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Le son dans tous ses éclats

Portrait de Stéphane Vecchione.
© Thierry Porchet

«J’aime chercher, me laisser surprendre par le résultat, frayer avec l’abstrait, la suggestion», indique l’artiste polyvalent Stéphane Vecchione.

Compositeur, interprète et performeur, Stéphane Vecchione évolue dans différents domaines artistiques où l’expérimentation joue un rôle moteur

Période difficile pour l’artiste polyvalent Stéphane Vecchione. La pandémie de coronavirus a entraîné l’annulation de plusieurs projets auxquels il participait. «C’est assez tendu. Les tournées prévues ce printemps ont toutes passé à la trappe. En même temps, en tant qu’intermittent du spectacle, je suis habitué à la précarité», déclare, avec une certaine résignation, le Vaudois à la double nationalité, suisse et italienne. Avant le holà imposé par la crise sanitaire, l’homme, père d’une fillette de 11 ans et vivant en couple, terminait la réalisation de la bande-son pour le spectacle Société en chantier. Cette pièce – qui aurait dû être présentée au théâtre de Vidy, à Lausanne – met en scène différents protagonistes du secteur de la construction, soutenus dans leur jeu par les créations musicales de Stéphane Vecchione. Compositions réalisées avec un ordinateur. «Je suis un imposteur», lance un rien provocateur ce passionné de 48 ans, stylé, aux casquettes multiples. Batteur – un instrument qu’il a appris dès l’âge de 16 ans en autodidacte –interprète, compositeur, performeur, le quadragénaire est aussi diplômé du conservatoire des arts dramatiques. Des études qu’il se remémore avec bonheur, même s’il n’a pas souhaité persévérer dans cette voie, s’ennuyant un peu, affirme-t-il, dans le rôle de comédien.

L’attrait de l’inconnu

«A cette époque, parallèlement à mon cursus, je jouais aussi avec le groupe de rock Velma. Mon diplôme en poche, je me suis investi à fond dans cette formation pluridisciplinaire.» Un trio aux visées éclectiques intégrant performances musicales, chorégraphiques et théâtrales qui se produira presque pendant une dizaine d’années avant sa dissolution. «En 2008, nous avons décidé de faire une pause. Après une dernière tournée un an plus tard, nous n’avons jamais repris. Les compositions, collectives, avec peu de compromis, se révélaient compliquées. On ressentait une certaine fatigue», note Stéphane Vecchione, qui décide alors d’explorer d’autres courants et disciplines, collaborant, par exemple, avec la compagnie de danse Philippe Saire ou le metteur en scène et comédien Massimo Furlan. «Aujourd’hui, je me consacre surtout à la création sonore.» Une orientation où il fait la part belle à l’expérimentation, attiré par un besoin intrinsèque d’inconnu, de découvertes, hors des sentiers battus. «J’aime chercher, me laisser surprendre par le résultat, frayer avec l’abstrait, la suggestion, avec l’espoir de susciter des émotions. Cette manière de procéder correspond davantage à mon positionnement dans la vie, plus en retrait», précise celui qui a habillé de ses musiques nombre de spectacles mais aussi des films. Il travaille d’ailleurs aujourd’hui à la réalisation de la bande-sonore d’un documentaire consacré à une danseuse allemande, «créant du relief sur des images».

Passé douloureux

Passionné par son travail, Stéphane Vecchione n’a pourtant pas opté d’emblée pour cette voie, démarrant dans la vie avec des cartes difficiles. «J’ai grandi en institution, pris en charge par le Service de protection de la jeunesse», confie cet homme sympathique d’une grande sensibilité qui, adolescent, opte pour un apprentissage de dessinateur en ventilation. «En l’absence de mes parents, je voulais apprendre un métier. Devenir autonome. Cette opportunité s’est présentée.» Né de père inconnu, le Vaudois tente aussi de retrouver sa trace. En vain. «Mes recherches n’ont pas abouti. Une piste s’est dessinée vers l’Afrique du Nord. Mais rien de très concret. Frustrant», regrette Stéphane Vecchione qui rêvait de dialoguer avec son géniteur. Mais pas question, en dépit d’un passé pour le moins douloureux, de s’apitoyer sur son sort. «J’ai gagné mon indépendance. Je ne m’en suis pas trop mal sorti», déclare Stéphane Vecchione qui, après avoir obtenu son CFC technique, travaillera dans une entreprise. Une expérience peu concluante avec un patron exigeant des ouvriers des cadences toujours plus rapides... «J’ai alors décidé de devenir éducateur spécialisé, probablement aussi pour régler des choses de mon enfance», raconte celui qui œuvrera un an au sein de la Fondation Eben-Hézer à Lausanne, avant de renoncer à se former dans le domaine et d’embrasser une carrière artistique. Non sans craindre la chute sociale, son pire cauchemar...

Esprit libre

Soucieux de faire sa place et de s’intégrer dans le monde, Stéphane Vecchione confesse recourir parfois à des techniques de séduction pour y parvenir. «Je n’en suis pas fier», souffle-t-il. Une manière d’agir qui semble surtout révéler un besoin de légitimité d’un artiste pourtant reconnu ayant emprunté des chemins de traverse. Et alors qu’il a en horreur les préjugés et les différences de classes. «Le milieu des arts réunit une élite encline à tenir des discours sur la façon dont devrait être la vie, sans ancrage dans la réalité.» De quoi agacer cet esprit libre qui dénonce également toutes formes de pensée unique. Même regard critique sur des approches artistiques opportunistes comme celles s’inspirant de la migration sans que leurs auteurs aient jamais été confrontés à la question. «On les applaudit pourtant. Cette situation me met mal à l’aise. Mais je me tais et ça me rend malheureux.» Dubitatif quant à la possibilité, à l’échelle planétaire, que «l’amour l’emporte», ce natif du Cancer dit sa peur des humains, de leur nature animale quand entre en jeu l’instinct de survie. De son côté, il tend à l’harmonie qu’il associe au bonheur et se ressource auprès de sa compagne mais aussi dans le sport. Et en particulier dans la pratique du cyclisme. C’est ainsi qu’il gagne volontiers, à la force des mollets, Nice ou Venise ou part sillonner le Jura ou les Alpes. Plus qu’un moyen de transport écologique, un lien affectif lui remémorant le temps où, gamin, ses escapades à vélo, seul ou en équipe, l’ont aidé à franchir des caps difficiles...