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Paryrus 1093 sans-papiers régularisés

Satisfaction pour l'opération genevoise lancée il y a un an des autorités comme des associations et des syndicats

Les partenaires de l'opération Papyrus s'accordent à dire que le projet va dans le bon sens. Le travail proactif des associations et des syndicats, notamment d'Unia, a permis depuis 2015 à 1093 clandestins de sortir de l'ombre et de la précarité. La campagne contre le travail au noir est elle aussi en train de porter ses fruits. Les employeurs ont encore jusqu'au 30 juin prochain pour se mettre en conformité.

Le 21 février 2017, l'opération Papyrus était officiellement lancée à Genève dans un double objectif: régulariser le statut de séjour d'une catégorie ciblée de migrants sans papiers (lire ci-dessous) et assainir les secteurs économiques particulièrement touchés par le travail au noir. Un an plus tard, un bilan de mi-parcours s'impose. Pour Pierre Maudet, conseiller d'Etat en charge de la Sécurité et de l'Economie, cette opération est une réussite, et même une «fierté». En chiffres, depuis le lancement du projet pilote en 2015 jusqu'au 31 janvier 2018, ce sont 1093 personnes, majoritairement en provenance d'Amérique latine, qui ont obtenu un permis B grâce à Papyrus (voir détails dans l'encadré). Sur tous les dossiers déposés, seuls 4 ont essuyé un refus. Des chiffres concluants pour Pierre Maudet, qui a profité de cette conférence de presse du 20 février pour saluer le sérieux du travail mené par les associations et les syndicats dans l'accompagnement des candidats, mais aussi par l'Office cantonal de l'inspection et des relations du travail (OCIRT), l'Office cantonal de la population et des migrations (OCPM) et le Secrétariat d'Etat aux migrations (SEM).
Pour rappel, ce dernier est directement concerné par l'opération Papyrus car c'est lui, en tant qu'autorité fédérale, qui doit approuver la régularisation des immigrés sans papiers en vertu des dispositions légales existantes. «C'est un examen au cas par cas, rappelle Mario Gattiker, secrétaire d'Etat au SEM. Genève propose une voie exploratoire intéressante, et les conclusions de l'opération pourraient être utiles au traitement du dossier sensible des sans-papiers en Suisse.» A ce jour, rappelle Mario Gattiker, des projets analogues émergent dans le canton de Vaud et à Zurich, mais c'est à Bâle-Ville que les discussions parlementaires sont le plus avancées. «La politique migratoire est une compétence cantonale, si d'autres cantons nous soumettent des projets solides, nous sommes prêts à nous montrer ouverts.»

Mettre en confiance
Ce bilan intermédiaire est aussi l'occasion pour les associations et les syndicats, notamment Unia, qui portent le projet, de livrer leur expérience. «Nous avons mené des séances d'information collective pour la bonne marche du projet mais aussi pour éviter que les personnes hors cible ne déposent un dossier, souligne Marianne Halle du Centre de contact Suisse-Immigrés. Au début, les permanences étaient prises d'assaut, aujourd'hui le flux est plus stable, mais nous continuons à envoyer des dossiers chaque mois. Nous avons dû instaurer une relation de confiance avec les migrants, désamorcer les peurs et les rumeurs qui ont pu courir dans certaines communautés.» Au-delà de la constitution du dossier, Marianne Halle insiste sur la mission d'accompagnement social et syndical des permanences. «Pour les bénévoles qui participent à l'opération, il est toujours difficile de devoir dire non à ces candidats qui ne rentrent pas dans les clous. Mais à l'inverse, quand ça marche, il y a la satisfaction de voir nos espoirs se concrétiser et à quel point ce permis B change des vies. Nous avons pu aider par exemple un jeune à commencer une formation ou encore sauver une famille aux prises avec un marchand de sommeil mal intentionné.»

Employeurs coopératifs
L'autre volet du dispositif, ce sont les mesures d'accompagnement mises sur pied pour assainir les secteurs et garantir des conditions de travail correctes et stables. Lorsqu'un dossier présente un soupçon d'infraction en matière de conditions de travail ou d'assurances sociales, l'OCPM le transfère à l'OCIRT qui l'étudie. L'employeur est alors contrôlé une fois le processus de régularisation de l'employé terminé. Au 31 janvier, 552 dossiers avaient été transmis à l'OCIRT. 72% de ces dossiers concernent l'économie domestique. Viennent ensuite l'hôtellerie restauration (6%) et le bâtiment (4%). «Nous savions que l'économie domestique allait être un secteur compliqué, commente Christina Stoll, directrice générale de l'OCIRT. En effet, il est très difficile d'identifier les employeurs.» Cela dit, celle-ci précise que les employeurs se sont montrés coopératifs et ouverts. A ce jour, sur les 63 dossiers d'emplois domestiques dans lesquels des infractions ont été relevées, 32% ont été suivis de mises en conformité et 68% sont en cours de régularisation. Quant à la campagne lancée en avril «Le travail au noir, ça se paie cash», elle a poussé bon nombre d'employeurs à se mettre en règle. Entre 2016 et 2017, le nombre d'adhésions à Chèque Service a augmenté de 36%. De même, la masse salariale cumulée par Chèque Service est passée de 52 millions de francs à 61 millions, avec 2 millions de francs de plus de charges sociales qui sont rentrées dans les caisses des assurances sociales. Néanmoins, il reste dans ce domaine encore beaucoup de travail à faire. D'ailleurs, c'est la dernière chance pour les employeurs qui ne déclarent pas, ou pas complètement, leur personnel de se mettre en conformité: à partir du 30 juin, les contrôles vont se renforcer et les infractions relevées seront transmises au Ministère public.

