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Les enfants des garderies lausannoises mangent local

Depuis une année la Plateforme Bio Locale approvisionne les centres de vie enfantine de Lausanne en fruits et légumes

La Plateforme Bio Locale permet de créer un lien direct entre les agriculteurs de la région lausannoise et les garderies de la ville. Fondée le 7 mars 2013, cette coopérative innovante espère s'agrandir pour faire bénéficier de produits de qualité le plus d'enfants possible, mais aussi d'autres collectivités telles que les EMS...

Au départ, il y a Hansjörg Haas, écologiste convaincu, féru de nature et proche des paysans depuis son enfance passée dans la campagne lucernoise. «Nul à l'école», se souvient-il en riant, et féru de nature, il devient bûcheron, avant de se lancer dans le marketing pour «comprendre comment la société est manipulée». Il travaillera ensuite une dizaine d'années pour une grosse entreprise automobile. Une «situation schizophrène» pour celui qui a pratiqué le vélo en semi-professionnel et s'est toujours déplacé, si ce n'est à la force du mollet, en transport public. Le «marketicien», mot qu'il utilise avec son léger accent suisse allemand, respire mieux depuis qu'il a laissé tomber la cravate. Après avoir travaillé pour l'ONG Greenpeace, il s'est lancé dans deux projets d'agriculture contractuelle de proximité. Les Jardins du Flon, puis Le Panier à Deux Roues (P2R), une coopérative bio qui, comme son nom le laisse imaginer, livre fruits et légumes à vélo dans une vingtaine de lieux à Lausanne pour quelque 230 particuliers.
Un des points de livraison: le Centre de vie enfantine (CVE) de Montelly. C'est là qu'entre en piste le cuisinier de l'institution, Filippo Pisano, qui demande un jour à Hansjörg Haas s'il lui est possible également de fournir la garderie en produits bio. Cette belle proposition sera finalement refusée par l'assemblée des coopérateurs du P2R, qui préfère rester petit. Hansjörg, qui aime les défis, crée alors la Plateforme Bio Locale (PBL), juste à côté du local du P2R dans la ferme de Cery, convaincu que les collectivités publiques ont un rôle essentiel à jouer dans le développement de l'agriculture contractuelle de proximité et que les enfants doivent absolument pouvoir bénéficier d'une alimentation de qualité.

Du bio si possible
Une question de survie pour la paysannerie locale et de santé publique en somme. «Des études montrent qu'un seul légume issu de l'agriculture conventionnelle peut contenir jusqu'à une dizaine de perturbateurs endocriniens...», souligne Michèle Montet, éducatrice de formation, en charge du développement durable au Service d'accueil de jour de l'enfance de Lausanne, et vice-présidente de la coopérative. Reste que la plateforme a consenti à faire des concessions: si certains produits nécessaires aux garderies manquent en qualité biologique, la coopérative peut se tourner vers des domaines pratiquant la production intégrée (norme IP), bien plus respectueuse de l'environnement que l'agriculture conventionnelle. Quant aux fruits exotiques, surtout les bananes et les agrumes, la PBL choisit des produits bio qui ne prennent pas l'avion. A l'avenir, un des nombreux projets de Hansjörg Haas serait d'importer des oranges d'une coopérative espagnole via le rail.
«La grande distribution a enlevé le pouvoir à la paysannerie et asséché le tissu économique local. Plus de deux exploitations agricoles disparaissent chaque jour en Suisse... Les paysans ne sont pas reconnus dans notre société, alors qu'ils sont essentiels», dénonce Hansjörg Haas qui veut permettre un lien le plus direct possible entre les cuisiniers et les agriculteurs. Ces derniers sont une vingtaine à participer à la plateforme, dont certains collaborent aussi avec le P2R. D'ailleurs les deux coopératives sont étroitement liées, car elles se partagent les vélos, qui peuvent transporter jusqu'à 200 kilos de nourriture grâce à l'assistance électrique et à leur remorque, et l'unique camionnette qui fait le tour des domaines agricoles chaque matin. La PBL offre, quant à elle, des produits préparés. Chaque après-midi, deux employés se chargent de laver, couper, conditionner légumes et fruits et, le lendemain matin, la livraison est faite à deux-roues dans les garderies, et auprès de quelques restaurants et magasins.

