Du Covid-19 aux retraites, la colère monte
Dans un court ouvrage, le syndicaliste Laurent Berger tire un parallèle entre les promesses non tenues à l’égard du personnel le plus exposé au Covid-19 et la lutte contre la réforme des retraites
Secrétaire général sortant du syndicat CFDT et président de la Confédération européenne des syndicats (CES) durant quatre ans, Laurent Berger a été l’une des principales figures de la mobilisation, en France, contre le relèvement de l’âge de la retraite de 62 à 64 ans. Dans un petit ouvrage qu’il vient de publier aux éditions du Seuil, Du mépris à la colère, il souligne que les promesses non tenues à l’égard des travailleuses et des travailleurs les plus exposés au Covid-19 expliquent en partie l’intensité de la lutte contre la réforme des retraites.
Sous-titré «Essai sur la France au travail», ce petit livre aborde de multiples questions relatives à la situation des travailleuses et des travailleurs en France: quel sens pour le travail? Quelle organisation? Quelles conditions au quotidien? A l’heure de la précarisation, de la pénibilité, du burn-out, de l’intensification, des salaires faibles ou du chômage pour les jeunes et les seniors, Laurent Berger est d’avis que ce n’est qu’en répondant à ces questions essentielles que l’on pourra donner au travail «sa force d’émancipation et d’épanouissement».
Le Covid-19, lanceur d’alerte
La bataille des retraites constitue toutefois l’essentiel du propos de l’ancien numéro 1 de la CFDT, bataille anticipée par la crise du Covid-19, qu’il assimile à un «lanceur d’alerte». A l’époque, beaucoup de promesses avaient été faites aux travailleurs considérés comme essentiels, salariés des soins, des magasins, de La Poste, des entreprises de nettoyage, de la récupération des déchets, autrement dit tous ceux qui étaient les plus exposés au virus. Après le Covid-19, 58% des Français déclaraient que leur rapport au travail avait changé. Mais lorsque le travail a repris comme si de rien n’était – sans que soient tenues les ardentes promesses de reconnaissance – le sentiment de mépris s’est aggravé chez nombre de travailleurs, invisibles pour certains, mais essentiels pour tous. Laurent Berger en tire la leçon suivante: «Je ne comprends pas autrement les cortèges dans les villes petites et moyennes qui ont émaillé le mouvement contre la réforme des retraites.»
Drôle de remerciement!
Dans ces conditions, l’ancien dirigeant syndical s’emporte: «Comment s’étonner de la colère qui s’est emparée de ces salariés quand, quelque temps plus tard, on leur a déclaré, comme en guise de remerciement, qu’ils devaient tout simplement travailler deux ans de plus?» En d’autres termes, le Covid-19 les avait fait passer d’un sentiment d’invisibilité à une espérance légitime, notamment d’une revalorisation salariale ou d’une amélioration des conditions de travail, qui s’est achevée par l’injonction de travailler plus longtemps.
Le rôle des syndicats: écouter
De façon plus générale, Laurent Berger estime que le travail est la clé de la réussite économique, écologique et démocratique. Mais pour réussir ce pari, il importe avant tout d’appliquer cette règle: «Ecouter, avant d’analyser et d’élaborer des solutions, c’est précisément le rôle des syndicats.» Poussant le raisonnement plus loin, il est d’avis que, dans le domaine du travail, six points sont essentiels: la négociation de l’organisation du travail, le dialogue professionnel, une évolution du management, la conditionnalité des aides aux entreprises, davantage de moyens octroyés à la prévention et des rendez-vous réguliers pour suivre les travailleurs dans leurs évolutions et leurs attentes. Quel beau programme que voilà, et pas seulement pour la France!
Prendre le pouvoir sur nos retraites
En France, les retraites sont au cœur de la conflictualité sociale depuis des décennies. C’est ce que démontre Bernard Friot, sociologue et militant de gauche, dans un essai fort stimulant, Prenons le pouvoir sur nos retraites paru aux Editions La Dispute. L’auteur s’attaque à deux questions que tout le monde se pose: qu’est-ce qui explique l’obstination des classes dominantes à mener depuis des décennies des contre-réformes sur les retraites malgré leur si forte impopularité? Et pourquoi les mobilisations contre ces réformes ont presque toutes échoué?
Bernard Friot met ensuite en discussion une série de propositions politiques pour prendre le pouvoir sur nos retraites et en faire un levier pour libérer le travail. Parmi celles-ci, la retraite à 50 ans: «Car c’est le moment, dit-il, où l’on devient senior dans le management contemporain. C’est le moment où l’on est marginalisé: on nous prive de formation, on nous fait partir en premier en cas de plan de sauvegarde de l’emploi, on nous incite à devenir prestataires pseudo-indépendants.» Mais comment financer une telle alternative? Bernard Priot explique qu’à 50 ans, on deviendrait «titulaire de son salaire». Par conséquent, on n’aurait plus besoin de quémander son salaire à son employeur. Ce salaire serait porté au salaire moyen, 2500 euros net, s’il y était jusqu’alors inférieur, et ramené à 5000 euros s’il y était supérieur, ce qui est largement suffisant pour vivre. L’auteur ajoute une précision importante: «Retraité, ça ne veut pas dire inactif, ça veut dire libéré de la subordination au travail. Les retraités pourraient organiser la liberté du travail avec les salariés encore soumis au salaire capitaliste.»