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Réviser la loi pour encadrer les faillites

Une révision de la loi sur les faillites est en discussion. L'USS veut aussi éviter les faillites abusives.

Le Conseil fédéral souhaite supprimer l'obligation pour un repreneur de reprendre tels quels les contrats de travail d'une entreprise en faillite. L'Union syndicale suisse (USS) s'y oppose fermement. Pour faire passer la pilule, le gouvernement propose de rendre obligatoire le plan social lors de licenciements collectifs. Les syndicats veulent éviter les faillites en série frauduleuses, mais légales... Aujourd'hui, c'est la loi de la jungle!


Le Conseil fédéral a publié son message concernant la révision de la loi sur la poursuite pour dettes et la faillite. Certains de ses aspects revêtent une importance cruciale pour les intérêts des travailleurs. Les syndicats soulignent deux propositions faites par le Gouvernement. D'un côté, ce dernier persiste dans sa volonté de supprimer l'obligation de reprise des contrats de travail de l'entreprise en faillite par un repreneur. Mesure que dénonce vivement l'Union syndicale suisse (USS). En compensation, le Conseil fédéral propose de rendre obligatoire dans le Code des obligations la conclusion d'un plan social pour les entreprises d'au moins 250 salariés. Mais pas lors de faillites! Par ailleurs, l'USS souhaite l'adoption de mesures spécifiques contre les faillites répétées.

Reprise des contrats cruciale!
L'USS rejette premièrement l'idée de délier les repreneurs d'une entreprise en faillite de leur obligation de reprendre tels quels tous les contrats de travail. Il n'est pas acceptable que l'assainissement d'une entreprise se fasse sur le dos de son personnel. Lors d'une reprise, c'est en effet le maintien des emplois qui doit figurer au premier plan. La suppression de cette protection reviendrait à reporter le coût des assainissements d'entreprises sur l'assurance chômage. L'affirmation selon laquelle la suppression de l'obligation de reprendre tous les contrats de travail rendrait les reprises plus efficaces ne repose sur aucune donnée empirique. A notre connaissance, il n'existe aucun cas où l'acquéreur potentiel d'une entreprise en faillite y aurait renoncé à cause de l'obligation de reprendre les contrats de travail aux mêmes conditions. En revanche, les pseudo-assainissements, dont l'objectif réel est plutôt de licencier du personnel, sont une réalité.

Plan social obligatoire
En contrepartie à la suppression de l'obligation de reprendre tous les contrats de travail, le Conseil fédéral a proposé d'introduire dans le Code des obligations l'exigence de conclure un plan social. Ce progrès social est nécessaire depuis longtemps, tant la protection des salariés contre les effets négatifs des licenciements collectifs a accumulé du retard par rapport aux pays voisins. L'USS a revendiqué à maintes reprises une telle mesure. Il faut cependant regretter que le Gouvernement limite cette obligation aux entreprises d'au moins 250 salariés (seulement 0,37% des entreprises privées, occupant près de 39% des employés en Suisse). L'USS demandera donc que ce seuil soit abaissé à 100 salariés afin qu'un plus grand nombre de travailleurs (environ un sur deux) bénéficie d'une atténuation des conséquences de licenciements collectifs.
Mais il y a un autre écueil: le projet prévoit que l'obligation de négocier un plan social ne s'applique pas en cas de faillite ou de sursis concordataire! Le Conseil fédéral justifie cette mesure par sa crainte que le remboursement des créanciers soit rendu impossible par un plan social trop généreux. Il prétend également que de telles procédures surchargeraient les autorités de poursuites et faillites. Ces arguments ne sont pas recevables. Dans la plupart des cas, il est tout à fait possible de négocier un plan social qui n'empêche pas l'assainissement. Soustraire faillite et assainissement à l'obligation de plan social créerait une incitation à ne plus négocier de plan social du tout lorsque la faillite menace, puisque ce ne serait pas obligatoire. Enfin, l'argument de la surcharge des autorités ne tient pas la route: il suffirait de renforcer lesdites autorités, ce qui est d'autant plus nécessaire que le nombre de faillites a augmenté.

Eviter les faillites en chaîne
Du point de vue de l'USS, il s'agit enfin de profiter de cette révision de la Loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite pour introduire une norme jugulant le phénomène des faillites en chaîne, toujours plus fréquentes, notamment dans le bâtiment et les arts et métiers. Souvent, des employeurs peu scrupuleux se déclarent en faillite pour éviter de devoir verser à leurs salariés les arriérés de salaire et de cotisations sociales, puis recréent aussitôt une autre entreprise active dans la même branche et y emploient souvent le même personnel, mais sous une autre raison sociale. A son tour, cette nouvelle entreprise fera rapidement faillite pour les mêmes raisons, et ainsi de suite... Pour mettre un terme à ces pratiques, l'USS propose par exemple qu'un employeur failli dont les dettes d'une ancienne entreprise n'ont pas été toutes remboursées ne puisse être à nouveau inscrit au Registre du commerce en tant qu'organe d'une société de personnes pendant 5 ans après la faillite. Cette règle a fait ses preuves en Belgique. L'USS souhaite que la commission du Conseil national chargée d'étudier la loi en révision crée un groupe de travail pour étudier les meilleures solutions afin de remédier à ce grave problème. La commission devrait se saisir du dossier en début d'année. Les syndicats suivront de près son évolution. 