Un socle financier éthique
Les investissements ont été nombreux, notamment la transformation d'un vieux bâtiment en une cuisine professionnelle, d'où la mise sur pied d'un socle financier: le «Local Green Invest». Les investisseurs sont rétribués en produits agricoles bio à raison de 2% de leur contribution. «Mais c'est la coopérative qui prend les décisions, et non le capital. Dans les sociétés anonymes, celui qui s'impose, c'est celui qui a le fric. Les travailleurs sont les esclaves des actionnaires. La coopérative, par contre, appartient aux paysans, aux travailleurs et aux clients dans un système de distribution équitable pour tous», souligne Hansjörg Haas. «Dans notre coopérative, chacun fait ce qu'il sait faire. Nous sommes interdépendants, unis et chacun met sa pièce à l'édifice. Tout est transparent.» Le taux de travail de la PBL: 400% y compris les livreurs, souvent des étudiants, dont le temps de déplacement, s'ils viennent à vélo à Cery, est payé. A la PBL, rien n'est laissé au hasard...
De futurs investissements sont déjà prévus pour coller encore de plus près au développement durable: l'installation de panneaux solaires sur le toit du bâtiment (propriété du CHUV), notamment pour la cuisine et les locaux de dépôt des aliments, ainsi que les batteries électriques des vélos. A terme, Hansjörg Haas et Michèle Montet espèrent que davantage de garderies (privées mais subventionnées pas la ville) entreront dans le réseau. Le projet pourrait aussi intéresser d'autres collectivités telles que les EMS. La gamme des produits, en plus des légumes et des fruits, est en voie de s'étendre aux laitages et aux farines. Hansjörg, malgré la fragilité financière du projet, veut y croire: «Nous avons une marge de progression encore importante. Nous ne sommes qu'au début de cette belle aventure. A l'avenir, je rêve aussi que d'autres plateformes en Suisse voient le jour.»


Aline Andrey

Pour plus d'informations: www.plateformebio.ch



Le bio: pas si cher
Le bilan financier de cette première année ne sera disponible que dans quelques semaines. Mais Michèle Montet est positive: «Je ne peux avancer de chiffres, mais il semble que les coûts ne soient pas aussi élevés que ceux qu'on imaginait.» En privilégiant les légumes de saison, et sans les marges des gros distributeurs, les prix sont en effet fortement réduits. Du côté du Centre de vie enfantine (CVE) de Montelly, le budget annuel pour les fruits et les légumes, en passant de 20% à 70% de bio (de 2012 à 2013), a augmenté d'environ 10000 francs sur quelque 130000 francs. Cette augmentation de 7% semble bien dérisoire à l'aune des bénéfices sur la santé d'une alimentation sans pesticide, du respect de l'environnement et de la survie des paysans locaux.
«Nous travaillons de manière éthique», se réjouit le cuisinier Filippo Pisano, fier des bons résultats du CVE de Montelly quant à son impact environnemental, suite à une étude menée par l'Ecole hôtelière l'année dernière.
«Nous sommes très satisfaits de notre collaboration avec la plateforme. En plus de promouvoir le développement durable, cela permet de faire découvrir des légumes anciens aux enfants et à leurs parents», relève le directeur du CVE de Montelly, Diego Pasquali. Cette transformation alimentaire est ainsi accompagnée d'un projet pédagogique global. Des jeux, sous forme de visuels pour les plus petits enfants, autour des légumes locaux anciens comme les topinambours, les scorsonères ou encore les panais, sont parallèlement mis en place. Michèle Montet: «Le projet est à consolider en sensibilisant les enfants, les parents et les éducatrices. Il y a bien sûr toujours des sceptiques, mais je pense que Lausanne peut montrer l'exemple. J'espère que ce projet sera pérennisé et fera des petits...»
AA