Aller au contenu principal
Menu

Thèmes

Rubriques

abonnement

Capitaine, le cœur à bâbord

marin
©Thierry Porchet

De pêcheur atlantique à marin d’eau douce, Marc Formosa garde l’appel du large et de la solidarité. A bâbord toute!

Le militant syndical Marc Formosa sillonne le Léman, mais pas seulement. Il était aussi à la barre du bateau de ravitaillement de la flottille internationale pour Gaza.

C’est à bord du bateau Henri-Dunant que nous embarquons pour l’interview. Le nom de l’humaniste fait écho à l’engagement du capitaine Formosa. Marc de son prénom, Marco pour ses camarades. Ancien président de la section CGN du syndicat SEV, il milite depuis que son grand-père espagnol, fait prisonnier sous Franco, est devenu son héros. «J’étais enfant et il m’a tout appris des classes sociales», souligne cet enfant de famille ouvrière et communiste de Bayonne, dans le Pays basque. 

Un jour de stage sur un bateau de pêche dessine sa carrière. Le jeune Marco s’inscrit à l’école maritime de Saint-Jean-de-Luz. «C’est à ce moment seulement que ma grand-mère m’a sorti le fascicule maritime de son grand-père. Mes parents m’avaient caché tout un pan de l’histoire de ma famille italienne pour éviter que ça ne me donne des idées», raconte le marin, l’appel du large dans les veines. Durant onze ans, il sera pêcheur en haute mer. Jusqu’à ce qu’il rencontre sa future épouse, une Vaudoise. Il la rejoint dans son village de Pompaples, et devient marin d’eau douce. «C’est difficile de quitter la mer. Mais ici, j’ai pu fonder une famille et trouver une stabilité. Comme patron de pêche, cela n’aurait pas été possible. Partir en mer plusieurs semaines durant, c’est usant et dangereux. Celui qui m’a remplacé est mort quinze jours plus tard, pris dans le filet…»

100% de syndiqués

En cette matinée de décembre, le soleil joue à cache-cache derrière les nuages. «C’est magnifique, on ne peut pas se lasser», lâche le capitaine, qui a déjà fait deux allers et retours à Thonon-les-Bains. Il s’est levé à 3h du matin. «Des études montrent que les horaires irréguliers font perdre des années de vie, explique le militant syndical. J’ai eu l’habitude comme marin pêcheur de dormir très peu. Mais depuis quelques années, j’ai diminué mon taux de travail à 80%, pour tenir. La pénibilité des horaires devrait être davantage prise en compte dans notre CCT, même si elle est déjà très bonne.» Marc Formosa rappelle que le personnel navigant de la CGN est syndiqué à 100% ou presque. «On est écoutés par la direction. Notre CCT prévoit que, dans les négociations salariales, l’IPC et l’IPAM sont pris en compte.» De quoi faire rêver loin à la ronde. «J’ai suivi la grève des maçons, et maintenant celles de la fonction publique. C’est tellement dommage qu’ils ne manifestent pas tous ensemble...»

L’ancien président n’a pas voulu rempiler après son mandat de quatre ans. «C’est important de ne pas quitter la base, de ne pas fréquenter trop longtemps les instances supérieures, estime celui qui se méfie du pouvoir. Ici, sur le bateau, on est tous passés par le balayage et le nettoyage des toilettes.»

La mer dans le sang

Sa nostalgie de l’air iodé ne le quitte pas. «La mer, c’est ma maison.» Ses vacances sont consacrées à la grande bleue, souvent en voilier, «n’importe où tant que l’eau est salée», rigole-t-il. Son dernier voyage entre la Crète et la bande de Gaza est digne d’une épopée. «Ado, je portais déjà le keffieh. Mon premier livre a été la biographie de Yasser Arafat, explique l’homme de gauche foncièrement pacifiste. Cela faisait un certain temps que j’avais envie de m’engager avec SOS Méditerranée. Puis, on m’a parlé de la flottille… Les organisateurs, Waves of Freedom, cherchaient des personnes avec des permis maritimes, prêts à se faire arrêter, prêts au pire…» C’est juste après la fête de l’Huma (du nom du journal français L’Humanité), rendez-vous annuel incontournable pour Marc Formosa, qu’il embarque avec son beau-frère, serrurier de métier et excellent bricoleur, ainsi que son collègue Lionel Simonin, également capitaine à la CGN et actuel président de la section. 

A l’entendre raconter les difficultés rencontrées, il semble miraculeux qu’il n’y ait eu aucun blessé, ni mort, ni bateau coulé. «Les journées passaient très vite, entre les réunions, les formations et le soutien à ceux qui avaient le mal de mer.» Il parle de son équipage international, avec des étoiles plein les yeux. «C’est tellement beau d’être avec des gens qui ne pensent pas qu’à eux-mêmes.» L’arrestation sera difficile. «Seul le fou n’a pas peur», lâche-t-il, en se remémorant ce «kidnapping dans les eaux internationales», puis leur emprisonnement entre humiliations et incertitudes. «Mais la violence subie n’est rien face à ce que vivent les Palestiniens. Le pire était certainement la haine que j’ai croisée dans le regard des militaires israéliens.»

