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Nous ne sommes pas des esclaves

Giuseppe Asaro s'est battu durant des années et continue à le faire pour améliorer le sort des maçons

Par amour pour sa femme, Céline, rencontrée lors d'un bal au Café des Amis à Montreux, Giuseppe Asaro quitte sa place de portier d'étage, une belle situation, pour redevenir maçon, métier appris dans sa Sicile natale. « Ma femme était décoratrice en chocolat à la fabrique Séchaud à Montreux. Elle avait congé à Noël, Nouvel An, Pâques, alors que moi, je devais travailler. Avec mon attestation de maçon, je me suis présenté chez Imhof à Lausanne et ils m'ont pris», raconte Giuseppe Asaro, fidèle militant d'Unia. «C'était dans les années 60. Comme portier, je gagnais 2000 francs par mois, 1000 francs de salaire et 1000 de pourboire. C'était la belle vie en ce temps là! Comme maçon, mon premier salaire à Lausanne était de 1,65 franc de l'heure plus le déplacement, soit autour de 400 francs par mois...»
Giuseppe est arrivé en Suisse en 1957. Le jeune homme de 25 ans, aîné de 8 enfants, ne supportait plus d'être sans travail alors que son père, «salinero» à Trapani en Sicile, se cassait le dos à porter des kilos de sel extrait des salines. «Comme maçon, nous travaillions seulement quatre mois par année. La vie était dure. On nous traitait comme des esclaves. Les entrepreneurs faisaient comme ils voulaient, il n'y avait pas de loi, pas de syndicat. Mon parrain était sommelier à l'Hôtel Carlton à la Croix d'Ouchy. Il m'a proposé d'y venir comme portier d'étage. Après deux ans, j'ai quitté le Carlton et suis allé au Montreux Palace.» Giuseppe y reste 5 ans, jusqu'à ce qu'il décide de revenir à la maçonnerie pour être plus souvent avec son épouse.

Mordu du syndicat

C'est en 1966 qu'il toque à la porte de la FOBB à Lausanne, 7 mois après le début de son travail de maçon. «Nous construisions le pont de Bellevaux, le patron est arrivé et nous a dit, à un collègue et à moi: "vous n'avez rien foutu". Je me suis fâché et lui ai répondu que je n'aimais pas qu'il me paie pour ne rien faire. Il m'a dit que je pouvais partir. Ce que j'ai fait, mais j'ai dû aller au syndicat pour qu'il me paie». Depuis, Giuseppe est un fervent défenseur des maçons en terres vaudoises. Il a présidé durant 30 ans le comité des maçons-manoeuvres de la section Vevey-Montreux. «Je suis mordu du syndicat», confie-t-il. Et il est fier du travail accompli pour défendre ses «copains» maçons et pour mobiliser ses collègues, en particulier dans son entreprise, Salvi et Peter - devenue Aerni et Bertinotti - à Chernex au dessus de Montreux, ville où il a toujours habité.

«J'ai montré que je ne suis pas n'importe qui!»
Giuseppe Asaro y travaille «26 ans et 6 mois». Malgré son ancienneté - il montre fièrement la montre Omega reçue pour ses 20 ans de service - sa dignité le poussera à partir. « Un jour, le patron m'a dit que j'aurai dû faire un travail autrement. Cela aurait mis une demi-journée de plus. Il m'a lancé "c'est moi le patron". Je lui ai rétorqué que si c'était le cas, j'étais son escalve et je le refusais, quitte à partir.» Convoqué au bureau, Giuseppe demande au patron de bien noter sur la lettre que c'est lui qui donne son congé. «J'ai un sale caractère, je le reconnais, mais je ne me laisse pas faire. J'ai tout de suite retrouvé du travail. Le lendemain, j'ai pris ma caisse et l'ai mise dans la camionnette de mon nouveau patron. J'ai montré que je n'étais pas n'importe qui. J'étais connu comme maçon!»
Son parcours, Giuseppe ne se lasse pas de le raconter, avec maintes anecdotes en se remémorant les ouvrages réalisés. Comme l'agrandissement du Palais des Congrès à Montreux. «Là, il y a eu une grosse bagarre. Le patron voulait nous faire travailler sous une pluie battante. On a refusé de sortir pendant 3 heures», dit-il fièrement. Il parle de son militantisme, de ces cars du syndicat qu'il remplissait avec tous les maçons de son entreprise, entre 70 et 100, apprentis compris, pour se rendre aux manifestations pour des hausses de salaires ou la retraite à 60 ans. «J'étais un militant et je renseignais les ouvriers de tout ce qui se passait dans le syndicat. Je les consultais lorsqu'il fallait prendre des décisions, et les mobilisais pour les manifestations. Chez Aerni et Bertinotti, ils ont voulu me licencier deux fois, mais ils n'ont pas pu, je faisais tout correctement vis-à-vis de la loi.»

Protégez les militants!
A de nombeuses reprises, Giuseppe Asaro a exhorté le syndicat de protéger ses militants, «parce que le patron cherche toutes les combines pour s'en débarrasser». «La dernière fois, c'était au congrès du SIB à Davos. J'ai dit aux présidents et secrétaires: si vous ne prenez pas l'initiative de protéger les militants, vous n'aurez jamais personne derrière vous.» Et d'ajouter: «Si les militants étaient protégés, le syndicat aurait une force dont vous n'avez pas idée!» Giuseppe admire aussi ces jeunes maçons qui poursuivent la lutte. «Je souhaite dire à tous les ouvriers que sur les chantiers, il faut se tenir les coudes et écouter les militants. Qu'il faut aller donner sa force au syndicat, et se battre ensemble, sinon on se fait bouffer.»
A 80 ans, fêtés tout récemment, Giuseppe continue son combat, et participe à toutes les actions d'Unia, même s'il a un autre dada, le vélo, qu'il pratique régulièrement avec ses copains. Lorsqu'on lui demande s'il sera à Berne, le 24 septembre, à la manif des maçons, il se redresse, droit comme un i, et lève l'index! Le signe est clair, on s'y retrouvera!

Sylviane Herranz