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Importante victoire d'étape!

Un tribunal genevois ordonne à Manor de réintégrer Marisa Pralong

Elle avait été licenciée en février dernier. Reconduite à la porte du magasin, sans pouvoir s'adresser à ses collègues. La raison? Un article paru à Noël dans un quotidien genevois où Marisa Pralong, vendeuse et militante d'Unia, s'était exprimée sur les nocturnes à Genève. Le 26 mai dernier, un tribunal ordonnait à Manor de la réintégrer, en attendant le jugement définitif.  

C'est une première en Suisse! Un tribunal genevois, la Chambre des relations collectives de travail, a ordonné à une entreprise la réintégration d'une travailleuse licenciée en raison de ses activités syndicales. Jusque-là, faute de protection dans la loi, les délégués syndicaux congédiés ne pouvaient pas obtenir devant la justice leur réintégration, mais uniquement une indemnité pour licenciement abusif. Or à Genève, il y a 15 jours, la Chambre des relations collectives de travail (CRCT), saisie par le syndicat Unia, a statué sur des «mesures provisionnelles», c'est-à-dire des mesures urgentes dont le but est de faire cesser une atteinte au droit. Elle décidait que Manor devait réintégrer Marisa Pralong, injustement licenciée en février dernier, parce qu'elle avait osé donner son avis sur les conditions de travail durant les nocturnes dans un grand quotidien genevois. La CRCT jugera ensuite la question sur le fond, ce qui mettra un certain temps, les parties ayant jusqu'au 12 juin pour annoncer leurs éventuels témoins.
La décision de la CRCT, rendue le 26 mai, se fonde sur la Convention collective cadre du commerce de détail genevois qui prévoit explicitement à son article 17.2 qu'il est interdit de licencier un employé pour ses activités de représentant du personnel ou de délégué syndical. Or Marisa Pralong était déléguée à la commission paritaire de cette CCT cadre et s'était également engagée au sein de Manor pour la création d'une commission du personnel. Dans son jugement, la CRCT constate qu'Unia avait rendu vraisemblable que Manor avait violé l'interdiction de licencier et que «la seule conséquence possible d'une violation de l'article 17.2 CCT cadre est le maintien (ou la réintégration) dans son emploi de l'employé licencié en dépit de l'interdiction», écrit la Chambre. En conclusion, la CRCT «ordonne à Manor la réintégration de Mme Marisa Pralong» jusqu'à ce que la cause soit jugée sur le fond.

Décision historique
Le syndicat Unia, qui s'était mobilisé dès l'annonce du licenciement de sa militante et présidente de région, se réjouit de cette première victoire juridique. «C'est une vraie décision historique», relève Alessandro Pelizzari, secrétaire régional d'Unia Genève, faisant notamment allusion à l'absence de protection des délégués syndicaux dans le droit suisse, ce qui avait conduit l'OIT à condamner notre pays à ce sujet. Pour Unia, la CRCT «a fait preuve de courage et de lucidité juridique». Cela d'autant plus qu'à l'heure où les entreprises cherchent à faire payer les frais de la crise aux salariés, le développement des droits syndicaux et la protection des délégués est plus nécessaire que jamais.
De son côté, la direction de Manor s'est dite «surprise» de la décision de la CRCT, mais en prenait acte et annonçait, le lendemain du jugement, qu'elle examinait la possibilité de faire recours au Tribunal fédéral et qu'elle libérerait Marisa Pralong de son obligation de travailler. Elle la convoquait toutefois le 28 mai dans ses locaux. Un entretien qui n'a duré qu'une quinzaine de minutes avant que la déléguée syndicale, accompagnée par le syndicaliste Joël Varone, ne rejoigne la porte de service... Lors de cet entretien, Marisa Pralong s'est vue remettre une lettre dans laquelle Manor indique qu'en application de l'ordonnance de la CRCT elle était provisoirement réintégrée «dans la liste de nos effectifs» et non pas dans son emploi de vendeuse comme l'indiquent les juges... Subtilité du langage...
Il n'en reste pas moins que Marisa Pralong est très satisfaite de la décision de la justice, comme ses collègues de Manor. «Nous avons senti un grand soulagement parmi le personnel après cette décision», relève Joël Varone.

Sylviane Herranz



«Je ne me suis pas trompée!»

Au lendemain du rendez-vous avec son employeur, Marisa Pralong nous livre ses impressions et sa volonté de poursuivre la lutte

Marisa, comment s'est passée votre entrevue avec la direction le 28 mai?
Nous avons eu un échange cordial et respectueux, comme cela a toujours été le cas avant mon licenciement, lorsque je rencontrais les responsables des ressources humaines. Ils m'ont annoncé qu'ils me réintégraient sur la liste du personnel, tout en me libérant de mes fonctions, comme durant mon délai de congé. Et cela sans conditions.

Vous avez été réintégrée, mais sur le papier seulement...
Effectivement. Je toucherai mon salaire, je pourrai payer mon loyer, mais je suis très triste d'être privée d'exercer ma profession, que j'apprécie énormément. Cependant, la militante syndicale que je suis est contente de voir que la lutte paie, que l'on peut avoir gain de cause. Même s'il faut attendre le jugement de fond, c'est une première victoire. J'étais sûre qu'une compensation financière n'avait pas lieu d'être discutée, car la liberté syndicale ne peut pas se monnayer. Et je suis fière de faire partie d'un syndicat fort et compétent. Je ne me suis pas trompée, ni dans ma lutte chez Manor, ni dans mon engagement chez Unia. Je tiens à remercier tous ceux qui m'accompagnent dans cette lutte, qui se sont engagés sans compter, que ce soit à Genève ou à Berne. Je suis fière de travailler avec des gens compétents. Car seule, je n'aurais rien pu faire. C'est ça la force du syndicat.

Que pensez-vous de l'attitude de Manor qui esquive une véritable réintégration?
J'en suis désolée, mais pas étonnée. Et je me réjouis que pour la première fois en Suisse, un grand magasin paiera une employée pour faire du militantisme! Je ne vais pas rentrer pleurer sur mon sort à la maison. Non, je vais me lever chaque matin pour défendre les conditions de travail dans la vente. Je vais me battre contre l'extension des heures d'ouverture des magasins et leur ouverture quatre dimanches par année. La loi va bientôt être votée par le Grand Conseil et, bien sûr, c'est cet été que nous devrons faire signer le référendum... Je continuerai aussi à lutter pour que la CCT cadre soit améliorée et appliquée, car je suis la preuve vivante que les grands magasins s'assoient dessus. J'irai sensibiliser la clientèle, le monde politique, et voir mes collègues pour leur expliquer les bienfaits d'être engagée syndicalement.

Propos recueillis par Sylviane Herranz