Une vidéo de Olivier Vogelsang
«J’ai vu beaucoup d’entourloupes...»

David Marcelino da Silva estime qu’un salaire de 5000 francs par mois pour tous serait raisonnable.
Pause café militante avec David Marcelino da Silva, président du groupe d’intérêts Jeunes d’Unia Vaud.
Depuis une décennie, David Marcelino da Silva, chauffeur de camion, sillonne les routes de Suisse. «Dix ans, c’est chaud! La moitié des apprentis qui étaient dans ma classe ont abandonné, dégoûtés», indique le jeune homme de 28 ans, évoquant les difficiles conditions de travail dans la branche en raison d’horaires interminables et de salaires «pas terribles». «Je débute ma journée à 5h du matin – aussi, je me lève à 3h45 – et je termine parfois quinze heures plus tard», précise d’une voix tonitruante le Vaudois d’origine brésilienne, employé par une société de transport livrant du mazout. «Le job, c’est souvent une prise de tête. Beaucoup de pression entre les rechargements du combustible à la raffinerie ou aux dépôts, la circulation et des accès parfois compliqués aux immeubles avec des interlocuteurs qui ne sont pas toujours informés de notre venue.» Certaines situations peuvent aussi générer du stress comme un afflux de commandes lors de baisses de prix du mazout. «On ne sait alors plus où donner de la tête. Il arrive qu’on livre jusqu’à quinze clients par jour s’ils sont regroupés dans un même quartier.» David Marcelino n’envisage pas pour autant de changer d’activité. Et mentionne la solidarité qui le lie à ses 17 collègues même si la nature indépendante de la fonction rend difficile, estime-t-il, l’organisation collective.
Sentiment de liberté
«Mais on s’appelle. On s’entraide. On partage trucs et astuces», affirme le chauffeur, précisant apprécier particulièrement sa profession pour la liberté qu’elle lui offre. «J’aime rouler. Etre à l’extérieur. On voit du pays. De belles régions. Je ne pourrais pas bosser toute la journée dans un bureau.» Le travail, insiste par ailleurs David Marcelino, nécessite débrouillardise, connaissance de la mécanique et sens des relations avec les clients. Des qualités que ce sympathique gaillard au franc-parler et bricoleur peut se prévaloir. Circulant dans toute la Suisse romande au volant d’un camion-citerne de 30000 litres, le conducteur roule aussi, sur un autre terrain, pour le syndicat. Et préside le groupe d’intérêts Jeunes d’Unia Vaud encore en phase d’élaboration. «C’est toutefois compliqué de les atteindre.» Le militant estime qu’il faudrait pourtant davantage sensibiliser les jeunes à leurs droits. Essayer de leur parler directement sur les lieux de formation ou poster des saynètes sur les réseaux sociaux traitant de situations réelles de travail de manière ludique. «Mais bon, tempère encore David Marcelino, à 16 ans, en formation, on n’ose pas non plus toujours adhérer à un syndicat. On ne fait pas le show», image-t-il, avec des expressions bien à lui...
Fibre solidaire
David Marcelino a pour sa part rejoint Unia en 2020. Il était alors employé par une autre société comme chauffeur de camion sur les chantiers et assujetti à la Convention nationale (CN) du secteur principal de la construction. «C’est à ce moment que je me suis inscrit à Unia, par solidarité avec les maçons. Mais pour ma part, bien que couvert par la CN, je gagnais mal ma vie. Trop de déductions pour les assurances sociales, notamment en raison de la retraite anticipée.» Une échéance bien trop lointaine pour le travailleur. «Encore faut-il y arriver à la retraite. Impossible de me projeter à si long terme dans cette profession. Financièrement, je m’en sors mieux aujourd’hui», ajoute David Marcelino, calculant qu’il touchait auparavant quelque 4600 francs par mois y compris le forfait pour les repas contre environ 4900 francs aujourd’hui. Un dernier montant auquel s’ajoutent 350 à 400 francs pour manger. Son changement d’employeur n’a pas remis pour autant en question son adhésion, puis son engagement en faveur des jeunes à Unia. Le syndiqué a toujours eu la fibre solidaire, touché par des récits de travailleurs qui ont été victimes de patrons malhonnêtes, qui ont souffert de licenciements, vu leur 2e pilier spolié, etc. Dans son domaine, il a aussi rencontré des injustices criantes.
Pas réglo
«J’ai travaillé, par exemple, pour une entreprise où les collègues de nationalité étrangère étaient payés 600 à 800 francs de moins que les Suisses et ne touchaient pas le 13e salaire. Ce n’est pas réglo. J’ai vu beaucoup d’entourloupes avec le temps.» Des situations qui lui ont donné l’envie de se battre. «En Suisse, on peut agir sans risquer la peine de mort quand même, sourit-il. Il faut défendre nos droits. Lutter pour le maintien de nos acquis et pour en obtenir d’autres.» Parmi les combats prioritaires, David Marcelino mentionne le salaire minimum ou encore la nécessité de conclure des conventions collectives de travail dans tous les secteurs économiques. «La classe laborieuse participe aux efforts. Elle a droit à sa part du gâteau. Un minimum de 5000 francs par mois pour tous me paraît raisonnable. Mais le lobby des patrons est puissant.»
«Le Suisse, un peu froid»
Quant à l’avenir sur le long terme, le chauffeur ne l’imagine pas nécessairement dans nos frontières. «Je me sens aussi un peu Brésilien. En plus, un Suisse noir...», rigole David Marcelino qui parle portugais et s’est rendu plusieurs fois dans le pays de ses origines. «Je m’y installerai peut-être dans vingt ans. J’adore là-bas la nourriture, le sens de la fête, la convivialité des Brésiliens. Le Suisse est un peu froid... Et s’il invite quatre personnes à manger, il n’y aura pas une de plus à table. Je me souviens, chez ma grand-mère, que plein de gens que je ne connaissais pas débarquaient aux repas. Mais bon, il y a aussi au Brésil un certain laisser-aller, un côté “il n'y a pas le feu” qui pourrait m’agacer. On verra bien...»