et que le contrat d'apprentissage soit, en soi, une preuve suffisante de leur intégration. Pendant le traitement de la demande de régularisation, au niveau cantonal puis fédéral, les jeunes sans-papiers devraient en outre disposer d'une attestation de tolérance de séjour. En marge de la conférence de presse tenue à Berne, entretien avec Myriam Schwab Ngamije, travailleuse sociale de La Fraternité, le secteur migration du Centre social protestant à Lausanne.


QUESTIONS/REPONSES

Comment est mis en pratique cet article de loi?
Il n'est pratiquement jamais utilisé: soit parce qu'il n'y a pas de volonté cantonale en faveur des régularisations, soit au contraire parce que cet article est considéré comme trop restrictif. Le jeune ne peut jamais déposer une demande seul, car il doit montrer ses moyens financiers qui proviennent de ses parents. Les familles doivent donc se découvrir et elles ont peur. Le risque est trop grand. La preuve, il n'y a eu que deux demandes au niveau fédéral en l'espace de deux rentrées scolaires. Dans le canton de Vaud, depuis la nouvelle ordonnance, quatre familles avec des adolescents au bénéfice d'un contrat d'apprentissage ont déposé des demandes de régularisation, mais via l'article 31 Oasa qui permet de régulariser toute la famille définitivement (deux réponses ont été positives et deux autres sont en suspens). Via cet article, 119 personnes, des familles principalement, ont été régularisées dans le canton de Vaud en 2013. Toutefois, il y a des cantons qui refusent systématiquement de transmettre des demandes de régularisation à l'ODM. Un jeune qui habite dans les cantons de Vaud, de Genève ou de Bâle a ainsi beaucoup plus de chance d'être régularisé. Tout est donc affaire de volonté politique.


Lors de la conférence de presse de la Plateforme nationale pour les sans-papiers, vous avez parlé des bonnes pratiques vaudoises...

Oui, même si c'est loin d'être rose, je dirais que le contexte est un peu plus ouvert qu'ailleurs. Par exemple, pour les sans-papiers économiques qui déposent une demande de régularisation, le Service de la population (Spop) du canton de Vaud, et à Genève, donne une attestation, renouvelable de 3 mois en 3 mois, leur permettant de travailler jusqu'à ce qu'ils reçoivent la réponse. C'est ainsi une garantie pour l'employeur qu'il n'est pas hors la loi en engageant un jeune apprenti sans statut légal. Une disposition qui ne s'applique malheureusement pas aux requérants d'asile déboutés frappés d'une interdiction de travail.

En quoi les exigences des critères d'intégration sont trop grandes?
Trouver une place d'apprentissage est difficile en soi. En plus de la discrimination à l'embauche des étrangers, il y a le problème des papiers... Le jeune sans-papiers cumule donc les obstacles. S'il réussit à être engagé, c'est donc le gage d'une parfaite intégration. L'obligation d'avoir 5 ans de scolarité en Suisse, alors que beaucoup de jeunes arrivent vers 13 ou 14 ans, est superflue. De manière plus générale, une solution pour permettre l'accès à l'apprentissage pour tous les jeunes quel que soit leur statut serait que l'apprentissage devienne une formation comme une autre et ne nécessite plus de contrat de travail. Et surtout, il faut arrêter cette politique hypocrite de l'autruche et reconnaître et accorder un statut de séjour valable à toutes ces personnes qui sont intégrées et travaillent en Suisse depuis tant d'années. Malheureusement, la votation du 9 février risque de créer encore davantage de sans-papiers.


Propos recueillis par Aline Andrey



Témoignage

Le parcours d'une combattante

«J'ai dû attendre d'être régularisée pour trouver une place d'apprentissage. Dans les faits, les employeurs sont déjà réticents quand on a un permis B, donc sans papiers, vous imaginez... Pour moi, l'apprentissage n'était même pas un projet», raconte Iman, CFC de commerce en poche depuis un mois. Elle a vécu 22 ans en Suisse comme en témoigne son accent vaudois, mais n'est régularisée que depuis 3 ans. Son histoire est emblématique de la souffrance vécue par ces milliers d'enfants comme les autres, mais dont le quotidien et les perspectives d'avenir sont si différents.
Née en Algérie, Iman a quelques mois lorsqu'elle arrive à Lausanne. Cinq ans plus tard, suite à un contrôle de police, ses parents et elle sont contraints de retourner dans leur pays d'origine. «On m'a dit qu'on partait en vacances chez papi et mamie. Les vacances ont duré 4 ans. Je me suis bien fait avoir», rit-elle aujourd'hui. «Quand je suis arrivée là-bas, j'étais complètement déracinée. Je ne parlais pas l'arabe. Ma langue maternelle était le français et mon pays, la Suisse. J'étais l'étrangère, l'immigrée.» Quatre ans plus tard, la famille revient en Suisse où Iman poursuit sa scolarité sans encombre. «Je ne savais pas que j'étais sans-papiers, jusqu'au moment d'un voyage d'études en France. Nous devions amener notre passeport. C'est là que mon père m'a annoncé que je ne pouvais pas y aller.» Une baffe pour l'adolescente d'alors, qui d'un coup n'était plus celle qu'elle croyait être. Et s'est vue contrainte de mentir. «J'ai trouvé une excuse bidon. Comme le camp se passait en campagne, j'ai raconté que j'étais allergique à je ne sais plus quelles graminées...»
Iman étudiera ensuite pendant quatre ans au gymnase, mais en ressortira sans diplôme. «Faire des études me semblait vain. Pour quoi faire ensuite? A mes 18 ans, je suis dans les faits restée mineure. Je n'avais pas le droit de voyager, j'avais peur de sortir le soir. Surtout, j'avais honte. Je n'étais pas la personne que je montrais. J'étais plutôt extravertie, présidente du comité des élèves, souvent sur le devant de la scène. C'était comme une manière de cacher mon statut de sans-papiers.»

Après 20 ans, un permis B
«Peu importe ce que j'entamais, il y avait toujours un obstacle. Pour passer les examens pour entrer à l'université ou même pour rejoindre une équipe de sport, on m'a demandé mon passeport. A chaque fois, j'ai laissé tomber, car je n'avais pas la force d'expliquer ma situation. Je devais aussi refuser des petits boulots et je passais pour une tire-au-flanc...» Finalement, un contrôle de police inopiné à son domicile lui fera l'effet d'un grand soulagement. «Je me suis dit, enfin! Enfin, il n'y a plus à se cacher!» Iman dépose une demande de régularisation. Et, le 3 janvier 2011: «Le miracle s'est produit. Sans aucun avertissement, j'ai reçu mon permis à la maison!»
Elle trouve alors rapidement du travail comme réceptionniste, puis un apprentissage de commerce, et peut enfin voyager... Parallèlement, elle entame les démarches de naturalisation. «J'ai payé et passé tous les examens au niveau de la commune. J'étais sur le point d'aller prêter serment ce printemps lorsque le canton a rendu une réponse négative. Mes 22 ans passés en Suisse ne comptaient pas à leurs yeux, puisque j'étais sans papiers! Les représentants de la commune étaient très mal à l'aise...», raconte Iman entre colère et fatigue face à cette injustice de trop. Elle pense surtout à tous ceux qui travaillent et vivent dans la peur, dont ses parents toujours en procédure. «Ma mère a un accent vaudois aussi fort que le mien et a toujours travaillé, dans la restauration et auprès de personnes âgées. C'est ici chez elle... Et elle aimerait tant pouvoir aller voir la mer.»

AA