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Ilham Aliyev: despote et partenaire de l’Occident

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Le président azerbaïdjanais a été réélu pour un 5e mandat à la tête de la république caucasienne riche en hydrocarbures. Malgré des violations systématiques des droits humains, Ilham Aliyev reste un partenaire fréquentable pour de nombreux pays européens, dont la Suisse

Lors du débat télévisé organisé le 15 janvier par la chaîne publique ICTIMAI TV, les sept candidats présents ont rivalisé de zèle pour encenser le bilan du président sortant. Au pouvoir depuis 2003 après avoir succédé à son père, Ilham Aliyev était le grand favori de l’élection présidentielle azerbaïdjanaise du 7 février.

Son mandat devait normalement se terminer en octobre 2025, mais l’homme fort de Bakou a décidé en décembre dernier de convier les électeurs azerbaïdjanais à un scrutin anticipé. «Les autorités veulent utiliser la légitimité issue de la victoire sur le Nagorno-Karabagh* pour montrer dans les urnes qu’elles bénéficient d’un fort soutien populaire», estime Bahruz Samadov, jeune chercheur en sciences politiques à l’Université Charles de Prague.

Peuplé de 10 millions d’habitants et situé dans la région du Caucase du Sud, l’Azerbaïdjan est dominé depuis trois décennies par le clan Aliyev qui a mis en place un régime marqué par la corruption et l’autoritarisme. Dans ce contexte, le scrutin présidentiel n’a suscité que peu d’intérêt dans la population: «Tous les candidats reproduisent la propagande du gouvernement, à quelques nuances près. C’est un théâtre que personne ne prend au sérieux», continue-t-il.

La répression s’est encore accentuée dans les mois précédant le scrutin. Entre avril et décembre 2023, le nombre de prisonniers politiques est passé de 182 à 253. «Les activistes parlent de seconde grande vague de répression, la première date de 2014. Toutes les voix critiques ne sont pas réprimées, mais toutes les formes organisées d'opposition le sont», analyse Cesare Figari Barberis, doctorant à l’IHEID de Genève et spécialiste du Caucase.

Depuis le mois de juillet dernier, plusieurs leaders de mouvements politiques d’opposition ont été arrêtés, mais aussi des syndicalistes et une dizaine de journalistes travaillant pour le site d’information Abzas et d’autres médias indépendants.

Tous encourent de lourdes peines de prison pour des motifs fallacieux. «Par le passé les autorités poursuivaient les activistes et les membres de la société civile pour des activités économiques illégales, maintenant c’est la contrebande de devises étrangères. L’intention reste la même, supprimer les dernières voix critiques présentes dans le pays», note Giorgi Gogia, directeur associé pour l’Europe et l’Asie centrale de l’ONG Human Rights Watch.

Mansuétude européenne

Malgré les violations récurrentes des droits humains dont des actes de torture, les neuf mois de blocus du Nagorno-Karabagh et l’expulsion des 100000 Arméniens y résidant, ainsi qu’une rhétorique non seulement anti-arménienne mais aussi anti-occidentale, Bakou ne fait l’objet d’aucune sanction. Le régime bénéficie même d’une certaine mansuétude de la part de nombreux dirigeants européens.

«L’Union européenne a essentiellement légitimé la consolidation du pouvoir d’Aliyev», estime Cesare Figari Barberis, qui pointe du doigt la signature d’un mémorandum d’entente en avril 2022 entre la Commission européenne et le Gouvernement azerbaïdjanais à la suite des sanctions économiques prises contre la Russie.

«A court terme, l’Azerbaïdjan s’est engagé à livrer 2 milliards de mètres cubes de gaz supplémentaires pour atteindre 12 milliards de mètres cubes. Or, cela ne représente qu'environ 3% de la consommation de gaz naturel de l’Union européenne. On peut se demander si cela valait vraiment la peine de soutenir un autocrate comme Aliyev contre ces 2 milliards de mètres cubes supplémentaires», interpelle le doctorant italien.

De plus, l’Azerbaïdjan s’attaque aussi de manière croissante aux activistes réfugiés en Europe comme le blogueur Mahammad Mirzali qui a fait l’objet de trois tentatives d’assassinat en France et vit désormais sous protection policière. «Je ne fais plus confiance à aucun pays européen. J’ai été agressé il y a trois ans et neuf personnes ont été emprisonnées mais aucune déclaration officielle n’a été faite sur l’incident et la diplomatie française reste silencieuse», confie-t-il.

