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La parole à des personnes retraitées

Verena Berseth
© Olivier Vogelsang

Verena Berseth, 80 ans, Renens, blanchisseuse.

Le 3 mars prochain, le peuple suisse votera sur l’initiative pour une 13e rente AVS, nommée aussi «Mieux vivre à la retraite». Son objectif est de revaloriser des rentes insuffisantes, frappées de plus par un fort renchérissement. Qu’en pensent quelques personnes à la retraite? Témoignages.

Anna Heini

«Je vais chez la coiffeuse les mois à 30 jours»

Anna Heini, 92 ans, Cortaillod, ex-employée dans l’industrie horlogère

«Je n’y crois pas à cette treizième rente. Et puis, ce serait mieux de nous donner un peu plus chaque mois.» Dans sa chambre d’EMS, qu’elle occupe depuis 2017, Anna Heini est dubitative. Au bénéfice des prestations complémentaires (PC), elle peine aussi à croire que cette rente supplémentaire ne serait pas déduite comme le précise l’initiative. «Lorsqu’on a reçu, en 2020 je crois, une augmentation de 30 francs par mois de l’AVS, je n’ai rien perçu de plus: mes PC ont diminué.» Une fois déduits les frais du home, il ne lui reste qu’une centaine de francs par mois d’argent de poche. Pour celle qui touche l’AVS complète de 2450 francs, et des PC à hauteur de 2174 francs, chaque sou est compté. «Je vais chez la coiffeuse les mois à 30 jours, car je paie l’EMS par journée. Donc il me reste un peu plus, ces mois-là. Heureusement ma fille me trouve des habits de seconde main très bien.» Elle soupire Anna Heini: «Après tout ce que j’ai travaillé et économisé…» A la fin des années 1940, après sa scolarité obligatoire près de Lucerne, la jeune Suisse-Allemande entre à l’école ménagère. Elle se marie, élève ses trois filles au Locle, puis à l’aube de la trentaine, divorce. Dans les années 1960, débrouille et forte de caractère, elle trouve un emploi comme caissière à la Migros, puis son bilinguisme lui ouvre les portes de l’entreprise horlogère Zenith dans un poste consacré à la correspondance avec la Suisse alémanique. Dix ans plus tard, elle entre chez Girard-Perregaux à La Chaux-de-Fonds et se syndique à la FTMH. «Je me souviens d’un collègue qui se moquait de moi, en me disant qu’il avait reçu une augmentation salariale, alors qu’il n’était pas syndiqué et ne payait donc pas de cotisation. Quel manque de solidarité! Sans le syndicat, on n’aurait rien gagné de plus et on n’aurait jamais eu autant de vacances.» Arrivée à la retraite en 1994, elle retire le capital de son deuxième pilier. «Je ne pouvais pas savoir combien de temps j’allais vivre…» Sa fortune ayant fondu, elle touche depuis quelques années les PC. Et peu avant, des subsides à l’assurance maladie. «Je pense que j’aurais pu avoir cette aide plus tôt, mais j’ai été bête, je ne sais pas pourquoi je n’ai pas demandé…» Ce qu’elle ferait si elle recevait une 13e rente? «Des cadeaux à mes arrière-petits-enfants, et j’irais un peu plus chez la coiffeuse.»

Propos recueillis par Aline Andrey / photo Thierry Porchet


Danielle Gruaz

«Je calcule quelle facture peut attendre»