Jean Christophe Schwaab, USS/ES

 

 


Halte aux faillites semi-frauduleuses!

De nombreux petits patrons profitent des carences du droit pour faire payer leurs dettes à la collectivité. L'un d'entre eux a été stoppé par Unia

Faire faillite. Laisser plusieurs dizaines, voire centaines de milliers de francs d'impayés. Puis créer une nouvelle entreprise dans le même domaine. Certains petits patrons utilisent cette méthode plusieurs fois de suite pour s'enrichir personnellement. Les comptes de la société n'étant jamais soigneusement passés au crible par une autorité indépendante. D'autres employeurs le font simplement pour se tirer d'affaire à bon compte. Toutes les dettes de l'entreprise, dont les arriérés de salaires, sont laissées à la charge des travailleurs, des fournisseurs et de la collectivité. (L'Evénement syndical avait consacré une page spéciale à cette arnaque en septembre 2008). La révision de la loi fédérale sur les faillites devrait améliorer la situation. Pour l'instant, cette manœuvre se fait en général sans encombre (lire ci-dessus). Mais pas toujours... Dernièrement, un employeur a été stoppé par Unia. Il a été confondu devant le Tribunal de la Broye et du Nord-Vaudois, qui a rendu son jugement le 29 novembre passé. Celui-ci n'avait pas fait faillite à temps! Explication.

Du père au fils
Une entreprise d'étanchéité vaudoise a laissé, entre fin 2009 et début 2010, plusieurs mois de salaires impayés à ses employés. Deux d'entre eux ont contacté Unia. La société en difficulté a obtenu un sursis concordataire de la part du tribunal en avril 2009. Elle a ensuite essayé de licencier les deux salariés mécontents le 16 octobre. Mais ces derniers étaient en arrêt maladie. Leur licenciement n'était donc pas valable. Or, le 21 novembre, le fils du patron de la société en débâcle créait une nouvelle entreprise, reprenant les mêmes activités que la précédente, et domiciliée à la même adresse. Les impayés de salaires demeuraient en souffrance, le père sachant qu'il partait en faillite, alors que son fils proposait aux deux ex-employés un nouveau contrat de travail! L'un d'eux a refusé cette offre, estimant que l'employeur initial devait d'abord s'acquitter de son dû. C'est sur le cas de ce salarié que s'est penché le tribunal. Ce dernier lui a donné raison en condamnant la nouvelle société à régler les arriérés de salaires laissés par la première, soit près de 15000 francs. Ce jugement est toutefois encore susceptible d'un recours de la part de l'employeur.

Transfert et responsabilités
La cour a en effet estimé qu'il y avait eu un «transfert d'entreprise». La nouvelle entité ayant repris à son compte l'activité d'étanchéité de la première. Les juges ont en effet conclu que les deux sociétés avaient la même «identité économique». Or, «en cas de transfert d'entreprise, les rapports de travail existant au moment du transfert passent automatiquement à l'acquéreur, même contre le gré de ce dernier», rappelle le tribunal.

Changements impératifs
Ce qui a sauvé l'employé, dans ce cas précis, est que le patron n'a pas fait faillite avant la création de la seconde entreprise. Si tel avait été le cas, la seconde société n'aurait pas pu être tenue pour responsable, ont précisé les juges. La faillite met fin à l'obligation du repreneur de s'acquitter des dettes de la société qu'il a achetée! Ce principe du droit suisse a un objectif: permettre à un repreneur de pouvoir racheter l'entreprise sans traîner le boulet financier qui la grève. Mais il pose un problème de taille: il permet aussi à des employeurs peu scrupuleux de se défausser encore un peu plus de leurs responsabilités. Après s'être débarrassé de leurs dettes, certains patrons en faillite peuvent non seulement repartir de zéro avec une nouvelle entreprise (le principe même de la société anonyme), mais aussi reprendre les actifs de leur société à bon compte en se portant acquéreur de leur propre entreprise. Au final, c'est la collectivité publique et les travailleurs qui passent à la caisse en épongeant les dettes en faveur d'une nouvelle entreprise dont les bénéfices seront privés. Il est temps de modifier les lacunes de la loi!


Christophe Koessler