Illustrant huit siècles d’architecture avec une mention spéciale «Art nouveau», la capitale de la Lettonie, offre une balade dans l’histoire
Eglise Saint-Pierre, l’édifice le plus haut de Riga, avec sa flèche s’élançant dans le ciel à 123 mètres d’altitude. Un ascenseur conduit les visiteurs au sommet du clocher. Le belvédère, livré aux vents, offre une vue époustouflante sur la capitale. Candidats au vertige s’abstenir. Blottie à côté du fleuve Daugava, la vieille ville déploie tout son faste avec ses édifices du XIIIesiècle à nos jours. Une frise chronologique aux influences et styles divers témoigne du passé tourmenté de la cité. Carrefour maritime ayant attiré marchands allemands et croisés occidentaux venus évangéliser la région, Riga a aussi été conquis par les Polonais, les Suédois et les Russes avant l’occupation nazie et celle soviétique. Autant de passages qui ont laissé leur empreinte sur la capitale forte de 640000 âmes. Les épisodes les plus récents de l’histoire demeurent bien présents dans les esprits et ont donné le ton à la politique lettonne. Devenu indépendant en 1991, le pays – qui compte une importante population russophone – est entré dans l’Union européenne et l’Otan en 2004. Signal clair envoyé à son puissant voisin sur l’intangibilité de ses frontières.
Joyaux de pierre
En cette journée automnale, pluies et furtives percées de soleil jouent avec l’éclat des couleurs de la cité, renforçant le sentiment d’harmonie qui se dégage de la ville historique, inscrite au patrimoine de l’Unesco. Un décor de carte postale que les visiteurs parcourent à pied, arpentant rues pavées ou avenues au tracé rectiligne, emmitouflés dans des vêtements chauds. A une encablure de la mer, Riga, hérissé de clochers, frissonne dans l’air mordant de la Baltique. Une position géographique qui a façonné le visage du lieu, marqué par son appartenance à la Ligue hanséatique. Avec ses anciens entrepôts – dont des églises à la fois temples et greniers – reconnaissables à leur système à poulie sur la façade hissant les marchandises. «Les gratte-ciel du XVIIesiècle», plaisante Juris Berze, conduisant la visite. Une promenade qui passe immanquablement par l’imposante cathédrale du Dôme, d’abord romane puis gothique – réputée pour son orgue datant de 1880 composé de 6768 tuyaux en bois et en métal. Et par l’emblématique maison médiévale des Têtes noires, une étonnante construction de la Guilde des artisans. Plus précisément une réplique de l’original, qui datait de 1344, détruit au début de la Seconde Guerre mondiale. «Le bâtiment a été refait à l’identique en 1995. Il servait jadis de résidence provisoire aux marchands étrangers qui, pour en jouir, devaient être célibataires et s’engager à défendre la cité en cas de siège», poursuit l’érudit. Clin d’œil de l’histoire, l’espace est aujourd’hui utilisé, entre autres, pour des cérémonies de mariages.
Elégance et raffinement
Changement d’époque et d’ambiance au pied d’immeubles Art nouveau, disséminés dans différents quartiers. Un patrimoine urbain d’une richesse extraordinaire, ravivant les souvenirs d’une période de paix, créative et orientalisante. Et Juris Berze de signaler, au gré des découvertes, les différents styles rencontrés: décoratif, éclectique, perpendiculaire, romantique-national, maniéré. «Nombre de bâtiments ont aussi intégré des éléments architecturaux typiquement lettons.» Pour mesurer toute la richesse de cet ensemble original et raffiné, le plus important d’Europe, il faut aussi lever le nez et admirer griffons, dragons, lions, visages inspirés de la tragédie grecque... surmontant quantité d’édifices. Un Art nouveau qui a également inspiré l’un des plus célèbres monuments de Riga, celui de la Liberté, érigé en 1935 grâce aux dons de la population: une Marianne lettonne juchée sur une vertigineuse colonne. Dans ses mains, des étoiles illustrant les régions de la nation devenue indépendante seulement en 1918. Hélas! pour une courte durée. Au pied du mémorial, toujours fleuri, la garde d’honneur a repris du service avec le rétablissement de la souveraineté du pays. Un symbole de l’attachement des Lettons à leur patrie et à leurs racines agressées...
