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Manor pris en flagrant dumping

Le grand magasin sous-traite ses inventaires à une entreprise allemande pour 8 euros de l'heure

A Delémont, Unia a découvert que des dizaines de travailleuses et de travailleurs détachés par une entreprise allemande effectuaient des inventaires de nuit, chez Manor, avec des salaires de misère. Le syndicat a dénoncé ce cas qui n'est pas isolé en Suisse. Il a également déposé un recours contre la décision du Seco d'autoriser Manor à recourir à ce travail nocturne.

Jeudi dernier, à 18 heures, les clients de Manor à Delémont ont été surpris de voir débarquer devant le magasin une équipe d'Unia venue dénoncer une situation inacceptable, tracts et pancarte à l'appui. Et pour cause, les syndicalistes ont découvert que des dizaines de travailleuses et de travailleurs détachés par une entreprise allemande, Sigma Inventuren & Bestands-Kontrollen, étaient chargés de faire l'inventaire du magasin, de nuit, à des conditions que Monica Fasani, secrétaire d'Unia Transjurane chargée de ce dossier, qualifie de véritable dumping salarial. «Certaines de ces personnes ne gagnent que 8 euros de l'heure, autrement dit un peu moins de 12 francs suisses: cela représente à peine 2000 francs brut par mois pour un salaire à plein temps!» L'indignation de la jeune syndicaliste est d'autant plus légitime que les mesures d'accompagnement des accords bilatéraux précisent clairement que les travailleurs détachés par une entreprise européenne pour effectuer un travail en Suisse doivent bénéficier des conditions de travail et de salaire minimales en vigueur en Suisse. Or les salaires versés sont largement en dessous de cette norme. Et pour les conditions de travail, ce n'est pas mieux. «Ces femmes et ces hommes sont trimbalés dans toute l'Europe pour y faire des inventaires. Ils vivent séparés de leur famille et de leurs amis, ils sont coupés de toute vie sociale, ils travaillent la nuit et font de longs trajets éprouvants sur les routes.» De vrais nomades modernes du travail précaire.

Arrivés par dizaines, en minibus
Les syndicalistes d'Unia Transjurane ont informé la clientèle de Manor ainsi que les vendeuses. Ils ont en parallèle saisi le Service cantonal des arts, des métiers et du travail, lequel a effectué le soir même un contrôle qui fera prochainement l'objet d'un rapport. Peu avant la fermeture du magasin, les travailleuses et les travailleurs détachés sont arrivés par dizaines, débarquant de minibus immatriculés en Allemagne et en Autriche. «Leur nombre exact est difficile à estimer mais je pense qu'ils étaient entre 60 et 80» calcule Monica Fasani.
Le cas de Delémont n'est pas isolé. L'entreprise allemande réalise des inventaires pour Manor, mais aussi pour d'autres enseignes aux quatre coins de la Suisse. Elle était déjà l'objet de forts soupçons de dumping salarial à la suite de contrôles effectués récemment, dans le cadre de la surveillance du marché du travail à Fribourg et au Tessin.

Le tribunal devra trancher
Dans ce contexte, Unia a déposé le 6 avril dernier un recours au Tribunal fédéral administratif contre la décision du Seco (Secrétariat d'Etat à l'économie) de délivrer à Manor un permis pour cette entreprise. «Nous contestons en premier lieu l'autorisation accordée pour le travail de nuit car pour l'obtenir, il faut prouver que ce travail répond à une nécessité économique contraignante, ce qui n'est manifestement pas le cas ici», explique Vania Alleva, responsable du secteur tertiaire d'Unia. «Notre plainte porte également sur le fait que ce n'était pas à Manor mais à l'entreprise allemande de requérir une autorisation.»
Au-delà du dumping salarial, cette affaire pose aussi le problème de la responsabilité dans les travaux de sous-traitance. «Nous demandons depuis longtemps que les entreprises suisses soient obligées de contrôler le respect des conditions de travail et de salaire pratiquées par leurs sous-traitants étrangers qui détachent des travailleurs en Suisse. Qu'elles puissent s'en laver les mains est inadmissible.» Vania Alleva plaide également pour la création d'une convention collective nationale dans la vente. «Cela permettrait d'éviter de telles situations et de prévenir le dumping salarial.»


Pierre Noverraz