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Jouons de l’hélicon, pon, pon

Vue de l’extérieur, la Manip (Mission d’action novatrice de l’industrie privée) donnait l’impression de grands changements. Jehan Coupeur-Baillif avait pris une retraite (bien?) méritée et cultivait ses plates-bandes du côté de Jersey. Alain-Pierre Rochat-Rochat, dit AP2R avait retiré le capital de sa retraite pour aller ouvrir un gîte rural en Ardèche; Céka, alias Christos Konstantinopoulos, compte tenu de ses brillants résultats dans le marketing, avait été muté aux archives et Hans Im Obersteg, dit HIO, allait bientôt poser son sac et ses outils.

Apparemment inamovible et impassible, Ruedi Saurer avait, ô surprise, engagé deux nouvelles collaboratrices; l’une, responsable des ressources humaines (DRH), Carine Cordonnier-Cavin fut rapidement surnommée Triple C par le personnel, petit et grand, de la Manip. L’autre, Violaine Dufoyer, était chargée de remplacer Guido Fifrelin, désormais à la tête du département des marchés intérieurs.

On ne sait si Cristina Córdula, la reine brésilienne du relooking, aurait trouvé ça «magnifaïque», mais, en façade au moins, la Manip était nettement plus pimpante.

En interne, la routine l’emportait toutefois nettement. Ainsi, sous l’impulsion de Triple C, on avait remis au goût du jour la vieille pratique consistant à valoriser, dans les CV, les lignes mentionnant les hobbys des candidats et candidates. Le sport, bien sûr, avec un avantage pour le golf, bien que, depuis l’élection de Trump, les manieurs de clubs aient un peu perdu de leur aura. Les sports d’équipe conservaient en revanche une bonne cote. Parce que le fait de jouer en équipe vous apprenait à travailler… en équipe. Comme ça fait un peu couillon de le dire ainsi, on parlait de team. Team building. Très tendance, le team building. Mais il n’y avait pas que le sport. Le volontariat aussi était bien noté, comme le yoga et les cours d’improvisation. En revanche, rien pour la couture ou l’origami. Un simple oubli, sans doute. Autre passe-temps favori bien vu: la pratique de la musique. Bon pas en solo, si possible, mais en groupe. Team building oblige encore. Mais aussi la pratique de l’écoute. Surprenant, hein: jouer dans une fanfare, un orchestre de rock ou un quatuor à cordes développe l’écoute. Alors ça, c’est incroyable, non? Heureusement qu’il y a des spécialistes des RH pour nous l’apprendre! Quand on joue à plusieurs, on essaie de jouer ensemble et, donc, on écoute les autres… Ah ben dis donc, y z’en ont dans le ciboulot, ceux qu’ont trouvé ça. Non franchement, pfff… La classe, quoi, la toute grande classe. Faire de la musique développe l’écoute. On est scié, là.

Oh, je sais, d’indécrottables pinailleurs me diront qu’à l’écoute de certains groupes, on peut douter qu’ils jouent ensemble et s’écoutent mutuellement! Mais ce ne sont là que baves de crapauds qui n’atteignent pas la blanche colombe. Même le plus célèbre morceau silencieux de John Cage, «4,33», force à l’écoute, na!

Une question se pose toutefois: est-ce que tous les instruments ont la même valeur dans cette ligne de CV? J’en doute. Est-ce que, véritablement, jouer des castagnettes équivaut à jouer du piano? Imaginons un entretien d’embauche où l’on vous demande: «A propos, vous avez écrit que vous jouiez dans un orchestre; de quel instrument, au fait?» Réponse: «Du triangle». Vous croyez sincèrement que l’on va s’exclamer: «Oh, comme c’est intéressant!» Pas vraiment, hein?

Et encore le triangle, c’est presque banal. Mais pensez au joueur d’hélicon. «De quel instrument jouez-vous?» «De l’hélicon». Y a comme un malaise… Surtout si vous ajoutez une référence à la chanson du chanteur et joueur de mots loufoque Bobby Lapointe: «Eh bien, il y a ton ami Elie/Qui n’est pas très intelligent/Si tu veux va jouer avec lui/Non maman c’est pas ça l’vrai instrument/Moi je veux jouer de l’hélicon/Pon pon pon pon. » Pas sûr que l’embauche soit au bout du couplet…

Mais il y a pire que l’hélicon. Si, si, si. «De quel instrument jouez-vous?» «Du cervelas». «C’est cela. Et moi de la saucisse au foie. Au revoir, monsieur, bien le bonjour chez vous!» Pourtant le cervelas existe bel et bien. C’est un instrument de la Renaissance et du baroque appelé aussi… basson de saucisse. On ne sort pas de la charcuterie. Et si vous vous demandez comment c’est fait, Wikipédia vous explique: «Le dernier cervelas baroque avait un alésage pseudo-conique en expansion et a été soufflé à travers une crosse enroulée insérée dans le haut de l’instrument. Un joint de cloche séparé est ajouté pour prolonger la longueur du tube.» Question employabilité, ce n’est pas gagné. Finalement, le golf, hein…