Oppression plurielle
Sur le chemin menant à l’unique synagogue de Riga, Juris Berze évoque la douloureuse période de l’occupation. Sa famille, à l’instar de tant d’autres, a directement été victime de l’oppression allemande. Puis a souffert de l’envahisseur soviétique avec une grand-mère déportée en Sibérie. «Né en 1974, j’ai pour ma part vécu entre communisme et capitalisme. J’ai plus de complexes que la nouvelle génération qui se sent évidemment plus libre», sourit l’homme. Fleurs de lotus et colonnades: d’inspiration égyptienne, la dernière synagogue de la capitale – qui en comptait six – doit sa préservation à sa localisation, au cœur d’habitations. «Les nazis ont renoncé à l’incendier de peur que tout le quartier brûle», explique le guide précisant que 72000 Juifs ont été exterminés. Ajoutés aux crimes du régime moscovite, Riga aura perdu, entre 1940 et 1991, un tiers de sa population. Sordide passé illustré dans plusieurs musées de la capitale.
Bien qu’aujourd’hui moins visible, le lourd héritage du marxisme-léninisme s’exprime encore à travers quelques sévères bâtiments monumentaux. Mais si la page est enfin tournée, la transition au modèle capitaliste connaît aussi ses laissés-pour-compte. «Toutes les personnes n’ont pu être réintégrées dans le nouveau système et affronter la compétition inhérente», relève le Letton. Le passage à l’euro, en 2014, a aussi pesé lourdement sur le budget de nombreux ménages frappés par des prix à la hausse. Le salaire moyen s’élève de 800 à 900 euros dans le pays, un peu plus à Riga.
Ouverture vers l’Ouest
Impossible de prendre le pouls de Riga sans visiter son Marché central composé de cinq pavillons voûtés. Des hangars servant, avant la Première Guerre mondiale, de garages à zeppelins. A proximité, Eva, jeune et pétillante guide, signale un centre commercial. Le premier, affirme-t-elle, à avoir proposé dans les années 1990 des produits venant de l’Ouest, comme le parmesan... La Lettonne de 24 ans, qui n’a pas connu le diktat soviétique, note combien sa génération a été imprégnée par les récits de cruelles privations. Elle ne cache pas sa déception face au résultat des dernières élections législatives qui se sont déroulées le 6 octobre. Plaçant le parti russophone Harmony devant ses concurrents. Un score à relativiser, la République parlementaire comptant une multitude de formations politiques rendant difficile l’obtention d’une majorité claire.
Viandes, poissons, produits laitiers, etc.: les pavillons abritent chacun une catégorie spécifique de denrées. Déambulant dans ce monde de saveurs et de senteurs du cru, Eva présente différentes spécialités: le pain noir, le café torréfié artisanalement «très tendance», les bières, boissons préférées des Lettons, les champignons, très prisés des locaux, les pickles ou encore le chocolat Laima. Datant du début du XXesiècle, l’usine du même nom a été nationalisée lors du passage du pays dans le giron de l’URSS.
Pas avant midi
«C’est l’une des seules fabriques de l’époque toujours actives», note la guide. Et de raconter l’histoire du chocolat Sérénade créé en 1936 par un artisan pour séduire sa belle. Un amoureux trop timide pour lui déclarer sa flamme. Naquit ainsi une douceur qui reste une référence pour les palais lettons... De même que le Black Balsam, un alcool fort utilisé, il y a 200 ans, comme médecine, «tuant toutes les bactéries». Une sorte de pousse-café composé de 17 plantes, chiffre Oskar, un sympathique barman, vantant un effet bénéfique sur l’estomac. «C’est très sain. Mais il faut éviter d’en boire avant midi», rigole l’homme avant de proposer une dégustation. Un moment de convivialité dans une ville qui se caractérise encore par ses nombreux bars et cafés branchés, une cuisine créative, une vie nocturne animée, une large offre culturelle dont des concerts de musique classique, ballets et opéras. Un Riga doté d’un dynamisme, d’une énergie particulière – comme s’il fallait rattraper le temps – qui peut sans complexe se comparer aux plus attractives des capitales européennes.
Reportage réalisé dans le cadre d’un voyage de presse.
Genève - Riga, trois vols par semaine avec Air Baltic.
Informations supplémentaires: Live Riga.