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Le marathon féministe d’une secrétaire syndicale

Tamara Knezevic lors la manifestation.
© Olivier Vogelsang

Vers 17h30, départ de la manifestation.

Le 14 juin, à Lausanne, aux côtés de la secrétaire syndicale d’Unia Vaud et militante féministe, Tamara Knezevic. Récit

Suivre Tamara Knezevic pendant la Grève féministe est quasi mission impossible. Tourbillonnante, elle n’est pas loin d’avoir le don d’ubiquité. Au cœur des mouvements féministes depuis plusieurs années, la secrétaire syndicale d’Unia Vaud diffuse une énergie solaire communicative. Entre revendications, embrassades de militantes et slogans scandés à pleins poumons, elle a ouvert les feux le 13 juin à 22h devant la cathédrale de Lausanne. Plus de 500 personnes étaient présentes dont quatre guettes d’un soir qui ont crié du haut du beffroi: «Il est l’heure de la grève!» Avant que la cathédrale ne s’embrase de lumières kaléidoscopiques et de fumigènes. L’Appel de la Grève féministe, les chants révolutionnaires de la Chorale anarchiste, puis les rythmes des percussionnistes ont donné le ton à la mobilisation du 14 juin. Sur la place de la Riponne, des cartons où il était écrit, entre autres, «chers connards», «capitalisme», «harcèlements», «masculinistes»… ont été jetés au feu, comme un rituel libérateur pour entamer la grève dans la joie de lutter ensemble. «Je prends le carton “Conseil fédéral”», lance Tamara, en distribuant les cartons, très en colère de l’augmentation de l’âge de la retraite des femmes.

Tamara Knezevic sur son portable devant la cathédrale.
Le 13 juin, vers 22h, le lancement de la Grève féministe a lieu à la cathédrale de Lausanne. © Thierry Porchet

 

Tractage

Après une très courte nuit, à 7h du matin, la voilà qui arrive devant la gare avec une pancarte et un discours terminés pendant la nuit. «J’ai dormi une heure!» lance-t-elle, avec une vigueur étonnante. La secrétaire syndicale est prête pour une journée de marathon. Sur la place de la Gare, elle retrouve ses camarades du collectif de la Grève féministe. Distribution de tracts, de cafés et de badges, avec gentillesse et un léger stress. Une militante confie: «Je n’ai jamais fait ça. Je ne me sens pas à l’aise, mais d’être à plusieurs, ça aide.» Les pendulaires oscillent entre indifférence et intérêt. Ses deux natels en main, Tamara jongle avec les appels des médias, des collègues et les réseaux sociaux qu’elle alimentera tout au long de la journée.

Vers 8h30, c’est le moment du briefing dans les bureaux d’Unia où les différentes tâches de chacune et chacun sont rappelées. Entre stands, repas, actions et tractages, tout le monde est sur le pont. Le mot d’ordre: les hommes soutiennent et ne prennent surtout pas la parole.

Tamara Knezevic pancarte à la main, devant la gare.
Le 14 juin, à 7h du matin, peu avant le tractage devant la gare. © Olivier Vogelsang

 

Action pharmacies

Il est déjà temps de se rendre devant deux pharmacies dont les employées ont décidé de faire grève quelques heures. Annabel, assistante en pharmacie, explique: «On profite de cette journée pour faire entendre nos revendications, pour une convention collective de travail. Jusqu’à présent, dans ce métier exercé par 99% de femmes, nous ne sommes pas entendues.» Plusieurs autres militantes d’Unia Vaud sont présentes et soulignent le manque de reconnaissance pour cette profession exigeante. «Il n’existe pas de grille salariale évolutive. Beaucoup quittent le métier pour se diriger vers les assurances où les horaires et les salaires sont meilleurs», précise Nelly. «D’où la pénurie de personnel», renchérit Françoise, qui ajoute aussi qu’il est rare dans la branche d’avoir plus de quatre semaines de vacances ou un 13e salaire.

