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«Je n’écris que des adieux»

Portrait d'Antoine Jaccoud.
© Thierry Porchet

Antoine Jaccoud pose un regard sombre sur le monde...

Ecrivain, dramaturge, scénariste et réalisateur, Antoine Jaccoud a choisi l’écriture pour faire entendre sa voix. Une prise de parole aux accents pessimistes teintés d’humour

La disparition de la neige (Désalpe), celle des animaux (Adieu aux bêtes), la colonisation de Mars notre planète devenant invivable (Au Revoir), la mort d’un migrant inspiré d’un fait réel (Le Nègre gelé du Diemtigtal)... Antoine Jaccoud se préoccupe davantage des fins que des débuts. Mais si ces histoires flirtent souvent avec le crépuscule, humour et tendresse adoucissent le mordant de sa plume. «Je n’écris que des adieux», note le talentueux écrivain, dramaturge et scénariste qui compte de nombreuses créations à son actif. Le Vaudois de 62 ans a, entre autres, travaillé avec Ursula Meier pour les films Home et L’enfant d’en haut, et œuvre à la prochaine fiction de la réalisatrice traitant d’une mesure d’éloignement. Ses monologues sont interprétés par des comédiens de la trempe de Mathieu Amalric et de Marthe Keller. L’homme crée également des textes pour Bern ist überall, collectif d’écrivains et de musiciens se produisant régulièrement sur scène. Cinéma, théâtre et performance servent ainsi de support à la prise de parole, l’action politique au sens large de ce pessimiste conservant néanmoins une certaine gaieté. Cet artiste doté d’un sens aigu de l’observation qu’il dit avoir hérité de son père alors que sa mère lui a transmis sa tendance à dramatiser. «J’ai bu à ces deux mamelles», image le Lausannois issu d’un milieu modeste ayant influé sur ses convictions.

Virtuose du transpalette

Membre de la Ligue marxiste révolutionnaire à 14 ans, l’adolescent d’alors se tourne quelques années plus tard vers la mouvance anarchiste. «Mon père travaillait dans le transport, d’abord comme salarié, avant de lancer sa petite société. J’ai baigné dans le monde ouvrier, le monde des jobs pénibles et mal payés. J’ai souvent effectué des boulots de manutention. Je suis un virtuose du transpalette», sourit Antoine Jaccoud affirmant être le premier d’une longue lignée familiale à avoir embrassé une activité artistique. Sensible à la condition des travailleurs, le sexagénaire, marié et père de deux fils de 15 et 18 ans, a élargi son engagement à la lutte pour le climat. Une préoccupation aujourd’hui majeure, une source d’inspiration pour ses écrits et une lutte menée avec ses enfants. Il a d’ailleurs rejoint la manifestation nationale du 28 septembre à vélo, reliant Fribourg à la capitale. «Une mobilisation vertigineuse. Un combat entre utopie et désespoir», lance ce sportif – «l’effort physique me ressource» – irrité par l’indifférence d’une frange de la population aux questions environnementales.

Charme vénéneux

«Cette attitude m’attriste. Mais pour se soucier de la Terre, il faut l’aimer. Je crains les pertes.» Si Antoine Jaccoud tisse mentalement des liens entre gauchisme et lutte pour le climat, il s’interroge sur la réalité d’une approche éco-sociale. «Une seule certitude: le système n’est plus viable. Mais comment contrer le charme vénéneux et troublant de la consommation, du capitalisme», demande celui qui n’imagine pas passer un samedi après-midi dans un centre commercial. Et se désole des articles trop bon marché et de piètre qualité confectionnés par des pauvres et achetés par d’autres pauvres. «Compliqué... Les syndicats devraient davantage empoigner ces questions, sensibiliser les travailleurs.»

De nature anxieuse, Antoine Jaccoud connaît néanmoins le bonheur, qu’il associe à la présence. «Je suis heureux par intermittence, quand je parviens à rester dans l’instant, sans penser à des sujets déplaisants. Fragile», précise cet hyperactif qui cumule les activités créatives, sociales, sportives... Aimant et aidant volontiers les autres – trait de sa personnalité altruiste, généreuse –, curieux des sujets les plus divers jusqu’à la boulimie. Et confiant ressentir une certaine urgence face «au milliard de choses à réaliser».

Bases humanistes érodées

Licencié en sciences politiques, le Vaudois a débuté son parcours professionnel comme journaliste à L’Hebdo, employé aux rubriques société et cinéma. Une critique cinglante qu’il rédige sur un film de Michel Soutter l’amène quelques années plus tard à changer de voie. «Je l’ai croisé dans un café. Il a quitté l’établissement à mon arrivée, fâché par la sévérité de mon papier.» Cette situation travaille Antoine Jaccoud. Il décide de passer du rôle de commentateur à celui de créateur. Et se forme auprès du metteur en scène polonais Krzysztof Kieslowski, auteur de la trilogie Trois couleurs. De fil en aiguille, il devient dramaturge, écrit des pièces, participe à des courts métrages et des documentaires, enseigne un temps à l’Ecole cantonale d’art de Lausanne, forme des étudiants à Varsovie, réalise des films, remplit des mandats ponctuels... Mais si le succès est au rendez-vous, les finances restent précaires. «Je n’ai aucune réserve. Seul le cinéma permet de vivre, pas le théâtre ni les romans. Je dois trouver un équilibre.» Pas de quoi décourager cet auteur qui précise écrire le matin chez lui et, l’après-midi, prendre volontiers le train pour se relire. «Je vais par exemple jusqu’à Viège boire un verre d’eau empoisonnée (allusion à la pollution au mercure, ndlr). J’ai besoin de mouvement. De sortir de la maison», déclare ce voyageur responsable, amoureux des Balkans et des échappées belles en prenant garde à son empreinte carbone. Avant peut-être d’être rattrapé par des questions qui le taraudent: «Comment vivront mes enfants dans trente ans. Quel monde les attend? Va-t-on ériger de nouvelles barrières? Se tourner vers les fascistes?» Et ce pessimiste d’exprimer aussi sa peur face à «l’érosion de bases humanistes qu’on croyait pourtant solides, l’apologie du mensonge, de la bêtise et de discours haineux portés par des élus incarnant le triomphe de ces non-valeurs»...