Danielle Gruaz, 65 ans, Lausanne, ex-secrétaire médicale

«C’est la première fois que je ressens le manque d’un 13e salaire, puisque je suis à la retraite depuis novembre 2022.» Jeune retraitée, Danielle Gruaz, célibataire sans enfants, est économe même si elle a toujours le frigo plein pour accueillir ses amis et sa famille. «J’ai toujours fait avec peu, sans jamais capitaliser. L’argent ne m’a jamais intéressée et j’ai beaucoup pris soin de mes proches. J’ai presque toujours travaillé à temps partiel, comme secrétaire médicale. J’ai aussi pris quelques années sabbatiques pour faire du wwoofing (travail dans des fermes bio), grand-mère au pair et voyager, entre deux petits boulots…» Ces dix dernières années, Danielle a travaillé à 60% pour Unisanté (Centre universitaire de médecine générale et santé publique à Lausanne) et a soutenu sa nièce qui élevait seule ses jumeaux. «A l’âge de la retraite, j’aurais voulu continuer avec un petit pourcentage, car j’aimais beaucoup mon poste, et cela aurait mis du beurre dans les épinards. Et puis, aujourd’hui, on ne prend pas le job à un jeune puisqu’il y a un manque chronique de personnel.» Actuellement, Danielle Gruaz touche environ 3000 francs par mois, dont 1850 francs d’AVS. Soit environ 500 francs de moins que lorsqu’elle travaillait. Et sans treizième salaire. «Mais j’ai été déçue en bien», souligne celle qui voit toujours le verre à moitié plein. Elle n’a juste pas droit aux prestations complémentaires (PC), car elle touche 3000 francs de trop par année par rapport à ses charges. «Je paie un petit loyer, car je vis en colocation dans mon appartement de 3 pièces et demie, là où j’habite depuis 40 ans. J’y aurais droit si je décidais de vivre seule.» Mais Danielle Gruaz, qui n’a pas d’âge, aime le partage et ne pas devoir rendre des comptes. Une treizième rente AVS serait donc la bienvenue pour payer les factures plus nombreuses en début d’année, telle que l’assurance ménage et divers abonnements. «J’ai droit à des subsides pour l’assurance maladie, mais les primes ont augmenté. Tout comme mes charges, le chauffage et l’électricité, qui ne sont malheureusement pas prises en charge dans le calcul pour les prestations complémentaires.» Heureusement, une aide inattendue lui est arrivée juste avant Noël. «Les bénéficiaires de la caisse de pensions de l’Etat de Vaud ont reçu une allocation unique, pour ma part de 600 francs, du fait de l’inflation. C’est une belle initiative. Sans ça, j’aurais dû emprunter à des amis. Reste que je dois quand même calculer quelle facture peut attendre… Dans tous les cas, l’important pour moi est de pouvoir garder mon éthique en faisant mes achats au prix juste, auprès de producteurs locaux.»

Propos recueillis par Aline Andrey / photo Olivier Vogelsang


Milan Vlajic

«Ma rente? C’est pas folichon...»

Milan Vlajic, 74 ans, Vevey, ex-ouvrier qualifié

Il a œuvré en cuisine, dans une poissonnerie, comme aide installateur sanitaire ou encore, durant plus de 25 ans, en tant qu’ouvrier spécialisé pour la Compagnie du chemin de fer Montreux Oberland bernois SA (MOB). Depuis son arrivée dans nos frontières en 1975, Milan Vlajic, mécanicien sur les locomotives diesel qualifié dans son pays, a travaillé sans interruption dans différents domaines et n’a jamais recouru au chômage. Dans ce contexte, cet homme d’origine serbe de 74 ans, naturalisé suisse, se désole du montant de sa retraite. «3000 francs! Ce n’est pas folichon. J’ai pourtant cotisé toute ma vie», indique cet ancien syndiqué au SEV, qui a quitté son dernier emploi au MOB à l’âge de 62 ans. Un départ anticipé en raison d’abord d’un accident de travail à un doigt, puis de la perte d’un œil à la suite d’une opération de la cataracte qui a mal tourné. «Avec l’augmentation du coût de la vie, c’est difficile. Mon pouvoir d’achat a fortement baissé. Une treizième rente améliorerait clairement la situation», ajoute le septuagénaire, précisant que son épouse se montre attentive aux meilleures offres des magasins et qu’ils ont renoncé aux vacances en Grèce ou en Turquie, «deux pays qui étaient avant pourtant encore abordables». «Nous voyageons beaucoup moins. Ma femme est toujours active professionnellement. Du coup, nous n’avons pas le droit à des prestations complémentaires. Elle touchera sa retraite l’an prochain, mais elle sera aussi petite, car elle n’a pas beaucoup cotisé», ajoute Milan Vlajic, père de deux grands enfants et comptant trois petits-enfants, tout en détaillant les dépenses incompressibles du ménage comme le loyer de 1600 francs, les primes d’assurance maladie s’élevant à plus de 800 francs pour le couple, etc. «Quand je pense qu’au début, je ne payais que 50 francs par mois d’assurance maladie...» se souvient le retraité, estimant par ailleurs que la Suisse dispose de suffisamment de moyens pour financer une rente supplémentaire. «La Confédération investit beaucoup d’argent dans l’armée, achète des avions supersophistiqués... Un budget énorme pour un petit pays... Elle consacre aussi d’importants fonds dans l’asile, notamment pour les réfugiés ukrainiens qui ont eu le droit à un traitement de faveur – pas très neutre cette manière de faire... Elle devrait plutôt mettre ces fonds dans le social, aider sa population.»

