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L’œuvre minérale et sensible d’un forçat de la créativité

portrait
© Thierry Porchet

«Peindre m’aide à me connaître, à comprendre le monde qui m’entoure. Je n’imagine pas ma vie sans cette pratique», affirme l’artiste valaisan Nicolas Fournier.

Peintre et plasticien, Nicolas Fournier est fasciné par le monde minéral. Même les carrières de pierre exploitées pour la construction titillent sa créativité

A 56 ans, Nicolas Fournier se considère comme un jeune peintre. Et pour cause. Formé à l’école des Beaux-Arts à Genève, section volume, l’homme a tout au long de son parcours privilégié l’installation et le dessin. Avant que sa première passion pour huile et pinceaux, plantant ses racines dans l’enfance déjà, ne finisse par le rattraper. «J’ai toujours eu envie de peindre. Mais je ne m’y suis pas autorisé avant l’âge de 50 ans ou presque. La rencontre avec cette technique s’est révélée bouleversante», raconte le Valaisan d’origine, qui précise avoir aussi largement consacré son temps à sa famille et au logement, réduisant d’autant sa disponibilité artistique. Marié et père de deux enfants, enseignant à mi-temps les arts visuels dans un collège du bout du lac, Nicolas Fournier s’est parallèlement investi dans la construction d’une coopérative d’habitations participative. Un lieu écosocial réunissant une centaine de personnes où il vit avec les siens. «J’ai mis beaucoup d’énergie dans ce projet, aussi soucieux de sortir le logement du milieu spéculatif; et après avoir perdu l’atelier que j’occupais dans un squat. Aujourd’hui, avec des enfants adultes, je peux me vouer davantage à mon œuvre», ajoute celui qui affirme travailler comme un damné, puisant ses forces dans la peinture. Et confiant sa peur de manquer de temps face aux ans qui passent.

Se réapproprier les images

«Ma curiosité se révèle énorme. J’ai le sentiment de me trouver au début d’un processus. Terriblement excitant!» s’enthousiasme le peintre, qui a développé une approche bien personnelle. Nicolas Fournier réalise des tableaux sur la base de photos qu’il prend lui-même ou d’autres provenant de sources plurielles – internet, presse, archives, etc. Ces modèles sont reproduits à l’identique ou presque, à l’exception des couleurs, irréalistes. Il les associe ensuite dans des installations mélangeant le registre des sujets, scientifiques ou fictifs, actuels ou passés, ordinaires, intrigants, ou triviaux. Sa démarche repose sur son besoin, face au matraquage ininterrompu des images, de se les approprier, d’en détourner ou d’en enlever la charge, de questionner mémoire et temps... Le spectateur est invité de son côté à tisser des liens entre les différentes peintures formant les compositions. Une relecture susceptible de le déconcerter, admet l’artiste, défendant néanmoins l’idée d’une certaine «intranquillité» face à son travail. Et encourageant chacun à recourir à ses propres clefs. «Mon métier consiste à peindre, non à verbaliser. Le regardant fait le tableau», assure Nicolas Fournier, pensif, non sans préciser que ces réalisations sont autant d’autoportraits. Mais l’intime ne touche-t-il pas à l’universel? 

Au cœur des carrières

L’œuvre de l’artiste s’inspire largement de l’univers minéral, des éléments géologiques, des manifestations particulières de la nature comme les avalanches, les éruptions volcaniques, les météorites, etc. Autant de phénomènes porteurs de puissance et de fragilité à la fois qui entrent en résonance avec le microcosme intérieur de l’artiste. Nicolas Fournier se passionne aussi pour les paysages fabriqués par l’homme, à l’image des carrières d’exploitation. Et effectue actuellement un travail en lien avec cet intérêt, bénéficiant d’une bourse de l’Etat du Valais. «Je consulte des archives, visite des carrières, m’informe auprès de professionnels. L’humain a toujours taillé la pierre. Une tradition et un savoir-faire captivants», s’enthousiasme le Valaisan, prévoyant de produire une série de lithographies. «J’envisage également de réaliser, avec l’aide d’étudiants en architecture, un chantier éphémère en terre crue, dans une zone géologique à risques dans le Haut-Valais. Ce dispositif fera par la suite l’objet de peintures.»

Sensible à la question environnementale – Nicolas Fournier se déplace à vélo et en train, une gourde glissée dans son sac à dos –, ce passionné de sciences reste néanmoins optimiste face à l’avenir. «J’essaie de vivre en harmonie avec mes convictions, mais reste positif. Mes enfants s’impliquent beaucoup sur les questions climatiques, je m’applique aussi à leur amener un peu de légèreté», ajoute le quinquagénaire, soucieux de cette charge trop lourde pesant sur leurs épaules. Et cela alors que lui a grandi dans un milieu engagé en faveur des immigrés, contre le nucléaire, etc., sans se départir de son espérance.

Garder intacte sa flamme

Homme de négociations et de paix, l’artiste précise construire sa vie sur la bienveillance et l’amour. Et confie sa sidération face à la difficulté des êtres à vivre ensemble. A accueillir la différence. Pas de quoi le décourager toutefois. «Je crois en l’humanité. L’espoir ne me quitte pas. La créativité favorise mon équilibre, me permet de contourner les obstacles. Tous devraient saisir l’extraordinaire opportunité qu’elle offre.» Heureux, Nicolas Fournier l’est également parce qu’il prend garde à ne pas «se laisser éteindre», évoquant un conseil de la metteuse en scène Ariane Mnouchkine entendu sur les ondes. Le quinquagénaire trouve aussi son bien-être dans les randonnées qui le ressourcent – il était baliseur de chemins pédestres en Valais. Dans le petit jeu spontané du «j’aime, je n’aime pas», il cite dans la première catégorie, en vrac, les chaussettes jaunes – il en porte ce jour-là –, les baskets de course (mais non courir), cuisiner, écouter des podcasts ou encore les arts de la scène, à l’exception du stand-up. Au chapitre de ce qu’il déteste, il mentionne les sports motorisés et le cinéma qui n’est pas distribué en salle. Enfin, questionné sur les paysages qui le font vibrer, le passionné du monde minéral parle de l’Islande et plus généralement de décors montagneux et enneigés. «Des scènes apaisantes, qui lavent, et qui permettent de remettre la rétine à zéro.» Une respiration dans le flux d’images nourrissant l’intriguante et puissante œuvre de l’artiste. Qui, peignant pour tenter de résoudre des énigmes, nous les soumet à son tour...


nicolas-fournier.ch