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La tragédie de Mattmark, un tournant dans la politique migratoire en Suisse

A 60 ans de la catastrophe, l’ancien coprésident d’Unia, Vasco Pedrina, analyse les conséquences de ce drame. Une position à lire également dans sa contribution au livre «Mattmark 1965», signé Elisabeth Joris.

Dans quelle mesure le tournant sur la question migratoire, dans les années 1960, a-t-il été lié à la catastrophe de Mattmark?
Dans le domaine de la politique migratoire, Mattmark n'a été qu'un premier signal d'alarme pour les syndicats. Le deuxième a été, cinq ans plus tard, le vote sur l'initiative populaire de James Schwarzenbach. Dans ces phases de rupture, la syndicaliste de la Fédération des ouvriers du bois et du bâtiment (FOBB), Ezio Canonica, a été le premier à s'engager pour dépasser cette politique de fermeture qui considérait les immigrés comme un phénomène transitoire et qu'il n'était donc pas nécessaire d'organiser, si ce n'est comme des concurrents sur le marché du travail. En réalité, ce n'était pas le cas, d'autant plus que les immigrés occupaient les échelons inférieurs de la hiérarchie, tandis que les ouvriers suisses pouvaient plus rapidement devenir chefs et sous-chefs, et ainsi gagner davantage. Des a priori culturels générés par des évaluations erronées ont favorisé dans nos rangs un discours xénophobe qui cherche des boucs émissaires pour tous les problèmes causés par le capitalisme. Canonica et la FOBB avaient donc déjà compris, dans la première moitié des années 1960, que le phénomène migratoire resterait un élément permanent et structurel de l'économie suisse et du marché du travail. D'où la nécessité pour les syndicats d'organiser ces travailleurs, d’unir Suisses et immigrés, et de lutter pour l'égalité des salaires et des droits. Il a fallu plus de vingt ans pour réaliser ce changement de politique syndicale, passant d'une politique de soutien aux contingents et aux statuts discriminatoires comme celui des saisonniers à une vision fondée sur l'égalité des droits. Et la politique suisse a eu besoin de quinze ans supplémentaires pour franchir le même pas (avec l'abolition du statut des saisonniers, ndlr).

Où en était-on au moment de la catastrophe de Mattmark et quel a été son impact concret?
Mattmark a été un premier tournant dans la bonne direction de la politique syndicale. La FOBB se trouvait dans une situation quelque peu contradictoire. D'un côté, il y avait Ezio Canonica, syndicaliste d'une nouvelle génération, plus ouverte, qui s'engageait en première ligne pour les droits des victimes de la catastrophe et était devenu une figure politique nationale très populaire. Dans le même temps, un mois après la catastrophe, le comité central de la FOBB publiait une prise de position pour se distancier des agitations des communistes, principalement italiens, organisées pour protester contre la politique du patronat et des autorités suisses et exprimer leur indignation. En réalité, la FOBB collaborait déjà avec les syndicats italiens, en particulier avec la CGIL (syndicat, proche du Parti communiste italien), mais en même temps, en pleine guerre froide, elle veillait à ne pas donner à l'opinion publique l'impression d'être une organisation communiste.

Pourquoi Mattmark a-t-il également marqué le début d'un changement dans la politique syndicale en général?

C'est un fait qui ressort de la carrière même d'Ezio Canonica. Avec Mattmark, il est devenu une personnalité nationale et, en 1968, il est devenu le premier président tessinois d'un syndicat national. Puis, en 1970, lors de la campagne contre la deuxième initiative contre l'immigration, qui a finalement été rejetée par 54% des votants, il s'est profilé comme le principal adversaire de Schwarzenbach. Cela tient aussi au fait que son parcours le rendait crédible, contrairement au président de l'USS de l'époque, Ernst Wüthrich. C'est ainsi qu'en 1971, il a pu devenir conseiller national pour le canton de Zurich. En 1973, il est devenu président de l'USS et a contribué à créer une dynamique de changement, et pas seulement dans la politique migratoire des syndicats. Grâce également à l'influence qu'ont ensuite exercée les immigrés, il a été le premier dirigeant national de poids à demander la relativisation de la paix sociale, c'est-à-dire à ouvrir la porte à une politique syndicale plus combative.

Propos recueillis par Work

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