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Les abeilles sont connectées à la Manip

Je ne sais pas si vous travaillez dans une boîte qui pratique le cadeau de Noël pour les salarié·e·s, mais à la Manip (Mission d’action novatrice de l’industrie privée), c’était encore la règle. Bon, pas le cadeau de Noël personnalisé et coûteux, mais une petite attention de la direction, faut quand même pas croire au Père du même jour.

Le secrétaire général de la Manip, Ruedi Saurer, avait décidé que, cette année, la décision concernant le type de cadeau de Noël, serait prise non pas par la DRH, mais bien par la direction in corpore, c’est-à-dire au complet, pour ceux et celles qui ne pratiquent pas couramment le latin dans la vie quotidienne. Pour les autres, rendez-vous chaque samedi à 12h32 sur les ondes de Radio Vatican italienne pour y écouter l’émission hebdomadaire en latin «Hebdomada Papae, notitiae vaticanae latine redditae», pour ne pas perdre la main ni l’oreille.

In corpore, donc, la direction pour décider du cadeau. Sur proposition de Guido Fifrelin. Qui quelques jours auparavant avait déjà connu son quart d’heure de gloire, puisque deux clients vaguement cornaqués par la Manip avaient obtenu l’International Performance Marketing Award, ce qui avait permis à Guido Fifrelin de prononcer cette sentence historique: «La Suisse sur la carte du monde allait être citée.» Déjà immortalisé pour son «I can English understand but je préfère répondre en français», le Guido continuait sa «Via crucis» comme ils appellent le chemin de croix à partir de 12h32 à la Radio vaticane italienne, le samedi. Notez qu’il existe aussi une rediffusion le dimanche et que vous pouvez podcaster l’émission, au cas où. Pour podcaster Guido Fifrelin, il faudra encore attendre. On cherche toujours une doublure pour les passages difficiles.

Pour en revenir à notre cadeau de Noël, plusieurs pistes avaient été évoquées, afin d’être tendance. Pas comme la fois où, en manque d’inspiration, les hautes sphères de la Manip avaient remis une chemise edelweiss au personnel. Très modérément appréciés, les edelweiss, surtout avec les blouses à manches courtes et bouffantes pour les dames. Cette fois-ci, fallait vraiment surveiller le «trend».

Bon, il y avait toujours les installations de loisir (genre baby-foot) pour équiper les lieux de travail. Ou le potager collaboratif sur le toit de l’entreprise, voire l’abonnement pour la livraison de paniers de fruits bio et de biscuits sains. La direction avait déjà écarté la possibilité d’octroyer un droit à la sieste, coussin adapté offert. Pas très helvétique, le roupillon au bureau. Surtout que certain·e·s employé·e·s de la Manip travaillaient déjà en utilisant des Swiss Balls, ces gros ballons de gym et de physiothérapie recyclés en substitut de chaises de bureau. Imaginez les accidents du travail provoqués par une sieste en position assise sur un Swiss Ball… De quoi faire avaler de travers la Suva, vous savez, cette assurance-accidents que l’on appelait CNA bien avant que Guido Fifrelin arrive à se laver les dents tout seul.

Finalement, la direction de la Manip fit le choix d’un parrainage d’abeilles dans une ruche connectée. Très tendance, la biodiversité. L’image de la Manip, soudainement soucieuse du sort de ces braves petites butineuses tout en soutenant avec constance les producteurs d’insecticides, devenait nettement plus verte et environnementaliste. On appelle ça l’écoblanchiment. A la télé, ils disent «greenwashing». Guido Fifrelin, il ne dit rien, parce qu’il croit que c’est une marque de lessive, et la lessive, c’est sa femme qui s’en occupe.

Alors, les abeilles connectées, comment ça marche? D’abord, il vous faut des abeilles. Et au rythme où ça va, ça sera bientôt une denrée rare. Puis, une boîte, enfin une entreprise, qui s’occupe de placer les capteurs dans les ruches et de fournir à la Manip l’appli qui permet à chaque salarié·e de suivre l’évolution de la situation sur son téléphone portable plus ou moins intelligent. Par exemple, la température de la partie basse de la ruche, où pond la reine et où se développent les larves. Il faut une température constante autour de 30 à 35 degrés. Ces passionnants résultats obtenus, on peut suivre les données concernant le haut de la ruche, là où les abeilles s’activent quand il s’agit de butiner. En combinant température et humidité, on peut même savoir quand elles fabriquent le nectar, puis le miel. Formidable, non ? On n’arrête pas le progrès. Qu’est-ce qu’elles doivent être fières, les abeilles, d’être ainsi prises en considération par des salarié·e·s d’une entreprise aussi importante que la Manip! Qui laisseront bien évidemment tomber tout ça une fois l’effet de la nouveauté passé. Restera la mention sur le site et les en-têtes de la Manip: «Entreprise soutenant la biodiversité». Et l’interrogation intenable de Guido Fifrelin: pourquoi diable faut-il rajouter du miel dans un produit de lessive?