Artiste plasticienne et secrétaire dans un cabinet d’avocats de gauche, Elise Gagnebin-de Bons surfe avec talent entre les deux mondes
Comme beaucoup d’autres artistes, Elise Gagnebin-de Bons compose avec deux métiers. Le premier la constitue. «L’art est plus qu’une passion, c’est un besoin. Dessiner, peindre, sculpter, assembler, filmer, photographier… c’est ma vie, depuis toujours», explique-t-elle dans son atelier lausannois, une sorte de garage qu’elle partage avec d’autres artistes, son frère David et deux amis, Sanshiro et Robin.
Le second, un poste de secrétaire à 60% au Collectif d’avocat.e.s est avant tout alimentaire, mais correspond à ses valeurs tout en lui apportant un ancrage dans le réel qui nourrit aussi sa pratique artistique. Le droit du travail et celui des étrangers l’intéressent d’ailleurs depuis longtemps. Déjà lors de ses études à l’Ecole cantonale d’art de Lausanne (ECAL), elle collabore au secrétariat de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR), puis à Action Unia à Genève, avant de travailler pour un avocat spécialisé en droit des assurés. Ce boulot de bureau, elle l’apprend sur le tas. Une expérience qui lui permettra d’être engagée par le Collectif créé par les avocats de gauche Jean-Michel Dolivo et Christophe Tafelmacher. Elle y rencontre Rodolphe Petit, avocat et écrivain. Avec lui, Elise Gagnebin-de Bons signe un livre aux Editions Art&Fiction – Je vois des formes qui n’existent plus / Moonlight S. Cette même année, en 2016, elle reçoit le prix de la Fondation Irène Reymond.
Chaudron féministe
Militante, Elise Gagnebin-de Bons est particulièrement sensible à la cause féministe. Le 14 juin dernier, elle défilait dans les rues lausannoises aux côtés de sa maman, Martine Gagnebin, présidente de l'Association vaudoise pour les droits de la femme. «A la maison, on ne parlait pas spécialement de féminisme, c’était plus comme une évidence. Je voyais ma mère s’engager au quotidien, tout comme sa petite cousine Simone Chapuis-Bischof. Ou encore ma grand-mère et ses trois sœurs qui ont mené leurs barques là où elles voulaient. Des femmes fortes!» explique leur descendante.
Son père, lui, est passionné par la poésie et la peinture. «Enfant, j’aimais beaucoup faire de l’aquarelle à l’extérieur avec lui», raconte la citadine, amoureuse de la nature, dont les dernières vacances dans les Grisons l’ont enchantée.
Adolescente, Elise aime bricoler, tester des matières, apprendre des techniques. «J’ai toujours voulu faire de l’art, sans trop imaginer ce que voulait dire être artiste», explique celle qui fera le collège Voltaire à Genève pour sa section artistique, avant de sortir diplômée de l’ECAL en arts visuels en l’an 2000.
Dans les marges
Pour Elise Gagnebin-de Bons, si l’art peut être politique, il n’a pas vocation à l’être dans l’absolu. «Il faut faire attention aux effets de mode. Certains travaux engagés ne tiennent pas forcément la route d’un point de vue artistique. Mon travail ne montre pas de manière évidente une implication sociale et politique, car j’aime brouiller les codes. J’explore les marges, les traces, comme les tags et les graffitis, qui montrent le passage du temps, les vestiges, les choses oubliées et cachées de quartiers inexorablement en proie à la gentrification. Un phénomène que je supporte de moins en moins», explique l’artiste, qui veut pourtant éviter toute moralisation ou message ostentatoire. Les étiquettes, telles que l’art féminin, l’insupportent. «Mon travail n’est ni féminin ni masculin. J’aime utiliser la couleur noire, beaucoup moins le violet, image-t-elle. Mais lutter contre la sous-représentation des femmes dans les expositions est un combat qui me touche.»
Pour sa part, elle a su faire sa place. Elise Gagnebin-de Bons expose régulièrement, vend des pièces dans des musées en Suisse et à l’étranger, gagne des concours. Dans un collège, les étudiants pourront bientôt lire ses messages au néon les invitant à inspirer et à expirer. «C’est une prof de yoga qui nous demandait toujours: “Comment ça respire?” C’est devenu le titre de mon projet», sourit celle qui se surprend parfois à avoir le souffle court.
Pour cette œuvre, elle a travaillé avec une fabrique de néons à Renens. «J’adore découvrir de nouvelles techniques, échanger avec d’autres corps de métier», souligne la plasticienne, qui aime collaborer avec des artisans, des artistes, des amis et partager avec le public dans et hors les murs des lieux de culture. «Dans cette école, par exemple, j’aimerais que les étudiants et les profs puissent se rappeler avec ces quelques mots qu’ils ont le droit de souffler…»
Co-vide
«Financièrement, je ne vis pas de mon travail artistique. L’art visuel est encore vu par la société comme un hobby. La pandémie a d’ailleurs bien souligné le statut précaire des artistes.» Lors du confinement en 2020, Elise Gagnebin-de Bons a apprécié passer davantage de temps dans son atelier. «Mais je n’ai pas été plus créative. Alors qu’on entendait des injonctions au renouvellement, à la réinvention du monde de l’art, les artistes que je connais se sont, comme moi, retrouvés plutôt avec la tête vide. Pour ma part, j’ai été surtout touchée de voir les disparités sociales éclater au grand jour.»
Adepte entre autres d’expositions et de musique, elle est heureuse de la réouverture des espaces de culture. «Je me réjouis de me retrouver dans une salle bondée pour un concert avec de la bière qui se renverse, confie-t-elle en souriant. Mais cette pandémie m’a aussi permis de me calmer, de réaliser que ce n’est pas grave de ne pas être partout tout le temps.»