«Nous nous formons en permanence, mais nos salaires ne bougent pas, s’indigne Annabel, tout en saluant de nombreux clients. Je connais toute leur vie. Je prends le temps de les écouter, c’est ça aussi une pharmacie de quartier.» Tamara les invite pour une photo, le poing levé. «Le gauche, toujours», indique la secrétaire syndicale tout sourire. Elle file ensuite à Lutry devant une deuxième pharmacie, accompagnée de son bras droit du jour, le responsable de la branche tertiaire d’Unia Vaud, Giorgio Mancuso, qui ne rechigne pas aux paillettes et au vernis à ongle violet proposés par sa collègue. «Il se déconstruit…» résume Tamara en riant.

Le chariot de la sono entre dans le paisible centre du village comme un cheveu sur la soupe. Poser un stand féministe avec de petits gâteaux et des boissons semble ici déjà subversif. Un patron de restaurant vient d’ailleurs demander de baisser le son, car des clients se plaignent. Après une discussion cordiale, il repartira avec un bracelet «Grève féministe» autour du poignet.

Action devant une pharmacie.
De 9h30 à 13h, action des assistantes en pharmacie, ici dans le quartier de Bellevaux. © Olivier Vogelsang

 

Pause des vendeuses

Retour à Lausanne, sur la place Sainte-Françoise, féminisée pour l’occasion. Vers 14h, Tamara briefe les différentes intervenantes du groupe femmes d’Unia Vaud. Dix militantes tenant des cartons représentant différents métiers lisent leurs revendications, un mégaphone dans la main. Elles démontrent à quel point leur profession est essentielle et dénoncent des conditions de travail délétères, dans la restauration, le nettoyage, la coiffure, la petite enfance, l’horlogerie... Elles soulignent aussi l’importance des grands-parents – la plus grande crèche de Suisse – et donc de retraites dignes.

«On en a marre des salaires de misère. On mérite tellement plus, parce que, sans les femmes, tout s’arrête!» résume Tamara, qui invite ensuite à dérouler des banderoles tout au long de la rue de Bourg. «On a dû se battre avec les patrons pour qu’ils laissent leurs vendeuses faire dix minutes de pause aujourd’hui. C’est déjà ça, mais ce n’est clairement pas assez! Donc: après le 14 juin, on ne lâche rien!»

Action du groupe femmes d'Unia.
Vers 14h, le groupe femmes d’Unia Vaud partage ses revendications sur la place Sainte-Françoise. © Olivier Vogelsang

 

Au milieu des boutiques, les vendeuses sont invitées à déposer leurs messages de révolte sur les calicots violets. Après des tambours enragés et des chants espagnols révolutionnaires, à 15h24 et des poussières, les militantes crient leur colère. Elles rejoignent ensuite la place Sainte-Françoise où le discours de la Grève féministe (le texte écrit par Tamara au milieu de la nuit) est lu devant une foule bigarrée: «… la grève n’est pas un jour isolé, mais un processus. C’est notre mouvement social qui permet également à des milliers de travailleuses d’exprimer leur colère et leur mécontentement. C’est pourquoi, notre féminisme est celui de la lutte des classes!» La mobilisation est intersectionnelle également, puisque s’ensuit un témoignage poignant sur la mort de Mike Ben Peter, dont le procès des policiers inculpés se déroulait ce jour-là.

Peu à peu, le cortège se forme. Une vague violette déferle alors sur la ville. Plus de 20000 personnes selon la police, 40000 selon les organisatrices… Bref, quelque 30000 femmes, enfants et hommes solidaires feront vibrer Lausanne pendant plusieurs heures.

Le lendemain, jointe par téléphone, Tamara a tout juste encore assez de voix pour partager ses émotions: «C’était tellement incroyable! J’étais au début du cortège, puis je me suis arrêtée pour le filmer dans toute sa longueur, pendant plus de 30 minutes. Sincèrement, c’était au-delà de toute attente. Cela prouve l’importance du soutien des syndicats dans les mobilisations féministes.»

Action des vendeuses.
Vers 15h, action des vendeuses à la rue de Bourg. © Olivier Vogelsang

 

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