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Militant à la ville comme à la scène

José Lillo
© Thierry Porchet

José Lillo amène des textes politiques et historiques au théâtre. Et partage, sur le web, ses réflexions sur le drame qui se joue à Gaza et en Cisjordanie.

Comédien et metteur en scène, José Lillo s’engage au quotidien pour les droits humains.

Depuis ce début d’année, José Lillo est lu loin à la ronde, tant ses écrits sur le génocide en cours à Gaza sont précis et fouillés. «J’ai lu les cinq tomes de La question de Palestine de Henry Laurens. Toute l’histoire y est. Cela aide à ne pas se laisser avoir, à écarter le mensonge», explique avec humilité l’homme de théâtre, qui a aussi le talent de donner à entendre sur scène des textes souvent ardus, plongeant les spectateurs dans un passé édifiant et passé sous silence, celui du régime nazi notamment. 

Cela a été le cas avec la Troisième nuit de Walpurgis de Karl Kraus, que José Lillo a mis en lumière sur les planches, et à la tribune des Nations Unies lors de la Journée de la mémoire en 2013. «En 1933, Kraus avait déjà prévenu, par son analyse magistrale du langage et des discours mensongers, des risques de la propagande hitlérienne. Ce livre est d’une terrifiante actualité en écho à Gaza et à la montée des extrêmes droites. Nous vivons un moment historique de nihilisme intégral.»  Ce texte est à l’origine du réveil politique de José Lillo. «Je l’ai lu en 2007. Jusque-là je pensais que l’avenir nous menait vers le mieux. Ce livre m’a profondément transformé et déniaisé. Il pose la vie humaine comme base, sans aucune hiérarchie entre les victimes. L’identité est seconde. Elle est une trajectoire.» 

Le metteur en scène a aussi démocratisé le rapport Bergier. «Ce texte n’a été lu que par des historiens et des spécialistes. Or, il regorge d’informations sur l’histoire que la Suisse a toujours préféré taire: sa très longue collaboration avec les nazis. La langue historique ne se prêtant pas au théâtre, j’ai donc écrit une pièce pour trois acteurs afin d’élargir la réception de ce savoir.»

Contrer la désinformation
Sur la Toile, fort de ses connaissances, José Lillo partage ses réflexions sur le drame qui se joue à Gaza et en Cisjordanie, non sans essuyer des critiques haineuses. «J’ai choisi d’écrire sur Facebook, car X est trop violent. Et pourtant, je reçois régulièrement des messages dégueulasses que je dois bloquer et supprimer. Alors que je défends les droits humains, on m’attaque, heureusement rarement, pour antisémitisme. Avec le temps, j’ai appris à ne plus me laisser intimider. J’hésite d’ailleurs à porter plainte contre un cas particulièrement harcelant.» 

José Lillo s’érige ainsi contre la désinformation et le traitement médiatique asymétrique. «Les médias classiques rappellent toujours le 7 octobre 2023, mais presque jamais qu’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale pèse sur Netanyahou. Ils ont aussi mis du temps à parler de la famine et des crimes de guerre. J’ai sans cesse le texte de Kraus dans la tête. Lorsqu’il critique la presse en 1933, les analogies avec le présent sont tétanisantes. J’aimerais que notre langue universelle, celle du droit international, soit davantage entendue. Ce qu’il se passe à Gaza touche aussi notre intégrité humaine. C’est encore très dur à mesurer.» 

En ce 25 septembre, il sort d’une conférence de presse – organisée avec son camarade Dominique Ziegler ainsi que des représentants de l’organisation Waves of Freedom – afin d’informer sur l’envoi au DFAE de leur pétition demandant une protection diplomatique de la flottille pour Gaza, sur la base du droit international.  José Lillo ne cache pas son inquiétude et son admiration pour les militants en mer. Ce n’est pas seulement sa responsabilité de père d’une petite fille de 8 ans qui l’a empêché d’embarquer. «J’ai senti que je n’avais pas les épaules de me lancer dans un tel voyage. Et je ne crois pas que j’aurais les tripes de voir l’horreur sur place, en arrivant à Gaza.» 

Une enfance sans livres
Sur la terrasse bruyante d’un café de la gare de Genève, entre deux bouffées de cigarette, il raconte ses luttes avec générosité, et son parcours personnel avec parcimonie. Enfant d’immigrés «économiques» espagnols, il naît et grandit à Genève. «Ma mère a été nounou, puis a travaillé comme femme de ménage. Mon père a été serveur toute sa vie. Chez moi, on ne parlait pas politique et il n’y avait pas de livres», résume José Lillo. 

Son amour des planches lui tombe dessus lors d’une pièce à l’école primaire. «Moi qui étais plutôt timide, j’ai découvert que, sur scène, je pouvais faire rire et devenir extraverti.» Féru de bande dessinée, l’adolescent hésite entre embrasser le 6e ou le 9e art, ou même à entamer des études en droit ou en linguistique. Finalement, il entre à l’Ecole de théâtre Serge Martin, devient comédien, puis metteur en scène «en se formant sur le tas». 

En 2010, José Lillo fait partie de ceux qui luttent pour la profession et le statut d’intermittent. «La reconnaissance du doublement des mois de travail pour l’assurance chômage a permis de sauver le métier, étant donné qu’il est impossible pour un artiste d’avoir des mandats sans interruption», explique le quinquagénaire. S’il se réjouit que les artistes émergents aient davantage de soutiens qu’à ses débuts, il regrette néanmoins que les «vétérans» soient quelque peu laissés pour compte. Entre autres engagements, il est aussi de ceux qui ont sauvé le cinéma Plaza à Genève. 

Jonglant actuellement entre plusieurs projets théâtraux, il souligne son bonheur de retrouver son «maître», Serge Martin, dans un duo sur le cynisme contemporain, un dialogue entre Diogène et la figure plus contemporaine du Joker. La pièce intitulée Tire-toi de mon soleil! s’adresse aux hommes de pouvoir «qui obstruent la vie et ne laissent à la plupart que des miettes», peut-on lire sur le site du Théâtre de la Parfumerie, qui programme la pièce en novembre. Parallèlement, José Lillo rejouera La République de Platon. «C’est un texte fondateur de la théorie politique que je ramène à des échanges accessibles au public autour des communs, explique le metteur en scène, qui refuse de se laisser abattre. Face à la dystopie, au cauchemar actuel, il nous faut regarder le négatif en face, tout en lui opposant quelque chose d’optimiste.»

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