Une trêve fragile

L’appui des dockers, les manifestations de masse en Italie et les mobilisations un peu partout en Europe auront certainement augmenté la pression. Quelques jours après le retour de la flottille, une trêve est proclamée. «Depuis ce dit cessez-le-feu, il y a eu 500 bombardements et plus de 300 morts! L’aide humanitaire entre encore trop lentement, s’insurge Marc Formosa. Je suis prêt à repartir avec une prochaine flottille, égoïstement...» Car si ses fils (de 21 et 23 ans) l’ont bien vécu, son épouse a été très inquiète. «Dans tous les cas, c’est mieux que d’autres y aillent pour élargir le réseau de solidarité. Depuis ici, je peux aider, former, témoigner.» Quant au remboursement des frais, entre 300 et 1000 francs environ, demandé récemment par le gouvernement aux dix-neuf ressortissants suisses de l’expédition, il sourit: «Cela permet de remettre la lumière sur le conflit.» Des contestations sont d’ailleurs en cours.

Au retour de cette aventure perturbante, le soutien des camarades de la flottille, devenue famille, est essentiel. Le capitaine au grand coeur ajoute: «J’ai tout pour être heureux, mais j’ai besoin de m’engager face à ce monde où l’extrême droite monte, où la justice et les conventions internationales sont bafouées, où les dirigeants ne tiennent plus la ligne… La Suisse doit reconnaître l’Etat palestinien. Sauver la Palestine, c’est se sauver soi-même.» 

 

Récit d’une arrestation en mer

«Durant la nuit de notre kidnapping, on a été arraisonnés quatre fois. A chaque fois, quand les projecteurs étaient pointés sur nous, j’arrêtais le bateau. Puis, voyant les militaires israéliens se détourner pour aller vers d’autres embarcations, je remettais les gaz de notre bateau à moteur (qui avait le rôle de ravitailler la quarantaine de voiliers de la flottille internationale). Finalement, au petit matin, notre bateau s’est retrouvé isolé. A bord, on était une douzaine avec l’eurodéputée franco-palestinienne Rima Hassan. On a commencé à imaginer qu’ils allaient nous attaquer par voie aérienne. Et puis finalement, on a été assaillis. Un militaire a pris la barre. Un des leurs s’est mis à vomir, tellement leurs bateaux autour faisaient des vagues d’une hauteur impressionnante. En arrivant vers la côte, voir la ville d’Ashdod et, à peine plus loin, Gaza, rasée, c’était fou», relate Marc Formosa. Une fois au port, les humiliations ont commencé. «On nous sort du bateau, on nous met à genoux, la tête en bas. Des gens nous crachent dessus. Puis, on nous emmène en prison, entre des grillages, comme des poulets, puis dans des cellules obscures. Deux personnes à qui on a retiré leurs médicaments, contre l’asthme et le diabète, risquent la mort. Des robocops armés viennent nous intimider avec des chiens, ils ne nous laissent pas dormir, prennent une personne après l’autre, puis la ramènent, après l’avoir fait tourner en rond dans la prison, pour nous faire peur sûrement, et induire un sentiment de confusion. Les militaires ont des gants en plastique et en métal qui font mal dès qu’ils te touchent. On a une toilette par cellule, un robinet avec une eau mauvaise qu’on évite de boire. Devant le juge, on m’appuie une crosse dans le dos quand je dis, via la traduction par un interprète au téléphone, que notre arrestation est illégale. On me met dans un isoloir, puis d’autres camarades me rejoignent… Les bateaux, le matériel humanitaire et toutes nos affaires personnelles ont été confisqués.»

«Amener de l’espoir»

Son récit se veut factuel, sans apitoiement, conscient que les prisonniers palestiniens vivent bien pire. Après la 3e nuit d’incarcération, Marc Formosa sera embarqué avec beaucoup d’autres dans un camion, sans connaître la destination. Finalement, c’est un avion qui les attend, destination la Turquie. «Là-bas, on a été accueillis comme des rois! Avant même qu’on ne sorte de l’avion, on nous a amené des tonnes d’habits pour qu’on puisse enlever nos tenues de prisonniers (un bas de training et un T-shirt). Dans l’aéroport, en attendant notre avion pour Genève, un marchand nous a offert le thé. Il était Palestinien. Il nous a raconté que ses parents sont morts sous les bombardements israéliens en octobre 2023, et que son frère venait d’être tué… Il nous a remerciés. Il disait que, grâce à nous, des Palestiniens avaient pu pêcher pendant la nuit de notre arrestation.» 

Le capitaine poursuit: «Je sais que la flottille n’a pas été appréciée par tout le monde. Beaucoup nous ont traités de terroristes du Hamas. Alors que nous voulions ouvrir un couloir humanitaire, amener des médicaments, du lait en poudre, des prothèses… mettre la lumière sur ce génocide et amener de l’espoir.»

 

Témoignages également dans le journal Work