«Les positions du patronat n’ont cessé de se durcir en quelques années seulement, et ses facultés d’écoute se sont rétrécies jusqu’à atteindre le point critique de la surdité.»
C’est une constante à laquelle on échappe difficilement, lorsqu’on observe les frémissements qui se dégagent des négociations liées aux renouvellement des conventions collectives de travail. Qu’on se penche sur celles récemment paraphées ou qu’on considère les pourparlers en cours ou sur le point de commencer, on mesure combien les positions du patronat n’ont cessé de se durcir en quelques années seulement. Combien ses facultés d’écoute se sont rétrécies jusqu’à atteindre le point critique de la surdité. Si bien qu’en recourant à une image, on pourrait dire qu’il faut parfois un pied-de-biche ne serait-ce que pour parvenir à porter des revendications dans les salles des négociations. Ce qui était jusqu’à récemment une simple formalité, relève aujourd’hui d’une quasi-conquête. Il en a été en partie ainsi pour l’accord signé entre Unia et Coop, qui entrera en force dès le 1er janvier prochain. Le processus qui a mené au mois d’octobre dernier à un résultat salué par le syndicat, a nécessité deux ans d’élaboration. La démarche s’est concrétisée par des luttes, un sondage auprès des salariés pour fixer les points à améliorer dans les conditions de travail, et surtout, une pétition. Munie de 3000 signatures, celle-ci a permis de faire bouger la posture rigide de la direction. Le pied de biche a permis, dans ce cas précis, d’accéder à des avancées notables. Le salaire minimum, tout comme le salaire qui fait référence après formation, ont été relevés. Le temps de travail a été réduit et des mesures favorables aux apprentis et aux familles ont été conclues.
Le lourd ustensile en métal a été sorti de la caisse à outils plus récemment encore, dans le domaine de l’hôtellerie et de la restauration. Ici, la bonne nouvelle vient de la décision de GastroSuisse d’ouvrir la porte aux négociations d’une Convention collective nationale de travail qui concerne plus de 250 000 personnes dans le pays. La mauvaise, c’est qu’il a fallu six ans pour que l’association des employeurs de la branche se décide enfin à mettre de côté les divergences au sujet du salaire minimum. Les discussions qui vont prendre forme sont de la plus haute importance. Car le secteur est très mal loti sur le front salarial: la rémunération plancher est d’environ 3700 francs, alors que le salaire médian des employés sans fonction de cadre s’élève à 4335 francs. Unia, avec les autres syndicats et l’organisation professionnelle Hotel & Gastro Union, réclame une revalorisation de ces revenus, une compensation automatique du renchérissement annuel pour tous et l’augmentation réelle des salaires minimum de 100 francs chaque année pour la période de 2028 à 2032. Quant à la durée du travail hebdomadaire, qui va aujourd’hui de 42 à 45 heures, elle doit aussi être revue à la baisse pour offrir davantage de temps libre au personnel. Ces mesures, et d’autres encore, donneraient plus d’attractivité à une branche qui souffre d’une pénurie endémique de main-d’œuvre.
Des revendications qu’on retrouve d’ailleurs dans un autre dossier très chaud, celui du renouvellement de la Convention nationale de travail de la construction. Dans ce cas, le pied de biche a pris la forme de la grève, qui a connu un franc succès en Suisse romande mais n’a pas (encore?) fait bouger les lignes de la Société suisse des entrepreneurs (SSE), décidée à désosser jusqu’à l’invraisemblable les acquis existants. Le bras de fer que poursuit Unia – avec d’autres syndicats – constitue un test crucial. Il permettra de comprendre si le rapport de force déployé par l’organisation est à même de faire revenir à la raison la SSE et d’viter le spectre d’un vide conventionnel, nuisible autant pour les travailleurs que pour les patrons.