Propos recueillis par Sonya Mermoud / photo Olivier Vogelsang


Verena Berseth

«J’économise dans l’achat de nourriture.»

Verena Berseth, 80 ans, Renens, blanchisseuse

Une 13e rente AVS serait particulièrement bienvenue pour Verena Berseth, 80 ans, qui touche 1700 francs par mois. Un montant avec lequel elle ne peut vivre, raison pour laquelle elle loue une chambre et un appartement dans la maison qu’elle habite à Renens. «Il y a beaucoup de monde sous mon toit. Comme ça je ne suis pas seule. On s’entraide mutuellement. Je pratique des loyers très bas», indique l’octogénaire, la solidarité chevillée au corps, engagée depuis cinquante ans dans les rangs du POP dont elle a été députée. Ancienne blanchisseuse indépendante, la retraitée continue par ailleurs à exercer occasionnellement son activité. Et pour mettre du beurre dans les épinards et pour dépanner quelques clients. «Je vais chercher le linge et le rapporte. Un service qui n’existe plus», poursuit celle qui, divorcée, a élevé seule ses trois enfants. Et n’a jamais cotisé pour un 2e pilier, faute de rentrées financières suffisantes et bien qu’elle ait quasi travaillé sans interruption son existence durant, souvent aussi de nuit. «Je ne reçois pas de prestations complémentaires, uniquement un subside de 100 francs pour la prime maladie. S’il est impossible de réduire les frais fixes, j’économise dans l’achat de nourriture. Et consomme moins de viande», précise Verena Berseth, tout en relativisant cet effort. «J’ai pris conscience qu’il valait mieux en manger moins. Et puis, même quand je travaillais, avec trois enfants et une affaire qui rapportait peu, j’ai toujours dû faire attention et guetté les actions. Une 13e rente aiderait bien, aussi pour les cadeaux de Noël à mes six petits-enfants.» La retraitée estime que cette initiative ne grèverait pas le budget des pouvoirs publics. «On veut toujours nous faire peur en brandissant la question du financement, mais les comptes de l’AVS sont équilibrés; les rentrées, assurées par les générations actives. La Confédération peut aussi réduire le budget consacré à l’armée», affirme celle qui est membre du groupe des retraités d’Unia. «La place des seniors dans la société? On leur en accorde peu. Mais en même temps, ils ne sont guère combatifs. Et se rencontrent surtout pour des sorties.» Pas assez «révolutionnaire» pour la Vaudoise qui préfère dès lors s’engager dans le groupe des migrants du syndicat. Et tient, une fois par semaine, une permanence où elle épaule les intéressés dans des démarches administratives et sociales. Bénévolement bien sûr.

Propos recueillis par Sonya Mermoud / Olivier Vogelsang

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