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Action!

Portrait de Shams Abou El Enein avec une balançoire.
© Olivier Vogelsang

C’est au contact direct avec l’horreur du camp de réfugiés de Samos que le jeune réalisateur valaisan Shams Abou El Enein décidera de répondre à ses questions, caméra au poing.

Jeune réalisateur, Shams Abou El Enein concrétise l’un de ses rêves en sortant un film sur grand écran

«Si je ne devais donner qu’un conseil à quelqu’un qui a envie de faire ce métier, ce serait: filme, monte… et recommence!» Les paroles peuvent sembler autoritaires, mais le ton, lui, est gorgé d’enthousiasme. Il faut dire que sa recette, le Valaisan de 28 ans ne se contente pas de la dispenser, il l’applique pour lui-même depuis deux décennies déjà. C’est en effet à 8 ans qu’il commence à manier la caméra: «A l’époque, comme je pratiquais beaucoup le ski, j’avais envie de filmer mes copains en train de faire des sauts. Et puis, rapidement, je me suis mis à leur donner des rôles de policier et de voleur. En Valais, il y avait une association qui organisait un concours mensuel de films amateurs. Alors chaque mois, je faisais un film: ça a été un terrain de jeux formidable.» Et si la vie pouvait ressembler tout le temps à cela? C’est en tout cas le pari qu’a fait le jeune Shams après sa maturité en arts visuels passée à Sion. Soutenu par ses parents qui lui «offrent l’espace pour faire ce qu’il veut», il étudie le cinéma au SAE Institute de Genève, puis au Canada, à la Vancouver Film School. Une fois diplômé, le voilà équipé pour explorer le métier de ses rêves.

De la pub au documentaire engagé

Une exploration qui le conduit vers des pôles en apparence à l’opposé de son art. Employé depuis cinq ans chez Buzz Brothers, une agence de communication, il y réalise des publicités. «Un de mes projets préférés est celui pour Patouch, une association de prévention de la violence envers les enfants. On y mettait en scène une fillette qui recevait des lettres rouges écrites comme des SMS. Le but était de sensibiliser au harcèlement chez les jeunes. Ce spot me plaît et nous a d’ailleurs rapporté des prix.» En parallèle, il réalise des courts métrages fantastiques, «avec une morale à la fin, parce que j’aime ça!». Jusqu’à ce que sa compagne, étudiante en médecine, lui propose d’aller faire du bénévolat avec elle pendant un mois pour une ONG sur l’île de Samos, en Grèce. Le lieu a ceci de particulier qu’il se situe juste aux confins de l’espace Schengen. Les migrants y restent bloqués des mois, voire des années, dans l’attente d’une autorisation pour gagner le continent européen. «Dans mes bagages, j’avais embarqué une caméra et un micro sans savoir si j’allais les utiliser ou pas.» Arrivé sur place, en juin 2019, ce qu’il trouve sur l’île le gifle en plein visage. En chiffres: le camp compte 4000 occupants alors qu’il est équipé pour en accueillir 700. Sur le terrain: les conditions sanitaires s’avèrent catastrophiques, entre abris de fortune, manque criant d’infrastructures et de nourriture… ici, en Europe, à une heure d’avion. «Devant l’horreur de ce camp, je me suis posé plein de questions: comment un tel chaos est-il possible? Qui sont ces gens? Que font les ONG? Comment les Grecs perçoivent-ils la situation? La volonté de faire un film pour répondre à ces questions s’est imposée à moi. Personne ne l’avait encore fait, c’était à moi de le réaliser.»

Une deuxième vie

Démarre alors pour lui un projet parallèle qui va coloniser son temps libre durant un an. «A Samos, nous travaillions de 7 à 15 heures. J’étais chargé de traduire les récits des migrants qui venaient consulter un médecin. Chaque histoire était pire que la précédente, comme si l’horreur n’avait pas de fond. A la fin du service, alors que mes collègues bénévoles allaient décompresser à la plage, j’enfilais mon sac à dos et partais réaliser des interviews.» Il filme, parfois à visage caché, 28 occupants du camp, travailleurs d’ONG, habitants de l’île, employés de l’Union européenne… De retour en Suisse, il s’attelle au montage, qui occupera ses soirées durant huit mois. Intitulé Samos, the faces of our border (Samos, les visages de notre frontière), le documentaire vise à donner un visage aux gens qui vivent à la frontière de Schengen. Un but qu’il matérialise à l’aide d’outils d’animation pour les témoignages anonymes «Pour apporter un côté émotionnel et varier la forme.» Il part ensuite à la recherche d’un distributeur: «Vu le peu d’argent que j’ai investi, j’aurais pu mettre mon film en ligne gratuitement sur internet. Mais personne ne l’aurait vu à part les gens qui sont allés à Samos et se sentent concernés par ce problème. En le projetant dans les salles, je souhaitais rendre ces informations du front plus accessibles. J’ai également préparé un dossier pédagogique, car j’aimerais le faire diffuser dans les écoles.»

Rencontre avec soi

Avec son nom digne des Mille et une nuits, aurait-il lui aussi vécu un parcours migratoire? «Pas moi, non, je suis né en Valais et suis Valaisan de cœur!» sourit-il. Fruit de l’union entre une mère suisse allemande et un père égyptien, Shams conte la venue de son père en Suisse, loin des stéréotypes associés à la migration: «Durant ses études d’avocat, il passait ses vacances à voyager avec ses frères. A plusieurs reprises, ils se sont arrêtés ici pour travailler dans la cueillette de fruits. Puis, mon père a rencontré ma mère et l’a finalement rejointe pour s’installer ici. Lui n’a pas eu à demander l’asile, mais je suis peut-être plus sensible à ce sujet que d’autres. Et je suis assurément conscient des différences de cultures, puisque j’ai baigné dedans. Entre mon père et ma grand-mère, les discussions sur la religion étaient parfois animées!» Cette expérience à Samos aurait-elle révélé à l’artiste une fibre sociale? «On dirait bien! Je la découvre… je pense qu’on se rencontre tous dans la vie à travers les actes que l’on fait.» Homme d’action, le jeune réalisateur a encore de nombreuses découvertes devant lui.