Xénophobie dans le monde du travail

Bounouar Benmenni, président d’Unia Vaud, et Augustin Bukamba de Syndicom entourent Arnaud Bouverat, secrétaire régional d’Unia Vaud.
Une table ronde à Yverdon-les-Bains a rappelé, en marge de la fête du 1er Mai, les enjeux néfastes de l’initiative de l’UDC «Pas de Suisse à dix millions», stigmatisante pour les étrangers.
Le fait est avéré depuis très longtemps, le monde du travail cristallise à lui tout seul une bonne partie des pires réflexes face à l’étranger, à la main-d’œuvre venant d’ailleurs. Xénophobie et racisme trouvent là un exhausteur puissant, et c’est une réalité corroborée par des statistiques implacables. Les dernières, émanant de la Confédération, nous disent que les 54% des personnes ayant été victimes de dérapages concernant ces étiquettes, l’ont été dans un cadre professionnel. Une donnée en hausse, qu’on peut justifier en partie par le fait que les salariés sont mieux aiguillés en cas de dérapages et, en conséquence, dénoncent plus facilement. Il n’empêche, une autre grande partie se fonde sur une intolérance bien ancrée dans les esprits, alimentée par les éléments de discours politique de l’extrême droite. A Yverdon-les-Bains, à la veille de la fête du 1er Mai, cette question a fait l’objet d’une table ronde, avec pour thème «Travail et droits des migrants» en lien avec l’initiative UDC «Pas de Suisse à 10 millions».
L’envie de résister
Assis dans une salle des caves du Château, face à une assistance plutôt discrète, des figures qui ont vécu dans leur peau le rejet xénophobe, ont évoqué des faits et des anecdotes parlant de la question. Bounouar Benmenni étaient de ceux-là. Président d’Unia Vaud et travaillant dans le secteur de la santé et de la sécurité d’un groupe horloger, le Suisse d’origine algérienne a tout d’abord retracé son expérience de migrant. Arrivé dans le pays à l’âge de 13 ans, il a été confronté d’entrée à l’intolérance, alors que l’initiative Schwarzenbach était soumise au peuple. «Le côté positif de cette histoire inaugurale, s’il y en a eu un, c’est qu’il a forgé tout de suite mon envie de résister, qu’il m’a donné l’envie de me battre.» Et c’est ce qu’il a fait depuis, dans un climat global qu’il qualifie comme «méfiant envers les étrangers plutôt que de raciste». Dans les échanges qui se sont ensuivis, il a encore souligné «la présence regrettable d’un racisme entre communautés de migrants» et il a défendu l’idée que «l’immigration ne peut et ne doit pas être l’apanage unique des élites, d’une main-d’œuvre instruite et hautement qualifiée. Le pays a besoin de toutes sortes de profils, du simple maçon au haut cadre.»
Le retour des saisonniers
A ses côtés, Augustin Bukamba de Syndicom et figure du POP vaudois, a déployé ses considérations et ses expériences personnelles, vécues dans une ville, Renens, où se côtoient de manière plutôt harmonieuse 130 nationalités. Et il a évoqué le cas d’une connaissance qui, de par ses origines, a été rejetée par ses potentiels collègues lorsqu’elle a postulé à un travail. «Aujourd’hui, cette personne occupe une position de codécideur dans une institution d’importance nationale, grâce à la lutte que nous avons engagée pour la soutenir.»
Arnaud Bouverat, secrétaire régional Unia Vaud, a quant à lui mentionné le cadre légal qui permet de lutter contre le racisme dans les milieux professionnels. Il a donné l’exemple positif d’une intervention du syndicat après la dénonciation de comportements inacceptables d’un employé. A la suite de quoi, l’entreprise concernée, qui a voulu couvrir à tout prix son salarié, a perdu son mandat de sous-traitant. Le secrétaire a aussi rappelé le travail de fond réalisé pour sensibiliser, informer et accompagner les employés sur les thèmes débattus dans la soirée. Et plus important, il s’est exprimé sur l’initiative «Pas de Suisse à 10 millions» pour dire combien son caractère xénophobe et stigmatisant pour les étrangers représente un grand bond en arrière au niveau des acquis dans le monde du travail. «Il est évident que l’UDC vise à réintroduire le statut de saisonnier, à constituer une population qui serait en dehors des 10 millions de résidents permanents. Une main-d’œuvre à qui on nierait toute possibilité de participer à un processus d’intégration.» Le syndicaliste a souligné les atteintes portées à la libre circulation des personnes et aux systèmes de contrôle qui permettent de réguler le marché du travail. «Il ne faut pas oublier qu’aujourd’hui, la moitié des entreprises dénoncées pour des infractions sont suisses. Les mesures en vigueur permettent de nos jours de les sanctionner, mais cela ne serait plus possible si l’initiative devait être acceptée.»