La nature, l’histoire d’une vie
«La nature offre un véritable ressourcement», souligne François Turrian, qui, après vingt-cinq à la tête de BirdLife, passera le témoin à la fin du mois.
Après avoir consacré sa carrière à la défense de l’environnement, François Turrian s’apprête à prendre sa retraite. Non sans alerter une fois encore sur l’état de la biodiversité.
De la fourmi à l’éléphant, François Turrian confie aimer tous les animaux. Un amour du vivant qui a servi de fil rouge à sa carrière. «J’ai eu la chance de pouvoir faire de ma passion mon métier», note le directeur romand de BirdLife Suisse qui, après vingt-cinq ans à la tête de l’association, et dix-huit au sein du WWF, s’apprête à prendre sa retraite. Un nouveau tournant qui le rend joyeux même si, en regardant dans le rétroviseur, il se demande comment il aurait pu faire mieux. Et confie ressentir un peu de frustration. Et pour cause. En dépit d’un engagement d’une vie et d’une détermination sans faille, le biologiste de 64 ans a assisté à la poursuite de l’effondrement de la biodiversité. Il démystifie la carte postale d’une Suisse à la faune et à la flore préservées. «C’est un leurre. Le problème, c’est qu’on ne s’étonne plus de ne voir que des pissenlits et des orties. On s’habitue à la disparition des papillons», image l’écologiste, se désolant de ce «biais d’accoutumance». Alors que la question climatique, davantage visible – en cette mi-novembre, l’interview se déroule sur une terrasse, dans une température plus que clémente – bénéficie d’une meilleure audience.
Une Suisse mauvaise élève
La situation est pourtant particulièrement grave. Comme le rappelle François Turrian, notre pays se place en queue de liste des surfaces dévolues à la nature par rapport aux autres Etats européens. Et à la tête de ceux qui accusent le nombre plus important d’espèces menacées – pas moins de 40% des oiseaux nicheurs notamment. Les problèmes se sont encore aggravés avec le Parlement actuel. «Non seulement il n’empoigne pas la thématique mais, pire, il rétropédale», déplore le militant, estimant que le politique ne se montre pas à la hauteur des enjeux. «Il croit avoir d’autres priorités. Quant aux citoyens, ils jugent l’environnement important, mais ne le défendent pas dans les urnes.» Et François Turrian de souligner encore le champ de tension entre les attentes placées dans les individus, supposés faire preuve de comportements irréprochables, et d’élus qui restent les bras croisés.
Pas d’écologie punitive
«Il faut convaincre les personnes d’agir de façon joyeuse et non punitive. Insister sur le ressourcement qu’apporte la nature. Beaucoup s’en sont déconnectés. Et ni l’intelligence artificielle ni la numérisation ne permettront de retisser ce lien», critique le sexagénaire, soulignant au passage que certains enfants n’ont aucune idée de ce qu’est un animal sauvage. Et plaidant pour une éducation qui intègre la dimension du vivant. Questionné sur une nécessaire décroissance, l’activiste évoque encore les limites planétaires versusles effets néfastes de la surconsommation. De son côté, il privilégie les produits locaux, les déplacements environnants à vélo et ne mange plus de viande. «Réduire l’alimentation carnée aurait déjà des retombées. Il est nécessaire d’avancer par paliers. Eviter d’effrayer la population en lui demandant des efforts trop importants. Une marche trop haute ne serait pas franchie.» Et si l’état des lieux a de quoi plomber le moral, le Vaudois, bien que plutôt pessimiste, n’entend pas se résigner. Et continue à s’indigner tout en invitant chacun à l’imiter.
Faire naître des sourires
«On veut abattre des arbres dans votre quartier? Réagissez!» appelle François Turrian, qui n’a eu de cesse, tout au long de son parcours, de sensibiliser l’opinion publique à la cause. Il a notamment lancé une formation en ornithologie qui a déjà été suivie par quelque 500 intéressés. «Autant d’ambassadeurs de la protection de la nature et des oiseaux. Je suis content d’avoir pu contribuer à faire naître des sourires à travers ces cours et les excursions organisées.» Parallèlement, le biologiste propose quatre à cinq fois par année des voyages naturalistes dans différents coins du monde. Une activité qu’il va poursuivre. Et qui interroge... «Bien sûr, ces voyages ont un impact climatique. Et, dans la mesure du possible, nous recourons au train pour les destinations en Europe. Mais la visite de parcs nationaux en Afrique génère des devises. Sans cet apport des touristes, la protection de l’environnement serait délaissée. Aussi faut-il aborder la question de manière nuancée, éviter les jugements définitifs», temporise le guide, soulignant que, pendant le Covid, l’absence de visiteurs s’est traduite par une hausse du braconnage. Le futur retraité va aussi garder sa chronique dominicale sur la RTS, Côté jardin.
Antidote aux mauvaises nouvelles
La fascination pour les animaux accompagne François Turrian depuis l’enfance sans qu’il s’en explique vraiment. «Mes parents n’étaient pas particulièrement férus de nature même si nous effectuions parfois des randonnées», note le passionné, qui, jeune, va préférer aux parties de football les balades en extérieur muni de sa paire de jumelles. Et partager son hobby en classe, donnant de petites conférences sur les thèmes de la faune et de la flore. Avec, déjà, un goût pour la vulgarisation. L’amour du biologiste pour les oiseaux réveille aussi un souvenir marquant: sa rencontre, à l’âge de 11 ans, en Corse, avec un gypaète barbu. «La découverte de cet énorme rapace, de son ombre, a été incroyable. Une extase», se remémore le spécialiste, précisant néanmoins n’avoir pas de préférence. Du moineau «prenant son bain de poussière aux terrasses de café», au rouge-gorge fréquentant son jardin, en passant par les fauvettes à l’extraordinaire aptitude à se déplacer sur de longues distances; rares ou communes, toutes les espèces l’émeuvent. Par leur intelligence. Par leur aptitude à voler. Par leurs stridulations. «Les chants des oiseaux sont un antidote aux mauvaises nouvelles», sourit François Turrian, capable de tous les identifier. De quoi contribuer au bonheur de cet homme calme qui s’épanouit dans l’amour, l’observation du vivant et les beautés de cette planète ou encore la culture. Et l’ambassadeur des oiseaux de conclure par une invite à garder l’espoir, citant des initiatives citoyennes ou de communes allant dans le bon sens. Et misant sur leur fédération. «La biodiversité n’est pas un luxe. Nous dépendons tous de la nature.» Un rappel qui devrait nous donner des ailes...