Le débit du temps, qui a parfois les allures d’un long fleuve tranquille, réserve dans certaines circonstances un lot inattendu d’accélérations et de vertiges irrésistibles. Il suffirait par exemple de river notre regard vers les derniers mois écoulés pour prendre la mesure d’un étrange phénomène. De ressentir sur sa propre peau une sensation désagréable et d’avoir le sentiment d’un profond décalage avec les trop rapides affaires du monde. Il en est ainsi pour un grand nombre d’habitantes et d’habitants de notre planète depuis qu’un personnage au visage orangé et au brushing improbable s’est donné comme mission de dérégler le peu de codes qui régissaient les relations internationales, le peu de mesures qui encadraient le libre marché, le peu d’attitudes qui gouvernent la bienséance lorsqu’on s’adresse à ses semblables. Le pli qu’a pris depuis le mois de janvier cette sorte d’insurrection a de quoi tétaniser, et plonger dans l’incrédulité et la sidération. Sans doute parce que le monde d’après, celui qu’a inauguré la nouvelle administration étasunienne – on parle bien de cela –, renforce et rend visibles les pires pulsions du néolibéralisme.
L’idéologie qui s’impose outre-Atlantique voit se reformer cette alliance sinistre qu’a connu l’Europe dans les années 1930 entre le grand capital et les franges les plus dures de l’extrême droite. Ce mano a mano toxique s’attaque aujourd’hui, à très grande vitesse, aux acquis sociaux, à ces mesures qui ont permis de faire avancer une certaine idée du progrès en Occident. Les valeurs du bien vivre ensemble, celles qui renvoient à la tolérance, à l’égalité et à l’accueil de la diversité, entendue dans son acception la plus large, sont mises à mal depuis l’intronisation de Donald Trump. La grande glissade vers l’intolérance et l’outrance n’est malheureusement pas une affaire confinée au pays nord-américain. Elle s’insinue sans complexe sous nos latitudes aussi, à travers des positions de l’élite économique qui épouse des positions nationalistes et xénophobes. Les exemples, à l’échelle locale, cantonale et nationale, ne manquent pas. On observe cette dérive avec des mesures toujours plus sévères en matière de politique d’asile, notamment. On les constate encore à travers l’initiative de l’UDC contre «une Suisse à 10 millions», isolationniste puisqu’elle s’attaque à la libre circulation des personnes et dangereuse pour tous ces bas salaires nécessitant des mesures d’accompagnement.
L’offensive de l’extrême droite et des grandes fortunes suisses n’est cependant pas une fatalité. Elle doit être combattue et refoulée par une mobilisation ample et déterminée. Les manifestations du 1er Mai donneront autant d’occasions pour repousser la menace. Pour montrer qu’une autre Suisse existe. Qu’elle est profondément attachée à ses valeurs humanistes ayant permis au pays de prospérer. Aux discours haineux, aux politiques destructrices, la Fête du travail oppose son sens de la solidarité! En cela, ce 1er Mai sera unique et crucial.