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Ronde d’émotions

Portrait d'Olivia Seigne. Avec son écharpe en mouvement.
© Thierry Porchet

Olivia Seigne, dans une improvisation enjouée...

Comédienne, metteuse en scène, auteure de pièces, professeure de théâtre, la Valaisanne Olivia Seigne diversifie les rôles. Au jeu des répliques...

Du pain sur les planches: entre la codirection de la pièce et son jeu d’actrice, Olivia Seigne traverse une période particulièrement intense. La comédienne de 48 ans s’apprête en effet à incarner une mère surmenée et frustrée dans Les conquêtes de Norman. Parallèlement elle assure en binôme la mise en scène de cette comédie signée Alan Ayckbourn*. «Je passe d’un registre à l’autre. Rock-and-roll», sourit la pétillante et lumineuse quadragénaire, rencontrée entre deux répétitions. Le propos de l’œuvre? Une réunion de famille qui dérape, avec des paroxysmes de disputes. «Jubilatoire», lance la Valaisanne de sa voix enveloppante, ravie de pouvoir, grâce à son art, se glisser dans la peau de personnages pluriels. D’explorer par procuration toute une gamme de sentiments. «Devenir quelqu’un d’autre le temps d’un spectacle, c’est jouissif et savoureux.» Un plaisir d’autant plus grand qu’il se partage. «Le théâtre offre la possibilité de vivre collectivement des émotions. De découvrir ensemble un imaginaire. D’approcher des thématiques importantes comme le lien et la joie.» Un enthousiasme nourri par le goût des mots qu’Olivia Seigne cultive depuis l’enfance.

Entre lumière et retrait

«Gamine, j’appréciais déjà d’apprendre et de réciter des poésies devant la classe. J’aimais aussi jouer à faire semblant», raconte la licenciée en Lettres qui, jeune, n’hésitera pas à courber l’école pour se plonger dans la lecture de grands classiques comme Tchekhov ou Dostoïevski. «Ma mère, divorcée, fermait les yeux, car les notes n’en pâtissaient pas. Quant à cet attrait pour les auteurs russes, je l’ai hérité de ma grand-maman, d’origine bulgare. Une personne drôle, politique, à l’accent tenace qui a vécu l’exil sans le conscientiser», précise l’arrière-petite-fille du peintre Charles-Clos Olsommer. L’intérêt qu’Olivia Seigne porte à la littérature trouve un prolongement dans le théâtre et la conduit à suivre différentes formations en la matière. Un besoin de reconnaissance, de lumière, sans devoir se dévoiler pour autant... «A faire le Mickey sur scène, on s’expose, tout en demeurant secret, en retrait. Une manière d’exister intensément dans un contexte donné. On peut être comédienne et timide», assure la professionnelle qui fréquentera l’Ecole du Passage à Paris, dirigée par Niels Arestrup, avant de jeter provisoirement l’éponge. «A la fin du cursus, à 22 ans, j’ai décidé de me réorienter, désireuse de découvrir de nouveaux terreaux. Mais aussi par dépit. Le métier était trop éprouvant humainement en raison de la forte concurrence. Paris compte une pléthore d’acteurs. Beaucoup de souris se disputent un petit morceau de fromage», illustre la quadragénaire, qui décide alors de partir à Moscou perfectionner son russe, appris dans le cadre universitaire. «Un choix plus romanesque que rationnel...»

Ecarter les murs...

Une année durant, Olivia Seigne évolue dans un monde, un idiome et une histoire qui la fascinent. «J’ai côtoyé une population confrontée à la précarité et la fragilité de la vie alors qu’on lui promettait, à la sortie du communisme, un avenir radieux. Mais l’âme russe se caractérise par cette capacité à écarter les murs, à vivre chaque instant avec un supplément de force, d’intensité.» De retour en Suisse, la voyageuse renoue avec la scène, se marie, élève ses deux enfants âgés aujourd’hui de 17 et 19 ans, donne des cours de théâtre et crée, avec son époux, la compagnie StoGramm. Comprenez 100 grammes dans la langue de Pouchkine, soit l’équivalent d’un shot de vodka ou le poids d’un oiseau sur une branche... Souvent primée pour son art, l’intermittente du spectacle monte régulièrement sur les planches, ajoute à son arc de nouvelles flèches, comme la mise en scène, l’écriture de pièces, et mène plusieurs projets de front. Actuellement, deux initiatives lui tiennent particulièrement à cœur. L’une porte sur une recherche théâtrale consacrée au devenir d’un quartier sierrois chargé d’histoire où résidaient d’anciens ouvriers de l’usine d’aluminium. L’autre braque ses projecteurs sur une infirmière en soins palliatifs, soulignant l’importance du lien et de la difficulté à trouver les bons mots dans ces moments délicats... De quoi faire écho à la grande sensibilité de l’artiste qui, de nature empathique, éprouve de la colère devant le manque d’attention aux autres.

Lever de rideau sur l’éternité

Si Olivia Seigne se définit comme une personne enjouée et optimiste, sa joie se teinte aussi d’anxiété. «Ma plus grande peur? Voir mes proches souffrir», indique-t-elle, confiant encore son inquiétude face à l’état du monde et la situation climatique. «Une épée de Damoclès... Je crains pour l’avenir de mes enfants...» lance la Valaisanne, une ombre sur le front, avant de temporiser. «En même temps, je me dis que, si l’humain doit à terme disparaître, ce n’est somme toute pas si grave.» Pour se ressourcer cette sportive, qui rêve de décroissance, prend volontiers de la hauteur, férue de randonnées méditatives en montagne. «C’est là où je me sens le plus heureuse, reliée à la nature», affirme, de l’éclat dans ses yeux bleu-vert, celle qui s’émeut de la musicalité du vent dans les mélèzes. Savourant le bonheur du présent, aimant le bleu de Prusse et les éléphants, «beaux, immenses et gracieux», la comédienne croit à une forme d’éternité. Un pari à la Blaise Pascal fondé sur un événement hors du commun survenu dans un hôtel des Grisons. «J’ai vu un fantôme. Rien d’effrayant. Des années plus tard, j’ai lu plusieurs articles relatifs à sa présence...» Dans un registre plus terre à terre, cette amoureuse du verbe conjugue son maître-mot avec douceur. Celle liée aux sucreries appréciées par ce bec à bonbons, mais surtout à cette qualité qui, estime-t-elle, n’est pas suffisamment reconnue quand bien même elle renferme tant de force...

Les conquêtes de Norman, représentations au Théâtre Les Halles à Sierre, du 9 au 19 décembre, et à celui du Reflet à Vevey, les 27 et 28 janvier.