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Coup de projecteur sur le sans-abrisme

Campement dans les jardins de la HETSL.
© Aline Andrey

Depuis deux semaines, l’hébergement d’urgence transitoire du collectif 43m2 accueille de nombreux sans-abri dans les jardins de la Haute école de travail social et de la santé à Lausanne.

A Lausanne, le collectif 43m2 met en lumière la pénurie de places d’hébergement d’urgence et plus largement le mal-logement

Depuis le 30 mai, les jardins de la Haute école de travail social et de la santé à Lausanne (HETSL) se sont mués en campement. Des tentes de réception ont été installées par le collectif militant 43m2. A l’intérieur, point de cocktail, mais des rangées de matelas, un salon, une cuisine bien fournie grâce aux dons et à des invendus…

Cette occupation* veut mettre en lumière le manque de places d’hébergement d’urgence et permet à plusieurs dizaines de personnes de dormir au sec, sans crainte d’être réveillées et amendées par la police (le «camping sauvage» étant interdit sur le territoire lausannois). En ce 2 juin, à l’heure où les étudiants font la fête dans le jardin d’à côté, un jeune homme sans domicile fixe exprime sa gratitude: «Le collectif fait un super boulot pour nous. Hier, il pleuvait. Grâce à lui, la pluie ne nous a pas touchés.»

Dans son communiqué du 9 juin, 43m2 souligne: «Le lieu est vivant et animé, et malgré ce grand nombre de personnes et la promiscuité, l'ambiance est généralement détendue. Au total, près de 250 nuitées à l'abri ont été permises depuis le 1er juin. Ce lieu est non seulement le plus grand centre d'hébergement d'urgence du canton de Vaud en termes de places, mais également le seul à garantir un accueil diurne et nocturne, sept jours sur sept.»

Trouver des solutions

Face à la demande croissante, le campement arrivait déjà à ses limites en termes d’accueil en fin de semaine dernière. Et reste illégal selon un règlement communal qui stipule que l’on ne peut camper dans un jardin (même le sien) plus de quatre jours d’affilée. La police pourrait donc demander l’évacuation des lieux. Alessandro Pelizzari, directeur de la HETSL, explique: «Nous partageons les préoccupations quant à la problématique de l’accueil d’urgence, mais avons demandé, dès le premier jour, que le camp soit levé. L’école ne peut pas être un lieu d’hébergement. Les revendications du collectif s’adressent d’ailleurs aux autorités politiques pour qu’elles trouvent une solution, pas à nous.»

Emilie Moeschler, conseillère municipale, dit s’inquiéter de la situation des personnes sans abri. Mais souligne: «Développer un nouveau lieu d’hébergement dans la durée se construit avec les partenaires. Cela nécessite de trouver un endroit et un financement en collaboration avec le Canton. Ce qu’à ce jour, nous n’avons pas. Le dispositif élargi lors de la pandémie a été possible parce que le Canton a débloqué des fonds extraordinaires et pour répondre à une situation exceptionnelle.»

Politique du thermomètre

Depuis des années, le système sature, spécialement en été. Le 30 avril, la veille de la fermeture des structures hivernales, le nouveau collectif 43m2 (un chiffre qui représente la surface moyenne de logement par habitant dans le canton) dénonçait la suppression de 160 places en tentant d’occuper une halle de Beaulieu. Son délogement par la police aura néanmoins permis de médiatiser ce problème récurrent. En ce moment, l’agglomération lausannoise compte une centaine de places réparties entre La Marmotte, le Sleep-In et l’Espace Saint-Martin. S’y ajoute, cette année, dans le cadre d’un projet pilote de sept mois, 21 studios pour les personnes vulnérables ou au bénéfice d’un contrat de travail; ainsi qu’une cinquantaine de places entre Yverdon, Vevey et Nyon.

Le collectif s’insurge ainsi contre «la politique du thermomètre». «Le froid n’est pas l’unique problème. L’été, les pluies ou les canicules ont aussi des effets sur la santé des sans-abri. Les problèmes d’hygiène et de santé mentale, par manque de suivi, sont souvent plus forts», indique une militante.