Bourse à l'emploi
Pour faciliter la tâche aux employeurs désormais soucieux de respecter leurs obligations légales, Ménage-Emploi* a été inauguré ce même 20 février. La plateforme internet permet de mettre en relation les employeurs avec la main-d'œuvre indigène de manière simple et transparente. «Nous nous entretenons avec les candidats pour vérifier leurs compétences et leurs qualifications, explique Libert Eyben, directeur général de l'entreprise sociale privée PRO. Une fois notre base de données constituée, nous pouvons transmettre aux employeurs des candidatures en fonction de leurs besoins.» Cette bourse à l'emploi inédite dans le secteur de l'économie domestique a pour objectif de faciliter l'engagement des personnes licenciées à la suite de leur régularisation et leur garantir des conditions de travail correctes, mais elle ne s'adresse pas seulement à cette population, sinon à tous les employés domestiques du canton, sans-papiers ou pas.

A suivre...
Pour Pierre Maudet, c'est un premier bilan encourageant. «Pour l'instant, le projet tient ses promesses. Nous avons réussi à redonner de la dignité à ces gens et la peur a changé de camp. Le très craint effet d'appel d'air n'a, à ce stade, pas été observé, et selon l'étude universitaire menée, seule 1 personne sur les 101 régularisées ayant répondu à l'enquête bénéficie de l'aide sociale.» Il faudra évidemment attendre début 2019 pour dresser un tableau précis des résultats définitifs de Papyrus et décider des suites à lui donner.

Manon Todesco

*https://menage-emploi.ch/


Permanence
Les permanences Papyrus d'Unia se tiennent tous les mardis et jeudis de 16 h à 19 h au syndicat, chemin Surinam 5, à Genève.


Critères
Critères pour l'obtention d'un permis B:
*Justifier d'un séjour continu de 5 ans pour les familles avec enfants scolarisés ou de 10 ans pour les célibataires ou les familles sans enfants.
*Ne pas avoir de condamnation pénale.
*Avoir un ou des emplois.
*Etre indépendant financièrement.
*Avoir un certain niveau de français (A2).


Chiffres
1093 personnes régularisées.
244 familles.
291 célibataires.
8 couples sans enfants.
3000 personnes reçues en permanence.
Pays de provenance: Amérique latine (42%), Kosovo et ex-Yougoslavie (19%), Philippines (16%).
Environ 15 dossiers déposés par semaine en 2018.
552 dossiers transmis à l'OCIRT dont 72% concernent l'économie domestique.

Enquête Unige
Enquête réalisée par l'Institut de recherche appliquée en économie et gestion, créé il y a un an, sur 149 personnes dont 101 ayant obtenu le permis B dans le cadre de l'opération Papyrus.
70% sont des femmes
Age moyen: 44 ans
81% ont terminé une formation secondaire ou universitaire.
67% travaillent dans l'économie domestique.
49% n'ont qu'un seul employeur.
Plus de 80% des personnes régularisées depuis plus de 6 mois ont un emploi déclaré, 70% pour celles régularisées depuis moins de 6 mois, et 60% pour les travailleurs sans papiers.
80% des emplois sont occupés depuis une date antérieure à la régularisation. L'objectif de changement de secteur est très minoritaire.

Les armes syndicales
Selon les statistiques, il y aurait 13000 sans-papiers à Genève, dont entre 3000 et 5000 qui seraient éligibles aux critères Papyrus. Aujourd'hui, seuls 1093 ont été régularisés. Le problème reste de pouvoir apporter la preuve de toutes ces années passées à Genève alors même que ces personnes n'étaient pas censées être là. De même, les prétendants au permis B doivent pouvoir justifier d'une présence continue sur 5 ou 10 ans, sans interruption de séjour. Dans le cas où il y aurait eu un retour au pays, même bref, on repart de zéro. «Nous avons entre 15 et 30% des candidats qui n'arrivent pas à prouver leur présence alors qu'ils sont à Genève depuis 10, 15, 20 ou 30 ans», regrette Thierry Horner, du syndicat SIT. Ce dernier explique également la faible proportion de femmes originaires des Philippines dans les résultats du premier bilan Papyrus. «Dans notre base de données, nous avions des centaines de Philippines, et très peu sont venues en permanence. Nous nous sommes rendu compte que des rumeurs circulaient dans la communauté, notamment que Papyrus était un piège tendu par les autorités. Nous avons dû les rassurer, et elles commencent maintenant à venir consulter.» Sans oublier ceux qui renoncent à la procédure de régularisation par peur ou par «loyauté» envers leur patron, et tous les dossiers qui sont en cours de traitement. «Il y a eu le temps de la mise en route et de la mise en confiance, les choses devraient s'accélérer maintenant», assure le syndicaliste, qui pense qu'on devrait arriver à 2800 régularisations à la fin de 2018.
Concernant les éventuels licenciements de sans-papiers fraîchement régularisés, il est encore trop tôt pour mesurer l'impact. «Les premiers permis ont été délivrés il y a quelques mois et les contrôles interviennent après la procédure de régularisation, nous n'avons pas encore de retours. Mais leur nouveau statut les rend plus forts et nous aurons toutes les armes syndicales pour les défendre.»