La Suisse, au 8e rang des pays investisseurs

De nombreux pays européens ont noué des relations économiques étroites avec Bakou. C’est le cas de la Grande-Bretagne, de l’Allemagne, mais aussi de la Suisse. Le rapport économique 2023 de l’Ambassade de Suisse en Azerbaïdjan pointe une forte hausse (+60%) des échanges commerciaux bilatéraux entre 2021 et 2022, et place la Confédération au 8e rang des pays investisseurs juste derrière les Etats-Unis, mais devant les Etats membres de l’Union européenne.

L’Azerbaïdjan a aussi su s’attirer les faveurs des élites politiques européennes par des opérations de corruption et de cooptation d’élus (la «diplomatie du caviar») qui ont notamment impliqué des politiciens allemands, italiens, maltais ou français, dont la nouvelle ministre de la Culture Rachida Dati.

Pas d’affaire semblable en Suisse jusqu’à maintenant, mais le pouvoir d’influence azerbaïdjanais y est aussi présent par l'intermédiaire de la compagnie nationale pétrolière et de gaz, la Socar. Celle-ci gère un réseau d’environ 200 stations-services sur tout le territoire helvétique, dont une cinquantaine ont un magasin Migrolino, sous contrat de franchise avec Migros. Cette entreprise fortement liée au régime Aliyev a été pendant de nombreuses années le partenaire du Montreux Jazz Festival (2012 à 2021) et elle est toujours un des sponsors du club de hockey HC Ambri-Piotta qui évolue en National League.

 

* Cette petite enclave arménienne au sein de l’Azerbaïdjan était devenue de facto indépendante à la suite d’une première guerre entre 1988 et 1994.  

 

Le «bureau des travailleurs» sous la pression du régime

La militante Nil Mammadrzayeva est membre de la direction de la confédération syndicale Işçi Masası (Le bureau des travailleurs). Fondée en mars 2022 et principalement active dans le secteur des services, cette organisation indépendante du régime est fortement affaiblie depuis l’arrestation de son président, Afiaddin Mammadov, en septembre dernier.

Quels sont les principaux problèmes liés au travail en Azerbaïdjan?
Le principal problème est l’exploitation, dans différents domaines professionnels et spécialement dans le secteur des services. Nous travaillons beaucoup avec les livreurs à moto qui constituent une part importante de ce secteur, car leurs intérêts ne sont pas du tout défendus au niveau de l’Etat. Nous essayons de trouver des solutions aux problèmes liés aux nouvelles régulations mises en place le 1er août 2023 qui demandent aux livreurs d’enregistrer leur véhicule. Mais les critères bureaucratiques sont absurdes et beaucoup de livreurs ont donc perdu leur travail. C’est pour cela que nous avions entamé une grève le 1er août lors de laquelle notre président et d’autres membres de la direction ont été arrêtés (une autre grève avait eu lieu en 2022 pour demander une meilleure rémunération, ndlr).

Pourquoi ces arrestations, le gouvernement a-t-il peur de votre mouvement?

Notre mouvement a peu de ressources et ne peut lutter contre un gouvernement si puissant. Mais grâce à notre travail, pour la première fois en Azerbaïdjan, il existe des organisations alternatives aux syndicats officiels qui ne s’intéressent pas au sort des travailleurs. Le régime arrête nos leaders, car il ne veut laisser aucun espace politique à d’autres acteurs, de peur que ces espaces grandissent et le menacent un jour.

Aujourd’hui toujours en détention préventive, craignez-vous qu’Afiaddin Mammadov soit condamné à une lourde peine?

Oui, car je pense que le président voudra encore davantage consolider son pouvoir après les élections. S’ils le décident, ils peuvent aussi arrêter les autres membres de la direction et interdire notre organisation.

Vous savez que vous pouvez être arrêtée à tout moment, est-ce un risque à prendre quand on est activiste en Azerbaïdjan?

Bien sûr, j’ai commencé à être active dans des organisations de la société civile en 2019, j’avais 19 ans, c’était déjà dangereux mais pas autant que maintenant. Entre 2019 et 2022, on pouvait participer à des manifestations. On savait que l’on serait mis en garde à vue et battu par la police, mais que l’on serait ensuite relâché. Maintenant, si on est interpellé par la police, les étapes suivantes sont le tribunal et la prison.

 

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