«C’est ce que dénonçait déjà l’abbé Pierre dans les années 1950, rapporte Jean-Pierre Tabin, professeur honoraire à la HETSL, joint par téléphone. Chaque été, le nombre de places en hébergement d’urgence est trop faible. Cela en raison d’une politique de pénurie basée sur le fantasme de “l’appel d’air”. La Constitution vaudoise prévoit pourtant que “toute personne dans le besoin a droit à un logement d’urgence approprié et aux moyens indispensables pour mener une existence conforme à la dignité humaine”.»

Le sociologue, auteur de plusieurs recherches sur le sans-abrisme, appuie sur l’importance de développer une politique globale sur le mal-logement, en collaboration avec tous les acteurs.

Dans une pétition, le collectif 43m2 rappelle ses revendications: le maintien du nombre de places hivernales pendant toute l’année, ainsi que leur augmentation pour atteindre 300 lits. Un accueil diurne est aussi demandé, ainsi que la dépénalisation du «camping sauvage», une refonte du système de réservation.

Travailler sans logement

Le profil des sans-abri s’est beaucoup diversifié ces dernières années. Travailleurs européens, sans-papiers, mendiants, toxicomanes, femmes et enfants se retrouvent dans les hébergements d’urgence. «Si les femmes, notamment sans papiers travaillant dans l’économie domestique, font moins appel à ces lieux, elles sont souvent logées dans des conditions indignes, à plusieurs dans une chambre», précise Jean-Pierre Tabin. Les heures d’ouverture des lieux d’hébergement posent aussi problème. «Imaginez travailler sur un chantier la journée et devoir attendre trois ou quatre heures pour se reposer, en attendant que les structures d’accueil ouvrent», ajoute-t-il.

«Trouver un travail sans logement, aller à un entretien d’embauche quand on a mal dormi, qu’on n’a pas d’habits propres ou qu’on n’a pas pu prendre une douche, c’est compliqué», souligne une militante de 43m2.

Le Canton a, quant à lui, décidé de lancer une évaluation des besoins. «Chaque année, les autorités nous disent la même chose. Mais je crois que le constat est clair: il n’y a pas assez de places. La fermeture des hébergements hivernaux génère plus de tension, de fatigue. Etre refusé, c’est aussi ne pas avoir accès à une salle de bain, ni à une cuisine. Beaucoup de gens s’installent alors autour de la maison du Sleep-In s’ils n’ont pas pu obtenir un lit», raconte une collaboratrice. Un collègue abonde: «Devoir refuser un lit à quelqu’un, c’est à chaque fois un drame, et la démonstration de la violence du système. Ce qui est effarant, c’est que les personnes sans abri sont si habituées, ont tellement intériorisé les règles du jeu, qu’elles se soumettent à ce système…» Selon Jean-Pierre Tabin, le problème du sans-abrisme n’est évidemment pas facile à gérer politiquement. Il insiste toutefois: «Avoir un logement est essentiel. D’autres pays, comme la Finlande ou le Danemark, ont développé des solutions basées sur le logement d’abord, qui ont permis de réduire le sans-abrisme et d’en diminuer les coûts sociaux.»

Dans une lettre ouverte, le Sleep-In estime que «la politique du thermomètre engendre des coûts qui ne font aucun sens, pour n’avoir comme résultat que de péjorer nos conditions de travail et rendre la situation des personnes encore plus compliquée». L’association déplore devoir lutter contre les conséquences du sans-abrisme, sans pouvoir s’attaquer à ses causes: «Rester dans une dynamique de “charité” et de curatif nous est insupportable et reste complètement inadéquat, plus coûteux, et beaucoup plus violent pour les personnes concernées, les privant de toute autodétermination.»

Autant de questions que la Municipalité a décidé d’aborder en organisant une table ronde à la rentrée, en collaboration avec la HETSL, le Canton, les communes vaudoises et les partenaires «afin de définir les pistes pour renforcer les dispositifs d’accueil et sortir de la logique saisonnière».


* Lundi, lors de l’impression de ce journal, le campement était toujours en place.

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