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L’égalité en scène

Portrait de Pauline Epeney.
© Thierry Porchet

Pauline Epiney, comédienne et metteuse en scène engagée.

La comédienne Pauline Epiney interroge, avec humour et finesse, les codes et les genres

Push-Up. En anglais, pompes, ou sous-vêtements féminins. Et aussi, depuis quelques années, le nom d’une compagnie de théâtre valaisanne, aussi énergique et joyeuse que la comédienne qui l’a créée, Pauline Epiney. «Je suis féministe. Mais mes pièces sur le thème ne se veulent ni revendicatives ni morales. Je manifeste dans la rue, pas sur scène. Par contre, le théâtre est pour moi un outil important de questionnement de notre réalité et de nos croyances», explique-t-elle dans son nid douillet, au cœur de la vieille ville de Sion.

Son théâtre, épuré, privilégie la relation frontale entre l’acteur et le spectateur. Il lui permet de transmettre les idées qui lui sont chères, principalement sur la place des femmes ou l’égalité. Sa dernière pièce Elle pas princesse, lui pas héros, basée sur un texte de l’auteure Magali Mougel, s’adresse pour la première fois à un jeune public. «C’est fantastique de jouer pour les enfants. Ils sont tellement présents», lance la metteuse en scène, enthousiaste.

Celle-ci y incarne le rôle d’un «garçon manqué», expression qui en dit déjà long sur le regard posé sur les petites filles qui aiment grimper aux arbres. «Leïli, mon personnage, est mon opposé, confie Pauline Epiney. Enfant, j’entrais tout à fait dans les clichés propres aux petites filles: poupées, aspirateur, petit étendage. Et je faisais de la danse classique, en tutu bien sûr.» Elle rit et avoue apprécier actuellement ses cheveux courts, coupés pour l’occasion. «Chaque rôle me transforme un peu, car je vis un autre personnage, une autre vie, d’autres énergies. Mais cela s’accompagne de tout ce que je lis et vois.»

Son intimité sur scène

Sur scène, son compagnon, l’acteur et metteur en scène Frédéric Mudry, est parfois à ses côtés. Dans sa pièce inspirée de la réalité, Iris et moi*, le spectateur assiste même à une mise en abîme de leur duo jouant un autre couple, celui de la docteure en droit et journaliste bâloise Iris von Roten et de son époux avocat et politicien haut-valaisan.

«Ils ont vécu leur mariage en union libre. Elle a eu ses aventures, lui les siennes. C’était révolutionnaire pour l’époque, jusqu’à aujourd’hui d’ailleurs. Son livre, Femmes en cage, toujours pas traduit en français, parle de la condition féminine, notamment de la maternité et de la sexualité. Il avait fait scandale à l’époque», explique Pauline Epiney qui mélange fiction et autobiographie, s’amusant à brouiller les pistes et à laisser planer le mystère. Ses vies d’artiste et de femme s’entremêlent donc, intimement, tout en questionnant l’idée si socialement construite du couple.

En écho à ses interrogations personnelles, l’artiste a aussi écrit autour de la mère, encore mythifiée. Un brin espiègle, elle confie: «J’aimerais bien que mon compagnon puisse porter notre enfant. Reste que, avec lui, je peux envisager cette aventure.» Et ce, même si devenir maman n’a jamais été un rêve et sa carrière théâtrale toujours prioritaire.

A seulement 34 ans, qu’elle a fêté le 21 décembre dernier, la diplômée de l’école du théâtre Les Teintureries à Lausanne a déjà à son actif des rôles dans de nombreuses pièces, dans des longs et des courts métrages, des téléfilms, des performances dans l’espace public, des publicités et des promotions (dont un spot pour l’égalité des salaires pour Unia). Mais aussi des lectures – notamment de poèmes de Rupi Kaur lors de la grève des femmes du 14 juin –, et des animations muséales, entre autres lors de l’exposition sur Carole Roussopoulos, vidéaste féministe. Et, bien sûr, la création de sa propre compagnie, Push-Up. «En formation, nous avons eu l’occasion de créer une ébauche de spectacle. C’est à ce moment-là que j’ai pris conscience que j’avais des choses à dire! Mon premier spectacle, Kate, était né», se souvient-elle.

De l’origine de son féminisme

Pour trouver la source de son féminisme, il faut remonter un peu plus loin, au temps de ses expériences de jeune fille, entravées par des codes sociétaux. «En tant que femme, on est vite soit trop mince, soit trop grosse, soit trop moche, soit trop facile. Ce sentiment d’injustice vécu dans mon quotidien a trouvé ensuite un écho dans des livres. Je me suis rendu compte alors du caractère politique des inégalités, de la domination exercée.»

Parallèlement, son amour du théâtre se révèle, comme par surprise. Adolescente, passionnée de danse, son niveau n’est pas suffisant pour rêver d’une carrière dans le domaine. Avant d’entamer des études sociales, comme elle le prévoit, elle entre dans une école de culture générale. C’est là qu’elle suit son premier cours de théâtre. «Moi qui me croyais incapable de parler, j’ai ressenti alors un monstre plaisir.» C’est le début d’une passion. Le théâtre devient ainsi le lieu de tous les possibles. «Chaque représentation est différente, hors du temps, intense. J’adore ces moments de partage. Je trouve ça beau, fort», explique la comédienne, lumineuse, dont la délicatesse accompagne une énergie hors norme. Celle qui se définit comme «assez timide» a le contact pourtant facile. Mais elle réserve son extravagance à la scène, un espace devenu vital. «J’avoue être en manque quand je ne joue pas, même si je suis à chaque fois effrayée. Si mon trac bizarrement s’accentue avec le temps, je le gère de mieux en mieux. Quand je suis sur scène, c’est comme si j’étais dans une autre dimension, un état de conscience modifié, hyperprésente à soi et aux autres – j’entends le moindre souffle ou geste au fond de la salle – tout en me sentant dans une autre réalité. C’est comme une force qui me prend. C’est magique.»

ciepushup.ch

*Iris et moi, au théâtre du Crochetan à Monthey, du 21 au 24 janvier, 20h, crochetan.ch